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Des parapluies pour les fraudeurs

par Moncef Wafi

La délinquance économique est une vérité bien établie en Algérie et les chiffres rendus publics par les Douanes illustrent parfaitement l'ampleur quantifiée de ce phénomène. Les derniers en date sont ceux du renseignement des Douanes nationales qui indiquent que les surfacturations effectuées par des opérateurs économiques fraudeurs ont permis, entre 2010 et 2015, de transférer illicitement vers l'étranger entre 15 et 20 milliards de dinars chaque année. Soit une fuite de capitaux estimée en moyenne entre 90 et 120 milliards de dinars en six ans.

Ces opérateurs véreux n'ayant pas froid aux yeux ou forts de quelques complicités bien haut placées sont même allés jusqu'à importer des conteneurs vides ou chargés de pierres. Ce qui passait pour une légende urbaine tellement son énormité a été confirmée par un cadre des Douanes qui à travers ses révélations a dressé un réquisitoire contre le crédit documentaire (crédoc) déjà sérieusement remis en cause par la tutelle ministérielle. En effet, les douaniers jouent toujours un coup en retard puisque le délit ne peut être constaté qu'une fois le conteneur ouvert alors que l'argent est déjà parti à l'étranger au titre de ce crédoc. Le ministre du Commerce a déjà milité pour sa suppression, Belaïb estimant que la chasse à la fraude passe impérativement par son élimination du circuit commercial. «J'ai dit et je redis: il faut sortir du crédoc pour permettre aux importateurs de récupérer leur argent en cas où ils se font arnaquer par leurs fournisseurs en achetant des produits contrefaits ou non conformes», avait-il insisté.

Le crédoc, défendu par le gouvernement Sellal, impose de payer à l'avance la marchandise importée, ce qui est supposé éliminer de fait les paiements frauduleux. Les importateurs algériens ont contourné cette contrainte en faisant des virements au profit d'entreprises qu'eux-mêmes lançaient à l'étranger sous des prête-noms, le plus souvent des proches. Le ministre qui s'est aussi plaint, ce mardi, des protections de certains contrevenants dans la chaîne commerciale. Ces parapluies font souvent plus de mal à l'économie nationale empêchant les fonctionnaires honnêtes de faire leur job. Belaïb, à titre illustratif, raconte deux anecdotes sur un puissant importateur de pièces détachées de voitures qui a fait sortir ses containers du port malgré l'interdiction du ministère du Commerce grâce à des complicités avérées. L'autre exemple est celui d'un restaurant «à l'apparence huppée» à Alger responsable d'une intoxication alimentaire dont la fermeture a requis l'intervention personnelle du ministre. «J'ai appris qu'il y avait quelqu'un derrière», précisera Belaïb. Presque un aveu d'impuissance dans un pays où les parapluies sont les plus chers au monde.