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La baguette de direction

par El Yazid Dib

La nature est ainsi faite, se dit-il. Quel que soit l'apparat que l'on porte, l'uniforme que l'on endosse ou le poste que l'on occupe, l'essence profondément humaine finira un jour, le temps d'une pause ou d'une collation d'adieu, par redécouvrir sa véritable espèce. La faiblesse. Dans tous ses sens nobles et positifs.

L'homme du fait d'une activité quelconque tend à produire une copie de son être en vue de paraitre ce que peuvent croire ses vis-à-vis. Dans son temps, le temps coule à flot sans qu'il puisse à intermittence s'en rendre compte. Epris par cette idylle fonctionnelle, cherchant à chaque coup le comment fabriquer une image qui n'en est pas authentiquement sienne, l'homme-lige, héros d'un mandat ou d'une mission, s'oublie vite et se perpétue à croire à la durée du rôle.

Il pense être dilué dans l'espace de cet entre-temps, de cette obligation de réserve qui tout au long de son cheminement carrièral a fini par le fondre dans la peau d'un véritable otage du système. Un prisonnier de la parole. Il se tait en toute circonstance avec ses déboires, ses penchants, ses afflictions et ses douleurs. Le mutisme est une garantie de survie. Du moins en ce qui concerne la cuisine de l'Etat, celle des hommes, des positons, du courage de certains ou de la fausseté et de la compromission des autres. Dans ces espaces-là, il n'y pas assez de place pour le cran et la hargne de continuer d'être soi et savoir garder sa pauvre petite tête sur ses épaules. Ceux qui n'étaient hier qu'une infime somme emplie de contrariétés et bourrée de complexités croient par le mirage du poste qu'ils peuvent mettre à l'abri l'indigence caractérielle qui les transcendait.

Si l'on est arrivé quelquefois à faire l'icône dans certaines annales citadines, il n'est pas toujours facile de pouvoir s'éterniser à croire que l'on puisse le faire à des étages un peu plus supérieurs. Là c'est un mécanisme machinal qui s'opère sous les exigences de la promotion. Plus de douceur, plus d'écoute et plus d'attention. L'accession n'est pas uniquement une montée dans les galons ou un déplacement d'une province à une capitale. Elle doit être la résultante d'une grande force d'adaptation et de capacité d'agir au-delà des tourmentes, des humeurs et coups de gueule. La trempe d'un Monsieur ne se mesure-t-elle pas à l'intensité de l'amour qu'il est censé porter à ceux-là même qui le lui vouent ? Si un musicien membre d'un concert philarmonique sait distribuer des sons et des notes à l'auditoire qui l'entoure, que dire alors d'un chef d'orchestre, maestro de ce grand concert qui rechigne à émettre le moindre geste ? N'est pas maitre celui qui malgré sa présence à la haute estrade ne sait que palper la baguette de direction sans pouvoir savoir l'agiter. Est-il totalement convaincu, l'observateur, conteur de demain.