Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Il serait temps pour la jeunesse d'y croire

par Ahmed Farrah

La politique est devenue un épouvantail placé dans le champ d'une jeunesse écrasée par le poids de ceux qui n'ont jamais cessé de l'ignorer. En retour, elle leur rend la politesse en tournant le dos. Elle ne se sent pas concernée par le jeu obsolète, d'un autre temps. Le tutorat minorant la répugne. Le paternalisme domestiquant l'amuse. Ils croient la connaître. Elle en rit, plutôt elle grimace et ironise subtilement. Elle n'est pas naïve. Elle sait qu'elle est cernée par l'opportunisme populiste de ceux qui ne la cherchent que pour en faire leur marchepied. « Mais t'es pas là, mais t'es où ? », semblent lui dire ses courtisans d'un jour. Elle n'a pas l'intention de s'abrutir à jouer les fontaines. C'est sa façon de se révolter. C'est l'expression de sa liberté. Ça sera sans elle alors !

Ils vont au fin fond du pays, du désert, là où la misère est moins pénible sous le soleil, pour remplir des cars de ces jeunes paumés à la recherche du temps de grâce. Ils appellent cet artifice leur université partisane. De façon plus insidieuse, il s'agit de profiter de la vitrine médiatique pour essayer de se faire voir et montrer qu'ils sont au travail, qu'ils soutiennent le « programme » du président et qu'ils sont surtout unis et rassemblés derrière lui, comme s'il avait vraiment besoin d'eux. Que sont-ils, s'ils ne gravitaient pas autour du pouvoir et ses largesses ? Que pèsent-ils sans le lest qu'ils portent ? Évidemment peu de chose ! Porter le burnous de marié, regrouper ses amis et sa famille, s'entourer d'hôtesses en karakou, hurler devant une pseudo-assistance qui ne remplit pas un estaminet et festoyer dans la liesse des lanceuses de youyous, devant des caméras, sous l'œil amusé des journalistes et sous la protection des vigiles-videurs, n'est pas politiquement correct. Plutôt une plaisanterie qui fait rire peu de monde.

Sérieusement, l'université d'un parti politique est le lieu de rencontre, d'échange d'expériences, de débats, de confrontations d'idées entre militants, et est surtout une école de formation et de réflexion pour des jeunes, à la lutte politique, idéologique et culturelle. Ces rencontres sont aussi un podium pour communiquer la ligne et la vision politique et son schéma de positionnement par rapport aux autres formations concurrentes ou alliées, et non pas un moment convivial de rassemblement narcissique. Un mouvement politique devrait être porteur d'un idéal autour duquel se rejoignent des femmes et des hommes pour contribuer à proposer des solutions aux problèmes de la société et à rendre fort et prospère le pays sur lequel ils fondent leur espoir et pour lequel ils suscitent des espérances.

Pour ce faire, cela nécessiterait la prise du pouvoir de décision et non pas se contenter de la rente afférente aux strapontins. Mais, sans une vraie machine de conquête électorale, sans la conviction des hommes qui portent le projet et sans une élite qui puisse le réaliser, la tâche serait impossible sauf dans les pays de non-droit où des cabinets de décideurs désignent les dirigeants et les imposent contre la volonté de la majorité. Ces dirigeants mal-élus traîneront longtemps leur illégitimité derrière eux, jusqu'à ce qu'ils l'arriment à des puissances étrangères pour acheter leur légalité et l'infliger à leurs peuples. L'exemple de ces pays tombés en lambeaux suite à des « printemps noirs » en est la parfaite illustration. Un pays n'est immunisé contre la mainmise des puissances étrangères que quand il est fort de l'intérieur.

En Algérie, on arrive à la fin d'une ère, celle de la légitimité historique, une nouvelle s'ouvrira sans doute. Alors, il reste à ceux qui pourraient prendre leur responsabilité et plus particulièrement les quadragénaires, et les jeunes nés dans les années 80 et 90 de ne plus rester en marge d'un processus qui s'enclenchera inévitablement demain. L'écriture d'une nouvelle page de l'histoire de ce pays devrait se faire en grande partie par eux, parce qu'ils sont en adéquation avec leur temps, le temps des réseaux sociaux, le temps des lanceurs d'alertes, le temps d'Aléxis Tsípras, de Matteo Renzi, de Justin Trudeau...Car comme disait quelqu'un : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde». Celle d'aujourd'hui, majoritaire et armée de savoir, le pourra-t-elle ? Oui, en osant et en s'impliquant pour ne pas laisser le vide à l'opportunisme, à l'immobilisme et à la médiocrité qui se sont étalés en semant les graines du délitement dans la société. La nôtre sait qu'elle ne le fera pas, car elle est depuis longtemps cryogénisée dans des rêves sans fin.