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De l'excès à l'abus de prudence

par El Yazid Dib

Examiner en réfléchissant, c'est bien. Une fois fait et décidé, c'est mieux. C'est un miracle de se faire délivrer, tranquillement, un document ou une exécution de foi. En finalité l'hydre bureaucratique n'est plus dans un guichet d'état civil ou au coin d'une mairie jetée, longtemps, aux injures de l'invective. La bureaucratie est dans la tête qui abuse des moyens de sûreté. La résistance persiste, ailleurs dans les soubassements d'entités ne fonctionnant qu'en mi-temps saisonnières. Elle est, aussi, dans l'esprit des indécis. Le plus souvent dans l'interstice des textes pondus à raison et oubliés à déraison. L'école bouffe le papier, l'université l'ingurgite comme un goinfre, un affamé. L'on exige des pièces pour valoir respect et obéissance à la lettre d'une loi. Mais pour se prémunir des probabilités d'une erreur, d'une distraction ou d'une satisfaction d'une idée personnelle erronée l'on fait recours à la prudence. Alors l'on tombe malade d'une overdose prudentielle.

Tout ce qui se dit sur des fortunes et des noms, des empires et des patrons n'est qu'une réalité qui se refuse à s'admettre et qui force la certitude pourtant, d'y croire. Une réalité difficile, parfois, à se mettre dans une vraie actualité. Des gens frôlant le désarroi, d'autres frimant de milliards. Des visages chiffonnés, cernés, blêmes et d'autres peu et moins visibles, sont, tellement, épanouis que l'on dirait des têtes d'étrangers. Les uns jalonnent les rues et s'attablent aux cafés, les autres se vautrent, dans la rutilance des sofas. Semblant vivre sous un même ciel, partageant la même espèce de pièces d'identité ; ils se différencient, les uns, par un besoin, les autres par un luxe. Dire que le bonheur n'est pas une situation, mais une sensation. Il se fait et se défait de rien et non d'un grand tout.

D'un scandale, l'on fait un menu du jour. Puis, plus rien. Tout se tasse. S'enlise. L'attente devient un horizon que tout le monde guette, suivant sa propre vision des choses. Sur cette terre, tant de fois aspergée de sang et d'émois ; le temps n'est plus à compter. Il se dépense, sans mesure. Comme une natte qui se défile en se tissant. Ce groupement d'individus qui ne s'identifie que par un S12 et un matricule statistique, n'arrive pas à se retrouver dans son ensemble. Il ne forme plus une entité mais des unités. Un troupeau, à la limite, est une somme qui s'assemble et se ressemble. Lui, anonyme, il vogue seul tout en ayant la croyance qu'il est plusieurs. Dans les dédales de l'incompréhension, il cherche, vainement, une mire de véracité. Dans chaque quotidien, il pense, enfin, la trouver. Son crâne se bourre de contradictions évènementielles et d'antinomies référentielles. Qui croire, bon sang ? finit-il par se dire.

Le peuple a besoin de responsables qui s'engagent entièrement dans la mission dévolue. Ils ne tergiversent pas. Ils examinent et décident. Ils mesurent et tranchent. L'on ne se cache pas derrière une mauvaise prudence pour retarder un devoir ou une promesse. Dans le temps, le pouvoir était une détermination franche et rapide. Il se décidait perçant, net et percutant comme un coup de sifflet dans un carrefour embouteillé.

Ainsi cette prudence excessive à libérer un papier, à prononcer une vérité, à achever une intention, à remonter la pente, à bâtir des rêves, à rendre heureux ou à refaire le monde n'est qu'un style de vie peureux, lâche et nullard. Un homme, comme un responsable ; s'il ne décide pas il meurt autant que se flétrissent son rang et tous ses statuts.