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Développement local : Doit-on encore confiner le Sud dans la rusticité ?

par Farouk Zahi

Rien n'est plus dangereux qu'une idée, quand on n'a qu'une idée. (Émile Chartier, dit Alain)

« Ici, le secteur le plus pourvoyeur d'emplois est celui des hydrocarbures, d'où la nécessité d'orienter la formation vers ce domaine», a-t-il (le Premier ministre) insisté, en recommandant aux autorités de supprimer les spécialités " inutiles " qui ne répondent pas aux besoins économiques de la région?." Laissez la coiffure et la manucure pour le Nord ! Ici, la formation doit être orientée vers le secteur des hydrocarbures qui devrait s'étendre aux jeunes de Tamanrasset, Adrar et Illizi ", a-t-il lancé, lors de sa dernière visite à Ouargla, aux responsables du centre de formation de l'entreprise nationale de forage (Enafor) à Hassi Messaoud.(Presse)

Médusé, le lecteur de ces déclarations se croirait dans les années soixante où le discours du chef était une sorte d'oracle que tout le monde devait prendre en compte, parce qu'il ne pouvait être que pertinent. Le responsable ne peut se tromper ! Mais, à quoi seraient donc dus ces attroupements tonitruants de citoyens au quotidien dans les diverses régions de ce vaste pays ? Même celles du Sud, jadis silencieuses et connues pour leur " maturité politique ", se rebiffent et réclament plus de considération dans la distribution de la richesse nationale. La revendication, somme toute légitime, tombe sous le fantasmagorique arrêt de la " manipulation occulte et malveillante ". On évoque même l'intention sécessionniste non avouée. On continue ingénument à dire la chose et son contraire. Dans cette anodine phrase : " Ici, le secteur le plus pourvoyeur d'emplois est celui des hydrocarbures, d'où la nécessité d'orienter la formation vers ce domaine ", l'ambiguïté est déconcertante. Dans un passé pas si lointain, on chantait les vertus d'une agriculture saharienne capable d'assurer et la sécurité alimentaire et le plein emploi par une fidèle réplique californienne. Le discours avertissait prophétiquement, de l'épuisement prochain des ressources énergétiques fossiles que recèle notre sous-sol. Cette lapalissade, évoquée dès le premier choc pétrolier de 1973, est contredite par la ferme décision politique d'aller vers l'alternative du gaz par fracturation, communément appelée " gaz de schiste ". Paradoxalement, c'est ce Sud silencieux qui s'y oppose en dépit des retombées économiques induites.

On se surprend à découvrir une société civile mûre et capable même de donner des leçons d'engagement citoyen à l'Internationale verte.

Toujours dans la contradiction, le discours développé à Ouargla n'est pas fait pour rassurer, telle cette autre phrase : " Laissez la coiffure et la manucure pour le Nord ! Ici la formation doit être orientée vers le secteur des hydrocarbures qui devrait s'étendre aux jeunes de Tamanrasset, Adrar et Illizi ". Cette déclaration, presque anodine, n'a même pas le privilège d'être sibylline pour lui donner plusieurs interprétations, mais aussi claire que l'eau de roche. Cela veut dire que l'oracle est persistant et qu'il ne laisse aucune place à la liberté individuelle participant d'un choix délibérément pris, celui de tracer son propre avenir professionnel. S'il est bon que les jeunes gens et pas tous, optent pour le secteur des hydrocarbures, d'autres choisiront le secteur qui réponde le mieux à leurs aspirations. Et dans ce cas, même leur propre ascendance n'y pourra rien.

Quant à la gent féminine, libre à elle de choisir le profil de formation qui sied le plus à ses penchants. Dans le cas contraire, le dirigisme rigide ne fera que reproduire les mêmes effets engendrés par les mêmes causes. Dans ce cas de figure, le Sud dépendra toujours du Nord même pour les prestations les plus prosaïques : soins esthétiques et autres coiffures. A moins que l'on considère ces populations méridionales comme non prêtes pour la citadinité et la modernité.

Coincé dans un carcan d'image d'Epinal, on se complait à réduire le Sud à son seul exotisme topographique, occultant souvent son enracinement culturel. Un simple petit séjour dans un caravansérail du Hoggar, du Touat ou du M'Zab fait faire au visiteur le tour du monde par la diversité des horizons d'où sont issus leurs hôtes d'un moment. Aucune place forte d'Alger ou d'Oran, ne peut réunir autant de cultures ou de parlers. Donc, point de maladresse langagière ! Quant à la femme saharienne, nous n'avons plus affaire à cette " créature " emmitouflée dans sa " malhefa ", mais à la femme ingénieur, médecin, enseignante universitaire aussi bien à Tam qu'à Adrar ou à Ghardaïa. Elle se déplace par avion, communique par " Skype " et passe parfois ses vacances aux Baléares.

" Ainsi, Sellal a-t-il piqué une grosse colère à la vue de la maquette de ce que l'on prévoit comme nouvelle ville de Hassi Messaoud qui aura à abriter 45.000 habitants dès 2018 : "Mais on se croirait à Bab-Ezzouar, là ! C'est quoi ça ? C'est quoi ces bâtiments ? Mais nous sommes en plein Sahara, pardi, pas à Bab-Ezzouar ! Refaites-moi tout cela ! Revoyez-moi tout cela avec des bureaux d'études et faites nous une belle cité en tenant compte des spécificités architecturales et climatiques de la région ". (Presse).

Projet structurant de portée nationale et pourquoi pas continentale, lancé en grande pompe en 2008 pour une hypothétique occupation par 45.000 âmes en 2018, il semble marquer le pas. La preuve en est donnée par les atermoiements et tergiversations participant plus de l'idée reçue que de l'expertise. Pourquoi, à chaque sortie, est-il fait référence à Bab-Ezzouar ? Ce conglomérat urbain serait-il le soft architectural ou bien le modèle à ne pas suivre ? Encore une déclaration qui n'est pas faite pour être lisible.

Qu'elle serait cette spécificité saharienne qui empêcherait Hassi Messaoud, à l'inverse de Houston et de Dubaï, aussi arides que désertiques, d'être une capitale pétrolière insolemment moderne et plateforme intercontinentale du trafic aérien ? Elle, appelée à devenir une cité multiraciale et multiculturelle, donc une méga-cité du monde du business pétrolier.

Lieu dit, cette agglomération née dès 1956, au lendemain des découvertes pétrolières, évolua au gré des contingences et des humeurs de ses gestionnaires. Elle ne perdra, par sa modernisation, ni de son attrait commercial ni encore moins d'un quelconque legs patrimonial. Osons, donc, le pari d'en faire un centre de rayonnement en phase avec le nouveau millénaire où il n'y aura point de place pour les anachronismes et la rusticité !