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L'Algérie singulière et plurielle

par Ahmed Farrah

La biologie met en garde les populations d'individus qui s'isolent en dressant des barrières géographiques et qui ne se multiplient qu'entre eux, car ils ne font que raccourcir le temps qui les rapproche de leur extinction. Ils semblent ignorer que le renouvellement continuel de leur génome les protège contre l'atavisme réducteur et moribond qui est potentiellement inscrit en eux. Les sociétés dominantes sont celles qui ont compris, déjà très tôt, que leur puissance n'est que le prolongement de leur diversité biologique, de peuples et d'ethnies.

Dans l'antiquité, Rome fut celle qui propagea par la force de la Pax Romana sa civilisation et sa culture au reste du monde. Comme le fit aussi au moyen âge le Monde musulman avec ses conquêtes expansionnistes et le fait encore aujourd'hui le Monde occidental. Le point commun de ses trois civilisations est l'assise multiculturelle qui permet aux grands dominants de tirer leur puissance. Les conquêtes musulmanes n'auraient jamais eu lieu sans les peuples non originaires de la péninsule Arabique convertis à l'islam. L'Amazigh Tarek Ibn Ziad conquit la péninsule Ibérique, le Kurde Salah Eddine Al Ayoubi (Saladin) reconquit la Palestine dans les guerres de croisades qui l'opposèrent à Richard Cœur de Lion.

Les grands et illustres scientifiques de l'ère médiévale qui ont donné aux musulmans leurs titres de noblesse, peu d'entre eux étaient Arabes, ils furent Perses, Ouzbeks, Anatoliens, Maghrébins? Avicenne médecin philosophe était de Boukhara, Averroès ou Ibn Rochd le philosophe et théologien rationaliste islamique était de Cordoue, Al-Khawarizmi mathématicien originaire de Khiva dans la région du Khawarezm en Ouzbékistan, Al-Battani était un astronome et mathématicien du sud-est de l'Anatolie en Turquie, le géographe Ibn Batouta était Maghrébin, Ibn Khaldoun aussi etc. Ce que fait actuellement le Monde occidental qui attire les meilleurs de la planète dans toutes les disciplines de la science, de la technologie, de l'art, de l'économie, des finances, du sport...

Ces derniers temps, certains esprits malintentionnés veulent annihiler l'altérité, qui a toujours régné en Algérie, pour on ne sait quel agenda. La diversité culturelle de cette terre tire son substrat de ses racines millénaires. Le repli sur soi, le repli communautariste, le repli identitaire et le repli régionaliste sont des germes dangereux pour la cohésion d'un pays. Au cours de l'Histoire profonde et jusqu'aux temps présents, de la Numidie en passant par les Rostomides, puis les présences ottomane, espagnole et française, le pays a été le théâtre d'un brassage ethnique et culturel plus ou moins remarquable, qui fait aujourd'hui sa singularité dans sa richesse plurielle.

Gommer les différences, c'est effacer l'autre, le vis-à-vis, le voisin, le concitoyen jusqu'à ce que cet eugénisme aboutisse à un pays de clonés. Un monde sans nuances, sans contraste et sans couleur. Tous se ressemblent, reflètent les mêmes ombres et dégagent les mêmes silhouettes. Un monde lassant, monotone, ennuyant, insipide et déclinant de tristesse. Un monde de consanguins qui frise l'inceste et qui court à son tarissement. En ces temps incompris, une ville algérienne pleure de ses larmes sa mise à mort par ses propres enfants. Un matricide douloureux, qui rend triste toutes ses sœurs qui ne croient pas à ce qui lui arrive.

Ghardaïa apostasiée, outragée, injuriée, trahie, reniée, profanée, abandonnée, terrorisée, poignardée, mutilée, martyrisée. Ghardaïa, la tolérante, la pacifique, la créative, a juré par les cris et les chuchotements nés dans les profondeurs du temps et dans les entrailles de sa terre que le talent de Moufdi Zakaria immortalisa dans l'hymne pour la patrie Qassamane, qu'elle ne sera que cette graine fertile qui enfonce ses racines pour souder les liens utérins et affectifs, d'héritage et de partage avec le reste de ses sœurs pour que vive l'Algérie unie, libre, plurielle et prospère.