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LE PETIT LAIT ET LA VITESSE DU PROGRES

par M. Abdou BENABBOU

Une chambre suffisait pour regrouper une famille. Plaquée au sol, allongée par cinq ou par six pour dormir la nuit tombée. Une couverture en laine usée et avachie suffisait au bonheur d'un soir parce que le sommier était un trône honni sinon inconnu. Une jarre couverte de jute cousu, livrée aux courants d'air, procurait un plus grand bonheur que celui qu'offriraient les trésors en toc d'un ou de deux pervers réfrigérateurs. Hier c'était ainsi. Base et culture de consommation ancrées et pourtant il n'était pas du tout question de marcher pieds nus ni de se prendre pour un indigène maudit ni d'en vouloir au temps et à l'Histoire pour avoir donné aux jours et aux heures une éternité. Le pain rassis ramolli à la vapeur épousait en justes noces le petit lait pour un coutumier petit festin. Le camembert et le gruyère ne s'incrustaient pas dans le lexique d'une vision apaisée sur le cours d'une vie que ne pouvait déranger l'absence d'une télé ni d'une machine à laver ou d'un lave-vaisselle.

La vertu et le respect de la parole donnée étaient émancipation et progrès. Ils sont aujourd'hui dans les factures d'eau et du gaz et de l'électricité et le phénomène du «flexy». Ils sont noyés dans l'étendue exponentielle des villes et du béton maladroitement invités et dans les couches des bébés.

Nostalgie mal assumée qui s'inscrirait sommairement par la force dans un relent réfractaire au progrès ? Non, un constat voulu primaire sur une avancée sans doute précitée d'une société algérienne à laquelle l'égalitarisme sans ressort a fait oublier des repères constituants. Il est donc logique que la rapine s'installe comme modèle de consommation et que la logique de la réclamation et de la démesure apparaisse comme une fin en soi.

Exiger tout et tout de suite devient légitime à la limite du vital quand un peuple ne s'est pas préparé avec une perspicacité adaptée à la vitesse du progrès.