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Le syndrome de la tortue et la bombe à fragmentation

par Bouchan Hadj-Chikh

Trop facile à dire aujourd'hui. Mais quitte à se répéter, la thèse du «foncer droit dans le mur» n'était ni une vue de l'esprit, ni un scénario «complotiste» pour beaucoup d'entre nous. Parce que le complot sautait aux yeux. L'encerclement évident. Le renforcement des bases militaires aériennes en Espagne, les «oreilles» électroniques dirigées vers le pays, les tentatives de pseudo-coopération en la matière, et jusqu'aux menaces à peine déguisées proclamant «viendra votre tour» traduites dans les faits par des mouvements des plaques sociétales organisées, tout indiquait bel et bien -si nous sommes incapables de prospectives politiques- que nous vivions depuis ces deux dernières années, les premières répliques annonciatrices de tremblements politiques sévères.

Tous les politicologues nationaux, les chercheurs et autres intellectuels ont tiré sur les cordes d'alerte. Si l'on devait revisiter tous les écrits publiés à ce jour, dans les médias, il sauterait aux yeux qu'une unanimité se dégage sur les maux et les remèdes proposés. Ces propositions tiendraient sans doute dans une seule solide étude documentée. Mais c'était sans doute, vu du cercle au pouvoir, des indications vexantes, s'il venait à les mettre en pratique parce que cela prouverait son incapacité à analyser le cours des choses, sur le plan national, régional et international pour identifier les solutions qu'ils n'ont pas entrevues du fait de la pauvreté de la gouvernance et l'absence de génie, de savoir-faire, d'orientations claires, d'objectifs sériés.

Il n'y avait certainement pas de quoi se sentir diminué pourtant. Les intervenants ne prétendaient ni à des postes de responsabilités ni à des maroquins. Dans l'esprit des femmes et des hommes dans les fora, il ne s'agissait que de mettre en garde la direction politique, en tant que citoyens, afin d'exonérer le peuple de débordements et lui permettre de faire l'économie de sang et de larmes.

Il était clair, depuis longtemps, que les revenus des hydrocarbures allaient chuter. N'avoir pas prévu cela relève de la cécité. Il suffisait de suivre les réchauffements de la «guerre froide», si je puis dire, pour l'entrevoir. Pour les Etats-Unis, il fallait briser la Russie. Cela ira en s'aggravant avec le retour en force, sur les marchés mondiaux, de l'Iran. Il était non moins clair que la paix sociale ne pouvait s'acheter sur le long terme. Il était tout aussi clair qu'un pays de près de quarante millions d'habitants ne pouvait se payer le luxe de gaver 43.000 importateurs, soit une personne sur mille, pour déverser sur nos marchés tout et rien et, si on les laissait faire davantage, ils auraient même importé l'air que nous respirons ! Tout aussi clair, comme cela fut prouvé, qu'en jonglant avec des milliards de dollars destinés à de prétendus investissements, il s'en trouvât plus qui s'«égaraient» sur les bas-côtés de la route que destinés à assurer la qualité du produit des moyens de communications. On en vint, dans cette folie du gaspillage, à privilégier l'œil de l'expert étranger. Des municipalités, daïras ou wilayate en appelèrent à des consultants et à leurs pendants, les compagnies étrangères, pour ravaler des façades. Signes patents que l'on pouvait tout oser. Et tout fut osé.

Alors, aujourd'hui que le vent chaud souffle de partout, le syndrome de la tortue nous atteint. La tête rentrée, les pattes repliées dans la carapace, on attend que s'arrête de tomber la tempête. Espérant alors poursuivre le chemin -vers où ?- sans entendre le bruit grinçant des chenilles du char, nommé nouvel ordre économique mondial, qui l'écrasera. Et tout cela pourquoi ?

En première analyse, nous fûmes les victimes de «maaza oua laou tarette». Le virage était en vue, devant nous, mais nous continuâmes à poursuivre la route sans penser à modérer la vitesse pour le négocier.

Il fallait faire une pause, renouveler le personnel, apprendre à s'écouter avant de parler. Admettre que cette République n'est plus fonctionnelle. Qu'elle ne répond plus à rien. En discuter les nouveaux termes après une écoute du Grand Sud éternel, celui qui nous dira, avec des mots simples, qu'il a été l'oublié du développement (mot impropre quand il ne désigne pas une articulation des tâches et une vision), qu'en bordure de la route, il existe des citoyens qui ne veulent pas que l'avenir de leurs enfants soit hypothéqué par la fracturation du gaz de schiste. Ecouter les femmes et les hommes de Ghardaïa, avec son architecture que le monde nous envie, nous dire ce que vivre ensemble veut dire, écouter les femmes et hommes de la Kabylie et des Aurès héroïques et évaluer leurs visions de ce que demain sera fait, tous ensemble, et qu'ils ne méritent pas leurs sorts, que des programmes spécifiques à chaque région méritent attention, considération et révision (sans cabinets conseils étrangers parce qu'ils ne peuvent pas savoir mieux que nous ce que nous voulons faire de ce pays) dans une dynamique nationale, que l'on arrête de vivre dans le mensonge des «élus du peuple» que ce peuple, lobotomisé par une culture -curieusement elle aussi importée-, réduit à un estomac à digérer dans la méfiance et la crainte du lendemain, et qu'une «ouverture démocratique» n'est qu'un slogan vide justifiant les pires dérives au nom de la démocratie, justement.

Il suffisait de presque rien. Il suffisait de s'écouter. De mettre les «ego» de côté, d'ajuster les textes fondamentaux à un pays assiégé pour lui permettre d'élever des remparts. Et avancer. Laissant derrière lui la tortue à son sort funeste. A ce moment, nous n'aurions pas eu besoin d'incantations magiques venant de tous les côtés pour rappeler, aux uns et aux autres, que «nous sommes Algériens». Nous n'avons jamais cessé de l'être. Une nationalité fermement revendiquée pour laquelle le sang le plus pur a coulé.

Ce qui est triste à dire, c'est qu'une telle situation politique, sécuritaire, n'engage pas à oser, à défier le sort, une fois encore. Tête rentrée, pieds repliés dans la carapace -que l'on pourrait nommer diversement-, nous croyons pouvoir parvenir à sauver les meubles. Comme la fois précédente. Quand nous fut imposé le combat à mort.

Sauf que cette fois, les experts en armement sont entrés dans le jeu. Il ne s'agit pas d'une bombe classique destinée à nous dévaster, mais d'une bombe à fragmentation. Imprévisible. Et là, l'expérience en la matière, disséquée dans toutes les écoles antiguérilla -dont Daech est l'illustration, l'émanation et l'antidote-, est obsolète. Comme on le constate tous les jours.

Trêve de raccommodage.

Il n'est jamais tard de revenir aux fondamentaux. A l'écoute. A la légalité républicaine. Des valeurs sûres.

Et ce que j'écris là, nombreux l'ont dit ou écrit bien avant ce jour.