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Le monopole du cœur, une piraterie lucrative

par Ahmed Farrah

Ces possessifs et épris de sentiments d'amour platonique ou charnel, jaloux jusqu'aux os de la nouvelle Algérie qui semble logée dans leurs cœurs, dénient aux autres leurs origines inscrites dans les entrailles de leur terre, dans les profondeurs du temps et leur refusent le lien utérin et affectif, d'héritage et de partage et aussi le droit de la voir autrement et sous d'autres perspectives et autres oripeaux, avec sa lumière et son ombre. Ces tuteurs autoproclamés, loueurs de lunettes de correction, ne tolèrent pas que d'autres la regardent, sans les yeux qu'ils leur affrètent avec des verres de location. La trahison et l'adultère les habitent et les noient dans leur frustration de ne pas assumer que leur princesse Cendrillon, exagérément magnifiée, n'est plus cette sublime créature après les douze coups de minuit. Ils ne s'accommodent pas de leurs sottises et de leurs certitudes trop lourdes à supporter. Il est vrai qu'il est intellectuellement malhonnête de jeter le bébé avec l'eau du bain, dire que tout est noir est un mensonge, que même le semer sur toutes les terres fertiles n'en fera pas une vérité. Comme aussi exagérer le maquillage de l'écho du bruit assourdissant, en mélodie audible et l'envoyer aux confins de l'univers, il arrivera ridé, l'échine courbée et vieilli à l'autre bout de la frontière. Rappeler à sa bien-aimée ses imperfections, c'est l'aider à les corriger pour qu'elle ne sera que plus belle encore et rayonnante dans son monde. Les danseurs du ventre et Scapin lui chantent les mots d'amour, mots de tous les jours, pour la conquérir. Les prétendants intéressés sont nombreux, les charmeurs aussi, les courtisans arrivistes, coureurs de « chkara » défoncent toutes les portes pour nouer des secondes noces avec elle. La prémunir des pièges qu'on lui tend pour l'enchaîner aux anneaux du harem des illuminatis, devient une question shakespearienne : « Be or not to be ». Que restera-t-il d'elle, si toute sa fortune qu'elle a eue de la succession de sa dynastie ancestrale, placée dans l'huile de roche lui est subtilisée ? Que sera-t-elle sans ses pierres précieuses que le monde lui envie ? Que deviendra-t-elle si une parcelle de son étendue arrosée du liquide rouge vermeille de ses enfants depuis Massinissa à Ben M'hidi, lui est arrachée ?

Oui, quasiment tous les Algériens vivaient dans la misère la plus inhumaine que le système colonial ait permis pour les asservir et les spolier de leurs biens et de leur terre.

Oui, la liberté n'a été recouvrée que grâce aux sacrifices de tout un peuple qui a juré de mourir pour que vive libre la patrie.

Oui, l'Algérie de 2015 est beaucoup meilleure que celle reconquise en 1962, avec des valeurs humaines, sociales, morales et la solidarité en moins.

Oui, l'Algérie a bâti plus de logements, construit plus d'écoles et de lycées, des universités et des hôpitaux et des routes sans commune mesure avec la France coloniale qui n'en faisait que pour les « Européens de souche », mais faites dans la précipitation avec ce que cela a prévalu.

Oui, en 1962, il n'y avait que quelques dizaines de médecins algériens et pratiquement pas d'ingénieur algérien, aujourd'hui, plusieurs milliers de médecins et d'ingénieurs formés dans les universités algériennes exercent en France, en déplorant le gâchis des bataillons de chômeurs universitaires.

Oui, la liberté d'expression est consacrée depuis les acquis d'octobre 1988, quoi que fassent certains censeurs de la pensée.

Cependant, l'Algérie reste en deçà de ses potentialités économiques parce qu'elle gaspille beaucoup ses ressources humaines et ses richesses naturelles, à cause de certains égoïstes véreux qui ont placé leurs intérêts privés et personnels avant ceux de leur pays, amassant des richesses colossales sans mérite et qui ne profitent qu'aux banques étrangères.

Aujourd'hui, certains d'entre eux crachent dans la soupe et oublient d'où ils sont venus, méprisant leurs concitoyens et s'assimilent aux colons qui, hier, utilisaient leurs pères pour des bêtes de trait et d'esclaves enchaînés par leur ventre aux boulets de la faim.

Seul un Etat de droit dans lequel règne une justice libre, une cohésion sociale et une liberté d'expression, peut garantir la pérennité des nations et reculer les dangers qui ne trouvent plus de mobile pour s'y greffer, sans ça, ces pays resteront les proies faciles d'un monde sans pitié pour les faibles. Ce monde sans scrupule croit, fortement, à la théorie de la sélection naturelle des espèces. Seuls les puissants subsistent, Darwin est leur gourou et le dollar leur Dieu. Les autres devront disparaître, ou se battre pour survivre.