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Roitelet d'un jour

par Ahmed Farrah

Au village, c'est le buzz. Le prodigue est là, visible à ceux qui veulent le voir. Les curieux, les sincères, les intéressés, les courtisans, les ambitieux, les sans stature, les sournois, les hypocrites sont tous là, sauf ceux qui s'en moquent. Physiquement, il n'a pas beaucoup changé, mais ce n'est plus le même. Encerclé par des bras, cerné par des mains tendues. Il n'en peut plus. Etouffé par les odeurs des sudations et l'haleine fumante des tripes. Il est poli mais pas intimidé, il se résigne, les laisse faire pour ne pas les vexer. Eux braient, ânonnent?, l'assourdissent. Il ne peut plus les écouter, fait semblant, ils ne se rendent pas compte de leurs pitreries puériles. Il n'a rien demandé. Il est là, juste pour une mission de travail. Ils savent qu'il est monté sur l'échelle des carrières. Pour eux, il est entré dans le cercle des décideurs, il ne devrait pas leur fermer la porte. Ils s'en rapprochent. Pas tous quand même, ce n'est pas sérieux !

D'ailleurs, il ne peut pas les prendre tous. Il essaye de renvoyer l'ascenseur à ses intimes seulement, il est fidèle en amitié. Mais aussi parce qu'il sait d'où est-ce qu'il vient. Il n'a pas oublié ses origines. Par le fait du sort, du hasard ou par un accident de l'histoire, il se trouve aujourd'hui, là haut à deux doigts, du propriétaire du toit des cimes. Avant d'arriver là, il avait avalé des tonnes de livres, avait cherché le sens des mots d'un lieu-dit à un autre, puis a creusé durement et tout seul, sa voie dans le sillon de la roche, gravi les montants de l'échelle, sans l'aide de personne. Non pas seul, soyons honnêtes, mais par une injustice juste, qui donne la chance à tous et au profit des masses, contrairement à l'utopique méritocratie qui est très sélective, pénalisante et éliminatoire, ce qui ne peut pas faire un monde d'un peu de tout. Il les a laissé faire, il s'est fait inviter à prendre le thé sous la tente, a festoyé le temps d'un méchoui, a quand même écouté leurs fourbes, a analysé leur bas niveau, a fait une régression mais féconde, pour ne pas tomber plus bas. Lui qui vit aujourd'hui, sur un nuage parmi les seigneurs des loups fossilisés que personne n'a pu mettre au musée. Déçu par les mentalités rétrogrades qu'il a trouvées, il ne compte plus retourner dans ce trou perdu, paumé et désolé, même si la nostalgie lui rajoutera des sentiments de lien ombilical, il ne fera pas marche arrière. C'est son dernier mot ! Il le jure sur la tête de sa mère.