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Encore un triomphe islamiste

par Kamel Daoud

Jusqu'où ira le deal entre le régime et les islamistes ? C'est la bonne question de la décennie. Tout le reste est verbiage. Les islamistes se sentent en force, en mode immunité et en position de négociations et d'imposition. D'un côté, le régime possède l'argent, l'armée, les soutiens internationaux ; de l'autre les islamistes ont aujourd'hui des journaux, des télés, des mosquées, l'appui de l'internationale islamiste, les écoles, la rue, les opinions et la permissivité et les espaces publics ou administratifs et la caution des « représentants d'Allah » face aux « représentants des martyrs ». Les deux négocients la capacité de faire bouger la rue ou de la frapper. Dans le deal, les islamistes se sentent cependant en position du mâle dominant : ils peuvent faire bouger la foule et, pire encore, au nom de Dieu. De l'autre, les Bouteflikiens sont dans l'inconfort : ils jouent tout à la fois au régime policier et à la prosternation soumise. S'y mêle la crise mystique de Bouteflika, la « culture nationale » qui ne tranche pas, la fausse sortie à la crise des années 90 et la faiblesse du régime qui négocie son pantalon contre le kamis. Les islamistes aujourd'hui paradent dans les rues comme un Ali Benhadj dans son treillis il y a vingt ans.

Cela s'est vu et démontré à maintes reprises ces derniers temps. En dernier, la fausse affaire de la suppression d'autorisation pour les grossistes d'alcool décidée par Benyounès. Selon des sources, et comme prévu par le chroniqueur, la décision de Benyounès est suspendue. Des journaux et le FIS et le lobbys de la Charia ont gagné et ont imposé leur décision. Devant le recours aux mosquées, aux imams et aux chaînes TV, le régime a décidé de reculer. Et donc la question est de mise : il va reculer jusqu'où dans ce compromis sans fin avec les islamistes ? Car dans ce jeu, les kamis avancent, prennent du terrain et du pouvoir et reviennent au point du début 92 sans passer par les bêtises du FIS : ils sont plus rusés et donc plus patients. Et dans ce jeu de reculade et de concession, le régime perd du temps et ne le gagne pas et le pays se « califise » à vue d'œil.

A regarder de près, il y a si peu d'espoir : on finira en mode Pakistan puis en califat triomphant. L'un des galeux de ce mouvement avait annoncé le califat algérien dans 60 ans, dans un journal français, « Le Parisien » : il n'a pas tort ; on y va tout droit. On y est. Il ne manque aux islamistes aujourd'hui qu'une armée et ils l'auront en formant les écoliers algériens à la chouroukisation et au turban comme astre du monde. L'Algérie leur tombera dans les mains sous peu. Un risque pour le régime ? Il s'en fout : il aura pris soit un avion, soit une tombe. Etrange suicide : un régime qui a osé le coup d'Etat face aux islamistes pour en venir à leur embrasser la main vingt ans plus tard et à leur servir du thé sous la caméra.

Pauvre Chadli et les 200.000 autres morts pour rien puisque le FIS, lui, se porte bien et est encore vivant, riche et écouté.