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La pelote

par Bouchan Hadj Chikh

Le texte de la Constitution, dernière mouture, serait à l'étude par le président de la République. C'est ce que l'on vous assure. Les « milieux généralement bien informés », et les « sources sûres », s'emploient à vous vendre l'idée. Ces personnes qui se trompent si souvent (ce qui nous prouve combien le pouvoir et son exercice sont compacts) vous ont déjà donné un avant-goût de leurs capacités de prospective en annonçant un remaniement ministériel en profondeur auquel même les ministres auraient fini par croire puisque, toujours selon les « on-dit », leurs activités sont en mode « roue libre » en attendant leur remplacement.

Sans doute dans un soucis d'apaisement, pour prévenir les mauvais gestes, les perturbations de vos cycles de vie, comme des manifestations populaires (qui les provoqueraient, je vous le demande ?), les observateurs en viennent à conclure que la consultation sur la révision ou la refonte du texte fondamental de la République, Xème du nom en 53 ans, sera le fait du Congrès, Assemblée nationale et Sénat réunis pour se prononcer par « oui » ou par « non » - le premier devant être « franc et massif » - sur les nouvelles dispositions constitutionnelles.

Exit donc l'exercice de la souveraineté du peuple ? Que non, vous affirme-t-on. Elle sera mise en mode « pause », c'est tout. Pour ne pas vous perturber. Et comme vous ne vivez pas en régime totalitaire, comme chacun sait, les représentants du peuple, députés et sénateurs, pourront s'exprimer en votre nom. Ca devrait vous suffire. Non ? Si vous pensez le contraire c'est que, franchement, vous êtes de mauvaise foi. Puisque vous avez élu ces « représentants » dans les hémicycles pour légiférer en votre nom et au nom de la République une et indivisible. Vous ne les auriez pas élu pour décider de votre enveloppe juridique ? Là, vous poussez le bouchon un peu loin. Les textes de la présente constitution, encore en vigueur, remarquez-le, jusqu'à son remplacement, l'autorise. Donc, tout baigne.

Le bon droit est du côté de ceux d'en face. Ce droit qui a été grignoté, jour après jour, élection après élection, jusqu'à éroder la langue de terre sur laquelle vous croyiez pouvoir tenir debout. Que vous reste-t-il ? Le vide. Celui qui donne le vertige et qui vous obligera à reculer pour ne pas y choir. Il y a longtemps que la formule « un pas en avant, deux pas en arrière » ne veut plus rien dire.           Du moins dans sa section première.

Mais, rassurez-vous, vous vivez en république. Encore une fois. Avec vos droits constitutionnels encore assurés. Comme le droit de vous constituer en partis politiques. Le droit de manifester. Sauf que, la question des partis politiques est liée à l'approbation du pouvoir qu'ils sont censés combattre ou, à tout le moins, discuter, voire même remettre en cause, ses décisions. Le droit à manifester, lui, est soumis à la question de l'ordre public. Manifester dans le calme, la sérénité. Que vous ne connaissez pas, semble-t-il. Quand le peuple en a eu par dessus la tête d'un régime, en 1988, il est descendu dans les rues. Et ça a fait beaucoup, énormément de dégâts. Des centaines de vies enlevées. Après quoi, celui qui ordonna de tirer sur le peuple -ou qui en était le premier responsable- a été démocratiquement élu pour le mandat suivant. Vous vous rendez compte ? Pour vous faire comprendre donc que vous n'étiez pas de ce bord, de ces personnes qui protestaient dans les rues, qui voulaient un changement. Une minorité. Le changement, ce n'est pas la rue qui le décidera. Ou qui l'a décidé. A froid, c'est une autre institution de l'Etat qui a remis de l'ordre. Son ordre.

La manœuvre était si spectaculaire, si séduisante que des personnalités politiques ont voulu se rappeler à son bon souvenir et l'inviter à jouer un « remake ». Sauf que la « grande muette » est restée muette à leurs appels. Il n'y a rien à lui suggérer. Le « timing » c'est elle qui en est la maitresse.

Dans les écoles, les cours d'histoire font souvent référence aux « révolution de Palais ». Enfant, je n'ai jamais su ce que cette expression recouvrait. Ni les instituteurs d'antan ni les professeurs du secondaire, ne prirent la peine de nous expliquer qu'il s'agit d'une cuisine interne, d'une course au pouvoir au sein d'un cercle restreint. Ce qui ne s'applique pas au mode de gouvernance pour lequel la légitimité est une règle. Dans votre cas, donc, les élus, ou mal élus, d'un côté, de l'autre, l'armée, et toute une série d'intervenants externes et internes, ont leurs mots à dire. Et le peuple dans tout ça ?

Compliqué tout cela.

Mon interlocuteur a résumé pour moi la situation que vous vivez. « Imagine, me dit-il, une pelote de laine de laquelle tu verrais plusieurs bouts de fil émergeant ici et là. Tu crois, en pinçant l'un d'eux, pour le tirer, dérouler tout le fil de cette pelote. Tu tires. Et tu te retrouves avec un bout de laine entre les doigts. Tu réessaies. Et c'est un autre bout qui se détache. Tu répètes plusieurs fois l'opération et tu obtiens un résultat identique. Le temps, que tu imagines long, à essayer de trouver le bon bout du fil pour dérouler cette sacrée pelote -parce qu'il y en a bien un quelque part- est décourageant. Tu te lasses. Ainsi, tu finis par baisser les bras. Pour vivre dans l'illusion que, quelque part, existe bien le bon bout. Dans la crainte que les maîtres du Palais le découvrent avant toi. Pour te ligoter ».

Je n'ai pas aimé son raisonnement.

Je l'ai quitté sans le saluer. Pensant à Alexandre, le Macédonien, et à son nœud gordien qu'il trancha de son glaive.