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Charlie-Ebdou

par El Yazid Dib

Le monde s'est levé hier sur le parvis de Paris. Un autre plus taciturne, rabougri et assis s'est terré ou s'est livré, décor insignifiant. Son plaidoyer reste inaudible, son innocence blackboulée. L'affaire Charlie Hebdo est en fait une duplicité de personnes. Une coexistence non avouée.

L'un et l'autre sont victimes d'une turpitude. Comme un mirage. Telle une histoire qui se lit d'un seul trait. A la Houellebecq. Sans amorce ni prologue. Une attaque, un titre, des morts. Et puis presque rien, en attendant la suite d'une vie qui ne sera pas trop belle à se subir. La poursuite est le propre d'une traque. L'assaut reste son corollaire. La France échoue là où certains la voient réussir. Abattre trois kalachnikovs n'abat pas le fondamentalisme, ni annihile les lourdes menaces. C'est à la source que l'on déracine le mal. Etre méchant avec des gens qui ne s'appellent pas Charlie, qui ne l'ont pas assassiné, qui sont aussi des Charlie-Ebdou, n'absout pas ces comportements discrétionnaires, racistes. « Je ne suis pas Kouachi » équivaut-il à « je suis Charlie » ? La formulation ne change nullement la sémiologie.

Le ciel de Paris s'est assombri et avec, toutes les peurs s'excitent au réveil de la peur de l'autre. La haine n'est-elle pas un regard ? Une distance ? Une négation ? L'affolement va poursuivre sa feuille de route. Le crier à la face de ceux que la biologie a rendus distincts va trouver ses anciennes amours travesties. C'est ici, dans ce creuset, que l'on ramasse les objets aléatoirement perdus. L'on y extirpe à la pelle le motif, le faciès et parfois l'histoire. La nouvelle forme que va prendre une autre enquête, cette fois-ci commodo et incommodo, sera une expropriation individuelle au droit d'expression. Rien n'arrivera à distinguer dans le brouhaha surchauffant les extrémismes un arabe de nationalité française d'un Français de confession musulmane et d'un juif non français d'un athée quelconque. Tout ce monde a peur. Il ne reste que le teint, la frimousse ou l'air du temps qui sauront, et encore à l'emporte-pièce, équilibrer le sens génétique humain.

Avec la résurrection des démons qui grincent les crocs rien ne sera vaincu. Le terrorisme est aussi une vision asphyxiée d'un contre-terrorisme de haine et d'étiquetage. L'incitation vers l'aventure de la société française dans tous ses segments est en phase de réunir, une fois encore, ses mauvais repères. Les condamnations sont-elles suffisantes pour condamner à l'arrêt les débordements de la malveillance ? En fait de réprobations et dénonciations, les Etats, leur personnel citoyen l'ont unanimement fait, mais seul un côté bien coté de côté est pris en évidence. L'autre revers subméditerranéen, golfique ou persique est en sourdine. Deux voix, un seul écho.

Que ces terroristes estiment avoir ainsi gagné un paradis par un djihad félon, c'est leur affaire, leur conviction. L'essentiel qu'en face de ce paradis convoité de la sorte, ils ont laissé l'enfer à autrui. La géhenne dans un Eden disparu. L'illusion paradisiaque qu'ils se faisaient a plongé un petit monde tranquille dans l'horreur d'un monde houleux. La monstruosité commise désapprouve l'emploi d'une hypothétique revanche sur une graphie.

C'est paradoxal de constater cette finitude d'humanité qui, en face des drames, au lieu de s'assembler et rassembler ses pertes, l'on voit que certaines gens se renoncent, se maudissent, se dévisagent affreusement les uns les autres. Charlie-Ebdou n'est pas encore intégralement mort.