Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Terrorisme

par Brahim Senouci

J'oscille entre tristesse et désespoir. J'ai l'habitude des nuits de sommeil peuplées de cauchemars, fruit du souvenir de cette décennie noire durant laquelle des dizaines de milliers de mes concitoyens algériens ont trouvé la mort dans des conditions abominables. Durant cette période, les manifestations de soutien, ou même de sympathie, étaient rares. L'attaque meurtrière de la Maison de la presse d'Alger, le 11 février 1996, tue dix-neuf personnes et détruit les moyens d'impression de trois titres. Avant cette attaque, cinquante-quatre journalistes avaient été assassinés. Durant cette période tragique, les Algériens avaient expérimenté l'horreur, non seulement de la violence aveugle mais aussi celle de la solitude. La tragédie se prolonge dans d'autres lieux, en Syrie, en Irak, en Libye, au Mali, dans l'indifférence du monde. Pour ce qui concerne au moins l'Irak et la Libye, la responsabilité des puissances étrangères est largement engagée.

Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont mené une expédition illégale en Irak sur la base de mensonges désormais établis. Personne ne demande aux dirigeants de ces pays de rendre des comptes.

En Libye, en plus de ces pays, la France et des royautés proche-orientales sont responsables des bouleversements qui ont abouti à remplacer une dictature par une anarchie sanglante.

En Syrie, les djihadistes massacrent avec des matériels volés à des organisations locales qui étaient très généreusement alimentées en armes par des pays occidentaux. La Palestine continue de faire l'objet d'un déni de justice scandaleux.

L'émotion ne doit pas faire écran à la raison. Les assassins de Charlie Hebdo ne sont pas des avatars de l'Islam. Ils sont le produit d'une logique impérialiste qui prétend modeler le monde à l'aune des intérêts de l'Occident. C'est ainsi qu'a été ouverte la boîte de Pandore. C'est ainsi qu'a été lancée la machine infernale qui se joue des frontières et qui vient frapper ses auteurs. Ce n'est pas une consolation?

Quelle douleur que la haine ait frappé des journalistes et des gens simples dans l'exercice de leur mission de veiller à leur sécurité. Qu'on me permette un mot en particulier pour Cabu que j'aimais comme un frère. Il était certes féroce mais pas méchant. Surtout, il ne donnait en aucune façon prise à une accusation de racisme.

Que faire ?

Rétablir, ou plutôt établir l'ordre ! Cela suppose qu'il faut en finir avec la logique d'exploitation à tous crins et qu'il faut instaurer, d'abord, une réelle démocratie à l'intérieur des Etats qui s'en réclament, mais aussi à l'échelle du monde.

En finir donc avec la réalpolitique de papa, celle qui s'accommode de la déshérence de pays entiers, de la misère et de la mort chez les autres, pour que prévalent les intérêts de ses promoteurs. Les appels à l'unité après le massacre de Charlie Hebdo doivent transcender la Nation, porter au-delà des frontières.

Ne pas s'inscrire dans la perspective d'un monde rassemblé, égalitaire et solidaire nous condamnerait à la guerre et à une vie rythmée par la peur et la guerre, sans fin?