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Visions de nuit

par Moncef Wafi

L'Algérie vue du ciel un soir de décembre alors que l'année s'apprête à mourir. Les députés n'auront pas de rallonge pour leurs fins de mois. L'Etat a dit non et le petit peuple a eu un sourire narquois aux commissures des lèvres. Il y a de quoi dans un pays où le ridicule ne tue pas, mais appelle la violence. Non contents d'être grassement payés avec des avantages frisant l'insulte en comparaison avec le niveau de vie des trois quarts des Algériens, les parlementaires demandent plus, encore et toujours. Plus d'argent. Plus d'impunité. Une retraite dorée sur nos dos. Et puisque l'Algérie adore les référendums inutiles, alors exigeons un autre pour voir si le peuple est d'accord pour payer les députés. On ne va pas tout leur retirer, mais le Smig fera amplement l'affaire. Comme ça, ils ne pourront plus oublier d'où ils viennent !

Sinon, il y a la rue pour protester, organiser des sit-in devant le Palais du gouvernement, marcher jusqu'à El-Mouradia pour exiger ces fameuses augmentations salariales et l'octroi d'un passeport rouge. Pour ce qu'ils nous apportent, moi, personnellement, j'opterai pour le référendum.

Quelque part sur l'autoroute qui cultive les paradoxes, l'Etat, encore, veut se dédouaner en imputant les morts à la mauvaise conduite des Algériens. Ce n'est pas nouveau, c'est toujours la faute au peuple qui fait exprès de s'envoyer bouffer les rambardes de sécurité pour embêter l'Etat. Pour gonfler les factures des hôpitaux et des morgues. Sur l'autoroute la plus chère au monde et la plus médiocre techniquement, l'Algérien meurt parce que la route gondolée construite par l'Etat, avec notre propre argent, se trouve dans un état lamentable. Nids de poules, mauvaise signalisation, affaissement de terrain, effondrement des ponts et tunnels, la totale quoi, en guise de projet du siècle. Et en plus, on veut nous faire payer pour prendre cette autoroute de la mort. Soit, l'Algérie a besoin d'argent avec le pétrole en solde dans le monde, mais il serait plus judicieux et équitable qu'elle prenne cet argent dans les poches des corrompus, dans les comptes en banque des nouvelles fortunes bâties en un battement de cils que de lorgner vers nos pauvres fiches de paie. Ailleurs, en poussant vers les frontières est, en se mettant sur la pointe des pieds, on peut voir la Tunisie et sa démocratie qui se construit. La vraie, pas celle de façade comme on a l'habitude de vivre, pas celle qu'on présente aux étrangers comme un acquis du 5 Octobre. La Tunisie est en train de devenir un exemple à suivre rien que pour connaître ce sentiment de justice sociale et de probité morale. La Tunisie d'aujourd'hui s'inscrit dans cette logique de la persévérance, de ni Etat policier ni Etat clérical, en trouvant la troisième voie. Et c'est cette route qu'on doit tracer pour notre part. Juste à côté, le marécage libyen, l'exemple à ne pas suivre. BHL, le terminator des pays arabes qui n'aiment pas Israël, a semé ses graines de la haine qu'on récolte, aujourd'hui, à nos portes. La guerre voulue par Paris et Washington est à quelques pas des rangers et Alger ne veut surtout pas d'une autre armée étrangère juste sous ses fenêtres. A l'abri d'un avion, l'Algérie donne l'impression d'un havre de paix. Une fois sur l'aéroport, l'absence du sourire en guise de bienvenue renseigne sur l'ambiance d'un soir. D'un pays entier.