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La gloire du perdant

par M. Saadoune

La Tunisie a un président élu au suffrage universel libre, le premier de son histoire. Que l'élu, Béji Caïd Essebsi, soit un vieux monsieur de 88 ans n'enlève rien à la fraîcheur de cette naissance à la démocratie qui fait de ce pays une exception dans le monde arabe. Certains voient avec un certain pessimisme dans la victoire de ce vétéran qui a commencé la politique avec Bourguiba des signes d'un retour à l'ordre ancien.

Pourtant, s'il est clair que des hommes de l'ordre policier de Ben Ali sont ostensiblement sur le retour, cela ne veut pas dire que l'ordre ancien va être rétabli. La Tunisie a progressé. Et même si les tentations autoritaires sont loin d'avoir disparu, la résistance politique et civique existe aussi. Et encore une fois, il est bon de rappeler que le nouveau président n'a pas été plébiscité au premier tour. Sa victoire au 2ème tour obtenu avec 55% des voix est confortable mais elle n'est pas non plus un blanc-seing à ceux qui veulent créer la confusion entre le besoin de stabilité et l'autoritarisme policier. Moncef Marzouki, grand militant des droits de l'homme et acteur majeur de la transition, perd avec les honneurs avec 44% des voix. Sans l'appui officiel du parti Ennahda qui a choisi de ne pas donner de consignes et une hostilité affichée des dirigeants du Front populaire (gauche).

Ces 44% qui se sont portés sur Marzouki montrent que les Tunisiens ne veulent ni d'un autoritarisme policier ni de l'éradication. Et encore moins du mépris revanchard de politiciens du Sahel à l'égard du pays profond. Il y a eu, sur ce registre, des écrits épouvantables à l'égard du Sud tunisien qui a majoritairement choisi de voter pour Marzouki. Ceux qui ont voté pour Marzouki sont suffisamment nombreux pour que les vainqueurs ne croient pas qu'ils peuvent revenir au passé. Le pays profond ne sera pas renvoyé au silence comme il l'a été sous Ben Ali. Ceux qui se sont battus contre la dictature policière avec courage et une pugnacité n'accepteront pas une régression vers un système humiliant.

La Tunisie a progressé et elle le doit à des hommes comme Moncef Marzouki qui devrait rester sur la scène politique tunisienne. Le pays achève sa transition, des institutions élues sont en place. Il reste à la nouvelle majorité - dont la composition est très hétéroclite - à démontrer qu'elle a les capacités de gouverner le pays, de résoudre ses problèmes et de lui ouvrir des perspectives sans compter sur l'étouffoir policier. Les trois hommes de la troïka, Marzouki, Ghannouchi et Ben Jaafar, ont réussi à mener la transition à bon port. Le fait que deux d'entre eux, Marzouki et Ben Jaafar, paraissent des perdants au bout du processus n'enlèvera rien à leur rôle historique. Ils ont créé les conditions d'une démocratisation tout en assumant la gestion d'un pays en proie à de grandes difficultés économiques et sécuritaires. Une nouvelle équipe arrive avec le vieux Béji Caïd Essebsi. Elle devra démontrer qu'elle n'a pas uniquement gagné en raison des risques politiques nécessaires pris par ceux qui ont mené la transition. Ces perdants glorieux ont mis la Tunisie sur les rails de la démocratie. Ils seront encore là avec de nombreux Tunisiens pour la défendre.