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Réminiscences d'un passé pas si lointain

par Moncef Wafi

Je revins à la kitchenette en cherchant, du regard, un reste de marc pour me préparer un noir, un cœur d'Arabe comme disait ma mère, mais ne trouvai qu'un fond douteux et trois cafards qui se promenaient, en me narguant, certainement, sur l'évier. Je haussai les épaules plus par lassitude que par dépit et posai mes fesses sur une chaise en bois branlante. Je réfléchis vite au programme de la journée, ce qui eut le don de m'enterrer un peu plus. Le boulot. Les morts. La propagande. La misère. Les intouchables. La peur de l'autre, des murs et des consciences. De mourir avant d'avoir vécu. De la politique et de ses dessous sales, des mauvaises nouvelles, de l'amour impossible et celui à mille balles (?). Puis, le soir, à compter les cadavres. A refaire le monde avec des si et des peut-être. A faire des rencontres impossibles avec des ivrognes que la vie a torchés. C'était il y a vingt ans déjà. C'était presque hier. La roue du temps a tourné, écrasant les indécis et les retardataires, ceux qui n'avaient pas encore compris qu'une page de l'histoire de l'Algérie avait été tournée. Déchirée pour une gloire personnelle qui allait durer. C'était le temps où l'homme ne valait que par sa parole donnée et ses actes sur le terrain. Ni compromis, surtout ni compromissions par rapport à ses valeurs. Mais voilà que le temps a changé, que les hommes ont commencé à calculer, puis à avoir peur de perdre ce qu'ils ont calculé. Les si ont remplacé les certitudes des armes et la politique a remplacé la bravoure. Le temps n'était plus aux héros mais aux zéros qui suivaient sur les chèques libellés et les commissions ont pris le dessus sur les omissions de l'histoire. L'Algérie du chantier a remplacé l'Algérie du maquis et les colonels de la lutte antiterroriste ont pris leur retraire d'office. L'Algérien de service est devenu la référence dans le domaine et les compétences sont mortes, étouffées par la bureaucratie et l'Ansej. L'histoire de l'Algérie, de 54 à nos jours, de Massinissa à Ben M'hidi a toujours été occultée, escamotée puis cachée à nos yeux et on ne saura la vérité sur ce qui s'est passé qu'après 135 années après la divulgation de l'enquête sur la mort de Kennedy, c'est dire. Mais il est de notre devoir de nous approprier la part de mémoire de cette décennie noire qui a tué des héros et enfanté des monstres qui, aujourd'hui, assis à la tête de fortunes bâties de sang et de mensonges, font et défont notre pays. Il est du devoir de chacun de nous de demander des comptes sur un épisode de l'Algérie pas plus vieux que le plus âgé de nos aînés et de connaître qui est qui ? Qui est le héros anonyme ? Qui est le lâche de service qui se retrouve aujourd'hui maître de nos destins ? On ne demande ni de réécrire l'histoire, ni de nous inventer une fable pour plaire, mais seulement de nous chuchoter la vérité. Puis après on verra?