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Alger contre l'Algérie

par Kamel Daoud

Hier, c'était le 1er novembre. Mais c'était il y a très longtemps. Tellement qu'il n'en reste que le rite. Le slogan du 60e anniversaire de la guerre de Libération ? «Alger contre l'Algérie». Explication pour les étrangers ou les indifférents : la capitale a été fermée pour les anciens militaires, les gardes communaux, les métiers divers et les glorieux dix militants du pays : ceux qui ont appelé à manifester pour obtenir le droit de manifester, justement. Ces derniers ont été embarqués un 1er novembre. 2014. Ou 1954. Sur l'échelle des libertés, on est presque aux mêmes dates parfois. Sur l'échelle de la libération, les deux dates sont différentes.

Par contre, d'autres ont pu défiler : Bouteflika au monument, les femmes en haïk, les vieilles voitures, les chevaux au centre-ville. Il faut être malade, femme voilée, animal ou démodé pour avoir le droit de manifester à Alger ? Non : il faut être policiers. Les mêmes qui ont manifesté pour leurs soldes comme des janissaires de la régence ottomane, ont interdit aux autres Algériens de le faire. C'est ainsi : c'est le pays du plus fort gouverné par le plus faible. C'est la force qui vous donne le droit, pas la loi. Les policiers peuvent aller défoncer le portail d'une Présidence vide mais le peuple ne le peut pas. Pour un 1er novembre, le message est clair. Mais arrêtons cependant de revenir sur l'évidence d'un régime composé de bras d'honneur et de bras armés. Revenons à la bonne question stratégique : jusqu'à quand Alger va être contre l'Algérie ? Pas la capitale du petit peuple mais le Palais du régime. Jusqu'à quand la zone autonome va tenir sans tomber ? Il y aura bien un moment financier, historique ou biologique où Alger va céder et se rendre ? La tension est nourrie depuis les années 90 entre cette ville et le pays. Surchargé de vieille rancune et exhumant de vieux réflexes d'avant l'histoire. Alger, en effet, est la ville de l'Autre. Du colon, du conquérant, de l'inquisiteur, du voleur de terres et de bétails. C'est la ville de l'Etranger. Celui est venu d'ailleurs. Elle préfigure le rapport de l'Algérien avec la ville. Du Makhzen d'avant la colonisation, du lien contraint entre le Dey et les tribus. Alger est la fixation de l'armée des frontières. L'enjeu de la guerre de l'été 62. Le but du pouvoir, son domicile fixe et sa hantise. Tout cela fonde le rapport du régime avec son Alger et des Algériens avec cette capitale. C'est une capitale exogène, située hors de portée, en terre interdite. Mais c'est une ville qui tombe à chaque fois. Puis change de mains, puis s'ouvre et se referme très vite. Alger contre l'Algérie est un match nul mais c'est Alger qui perd parfois. En nous perdant.

Et donc, pour ce premier novembre, elle est fermée à tous. C'est la ville-butin de 62 qui attend son 54.