Sujet du jour ? Le verbe. Le verbe est la loi de la gravité
dans le royaume des mots mûrs. Mais le sujet du jour ? Flou. Politique ? Si
peu. En général, après le 17 avril dernier, on ne fait plus de politique en Algérie.
On fait ses courses. L'opposition n'arrive pas à naitre. L'acte de s'opposer à
Bouteflika est mou, lent, trainant, hésitant. Etrange cas de corps sans têtes :
tout ce qu'on a pu trouver pour faire la guerre aux deux frères, ce sont les
anciens Premiers ministres. Signe d'une grave crise de leadership : il y a les
ainés et les nouveau-nés. Entre les deux, personne n'émerge. Ou n'arrive à
contourner les lois de la décapitation. Un autre sujet ? Oui : Sidi Saïd
propriétaire de l'UGTA. On aimerait le voir tomber. Méchamment. Pour le
plaisir. Parce que cela fait si longtemps. Parce que c'est un apparatchik.
Parce que c'est indécent sa longévité et sa docilité politique. Parce que. Mais
si le sujet est bon, la chair du bonhomme est sans sel. Il ne fera pas une
bonne chronique. Un autre sujet ? Le stationnement en Algérie : en épi (en
angle par rapport au trottoirs), en file et en chameau. Explication : le
stationnement en chameau se pratique avec une voiture mais avec la mentalité
d'un bédouin du désert : le désert est vaste, je gare mon chameau où je veux,
noué à l'horizon ou un arbuste. Le désert est dans la tête, donc je fais de
même dans mon pays qui n'est que celui de mes pas. Les Algériens, en gros, ont
appris une chose après la fin de la guerre civile des années 90 : stationner au
beau milieu de la route, en gênant le monde et la terre, sans souci, en face du
garage, d'un hôpital, partout et en double file surtout. Le tout avec ce regard
sans souci de la mauvaise herbe qui a deux bras, deux jambes et des yeux et des
cheveux inutiles. Sans excuses, sans pensée coupable et avec des yeux en formes
de deux gros mots gynécologiques. Le pire est la philosophie qui se cache
derrière : il n'y a pas de lois, ceux qui les respectent sont des idiots, le
pays est à moi, la voiture est un animal, le monde est une boulangerie gratuite
et la règle est celle du vent de sable. Cela fera un bon sujet de chronique :
on y retrouve l'Indépendance nationale devenue anarchie collective, la terre
comme semelle, la vision de l'Algérien quand à l'espace commun, le sens
d'autrui réduit à des épluchures, la dégradation de l'altérité en bousculade,
le mépris. Le stationnement en chameau n'a pas besoin du chameau mais seulement
du second animal du couple. Il est la preuve de cette bédounisation de l'espace
public, de la dislocation de la Cité par l'irruption des anciennes habitudes du
nomade.
Un vieux du village raconta un jour au chroniqueur enfant,
le premier jour où il posséda des chaussures : « Je ne les portais qu'une fois
par mois, un jour entier, et seulement lorsque j'approchais de la ville, là où
commençais le goudron. Je les enlevais quand je la quittais au crépuscule ».
C'était il y a mille ans, le début d'une belle histoire : je me souviens comme
si c'était hier du premier jours où j'ai possédé des chaussures. Mon père était
dans la Djemâa. L'époque où même le chameau avançait pieds nus et où même le
désert ne mangeait que les points d'eau et pas la terre entière. Passons la
poésie. Retour au stationnement : signe de la dislocation, de la dégradation du
lien, de la tribalisation du territoire : mon territoire/le terrain vague. La
terre commune n'est pas un bien commun mais une terre sans maitre. Je ne la
peuple pas, je la jonche. Mon lien au monde est jouissance, pas participation.
Je suis dans la razzia, pas la récolte. Je piétine, je ne marche pas. Le
stationnement en «chameau» a pour contraire le dos d'âne. Règne de l'étable.