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Choix salafiste: La stratégie médinoise ou la confrontation mecquoise ?

par Kamel Daoud

Quand on regarde l'insurrection mineure promise par les salafistes tunisiens contre leur anciens frères de lait (les Frères musulmans) à Kairouan, on se dit qu'on est, nous algériens, en avance : cela c'est du déjà vu, vécu et subit. Le Fis est dans les mémoires, Chadli, l'insurrection, les marches d'Alger, les premiers maquis, les premiers assassinés.

C'est alors que vient l'autre question : on est en avance vers où ? Qu'avons-nous dépassé que les autres pays « arabes » subissent aujourd'hui comme un souvenir algérien ? Où sommes-nous sur l'échelle évolutionniste des idées politiques ? Le régime aime à dire, par son Medelci l'explicateur, que le printemps « arabe », l'Algérie l'a déjà vécu et qu'il est derrière nos dos. D'accord, mais qu'avons-nous en face ? L'Algérie est-elle une expérience de démocratisation en douce qui réussit ou une islamisation en douce qui avance ?

Certains le pensent : les salafistes algériens ne sont pas devenus plus algériens et moins salafistes. Ils ont opté pour la méthode Médine, pas celle mecquoise. La première est la voie douce, d'alliances, de tribus, de prise de contact et de serments. La seconde est celle de la guerre, de la conquête, de la confrontation puis de la «Foutouhates». Selon certains, les salafistes algériens donnent déjà leçon de patience aux autres des autres pays : on ne peut pas voiler un peuple en un jour, mais voiler les jours, un par un, heure par heure. On ne peut pas installer le Califat en un mandat mais le faire en douce, graduellement et sans hâte. Le messianisme djihadiste succombe souvent à la vitesse et finit dans le mur, disent-ils. Donc patience. Du coup l'inquiétude légitime de ceux qui regardent le pays doucement soigner sa barbe et pas ses malades.

Le temps est sur quoi investissent désormais ceux qui font commerce d'éternité. Ils se sentent en confiance et l'avenir ressemble aux premiers passés. Les salafistes de Tunis expriment au mieux ce phantasme de l'éternel retour : ils voulaient leur congrès à Kairouan, la ville fondée par Okba Ibnou Nafi', figure mythologique du pan-islamisme en arme et en colonisations. Visage de la rêverie religieuse qui veut vaincre le monde, le faire plier en prières et reconquérir l'Andalousie perdue et retrouver l'empire et l'âge et l'or perdus.

L'idée de départ était de dire que le cas de la Tunisie est un remake pour l'Algérie. Il se trouve cependant que le monde entier est (doit être) un remake des temps passés pour les islamistes. Rien n'est donc réglé.