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4ème mandat pour la RTA

par Kamel Daoud

En Algérie, on sait qu'il existe deux ministères qui n'existent pas : celui de la Communication et celui des Affaires étrangères. Les deux dépendent tellement, absolument, psychologiquement de Bouteflika, que leurs tuteurs ont toujours cet air inquiet et gêné par leur condition de société-écran. On le sait, on le sent : Bouteflika garde la main haute sur les médias lourds et les AE. Aujourd'hui donc, le tout nouveau ministre de la Communication vient nous parler de l'ouverture de l'audiovisuel : elle se fera graduellement, à petits pas, par petits paliers, selon ce qu'il vient de dire au peuple qui possède des décodeurs et des chaînes pirates. Contrairement à la promesse inquiète et hâtive de l'an 2011, dans la panique des révolutions «arabes».

Après la chute de prestige du printemps « arabe », le Pouvoir revient donc doucement sur sa promesse. L'actuel ministre est cependant sincère, dans sa fuite en avant : il a dit une vérité qui le dépasse : l'ouverture, la fameuse, se fera après 2014 : ce sera le dernier mandat de Bouteflika ou un autre Président qui aura un rapport moins trouble avec la caméra, les boutons, les télécommandes et le narcissisme des scènes internationales.

On aura donc compris qu'on ne veut pas se faire avoir comme pour le pluralisme de 1990 et que le régime a mis 20 ans pour s'en débarrasser. Là, on va faire mieux : d'abord de fausses chaînes privées comme il en existe déjà, un champ verrouillé, contrôlé et avec des gens accrédités et politiquement corrects et des lois qui permettent de garder la main sur les commandes. Il ne s'agit pas d'ouvrir l'ENTV au monde libre, mais de faire soumettre le champ audiovisuel à la culture ENTV.

L'image ne sera pas libérée pour le moment. Elle restera là, assise, parlant de ce que veut son maître, ventriloque et destinée à la biographie sans fin et non au récit de tous. L'image restera sourde et muette et burlesque jusqu'en 2014 ou même après s'il y a quatrième mandat. « Graduellement » est à mettre en échelle avec les 15 jours qu'il aura fallu pour amender la Constitution et permettre la Présidence à vie et sans limites.

C'est le signe le plus fort d'un retour sur des promesses faites : du multipartisme en vrac pour tuer le pluralisme, des élections chaque demi-journée, le harcèlement étudié des militants, instrumentalisation de la justice.

Question : pourquoi cette peur atroce qu'a le régime de l'image ? Parce que une image vaut mille journaux. Parce que le régime n'aime pas être filmé de dos, en train de mourir lentement et de partir sûrement. C'est le syndrome de la belle-mère de Blanche-Neige face au miroir cruel. Parce que aussi, c'est beaucoup d'argent. Parce que aussi c'est une souffrance psychologique : le décolonisateur ne veut pas mourir, ne veut pas être filmé vieux et mal coiffé, parce que l'image est un reflet. Ce rapport trouble à l'image se trouve partout en Algérie d'ailleurs : les photographes de métier le savent autant que les journalistes : les policiers font une fixation sur les photographies lors des émeutes, marches, manifestations. Prendre une image, c'est prendre l'âme selon les anthropologues des sociétés dites primitives. Il y a dans ce lien incestueux donc, autant de l'histoire nationale que de la préhistoire nationale.

Donc on continue : un Président des années 70, un parti unique des années 60. Une RTA des années 62. Et après 2014 ? On ne sait pas. Graduellement, dit le ministre qui va s'effacer lui aussi graduellement. Nous restons l'un des rares peuples au monde avec une télé unique qui a un œil unique et qui regarde une unique personne, tout le temps, pour parler de lui, uniquement.