Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

BALTAGUA ISLAMISTE

par M. Saadoune

C'est un grand bras de fer qui se déroule en Egypte où le pouvoir détenu par les Frères musulmans a décidé de faire un passage en force et d'aller vers un référendum le 15 décembre prochain pour valider la Constitution. Le débat sur le contenu de cette Constitution - qui comporte des dispositions léonines sujettes à interprétation - est devenu presque secondaire par rapport à la forme.

Des journaux qui font grève aujourd'hui ont cependant fait le travail en relevant l'absence de garantie pour la liberté de la presse qui est bien le fruit de la révolution. Ils ont publié un dessin commun d'un journal menotté assorti d'une légende claire : «Une Constitution qui supprime des droits et menotte la liberté. Non à la dictature». Il y a donc des questions graves qui se posent sur le fond du texte. Au lieu d'en discuter et de rechercher le consensus, le pouvoir a choisi d'aller vers la crise et la confrontation. Il s'agit de remplacer le débat argumenté par des démonstrations de force et une dangereuse exhibition de muscles. Une sorte de «baltagua» islamiste pour faire taire et faire peur. Les pressions, quasi physiques, des partisans du président sur les magistrats illustrent l'ampleur des dérives et alimentent les tensions.

En allant vers un référendum populaire pour valider la Constitution après s'être octroyé des pouvoirs jugés exorbitants, Mohamed Morsi semble compter sur l'organisation des FM et surtout sur un assentiment implicite des Américains qui chercheraient «l'ordre» dans un pays névralgique pour leurs intérêts. A la place Al-Tahrir où se sont mobilisés les libéraux, les militants de gauche et des nassériens et des jeunes révolutionnaires, les Frères musulmans ont opposé des contre-manifestations de soutien au président. Les islamistes justifient les pouvoirs de monarque absolu que s'est donnés leur président. Pour eux, ce ne sont que des prérogatives temporaires destinées à contourner des blocages venant des juges. Le fait que ces derniers étaient en place déjà sous Moubarak est devenu un argument en soi pour les présenter comme étant animés d'une volonté de nuire au président élu. Il n'est pas difficile de constater que les juges en question n'ont pas toujours fait preuve d'une indépendance d'esprit sous Moubarak. Mais le nouveau pouvoir, tenté par l'autocratie, fait un usage abusif et des plus contestables de cet argument.

Les contestations qui s'expriment contre la pente autoritaire du pouvoir des FM ne se réduisent pas aux «fouloul» des partisans de Moubarak qui d'ailleurs ne se manifestent pas trop. Elles sont le fait de pans entiers de la société et d'hommes et de femmes qui ont lutté contre le régime de Moubarak et ont subi la répression. Les Frères musulmans qui ont été réprimés également par le régime - ce qui ne veut pas dire qu'ils n'ont pas entretenu des relations ambiguës avec lui - ne devraient pas l'oublier. Ceux qui se mobilisent aujourd'hui contre un abus de pouvoir inaugural ont de bonnes raisons de s'inquiéter devant la manière de fonctionner du pouvoir. La politique de la «baltagua» et des nervis est aussi inacceptable sous un vernis islamiste qu'elle ne l'était sous Moubarak