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Une centenaire nguni d'Isandlwana (Zoulou Natal) a prédit notre avenir

par Kamel Daoud

Une vieille femme du Zoulou d'Isandlwana (Natal), âgée de l'âge d'avant les chiffres, noire comme la nuit accoucheuse, découverte et interrogée par la presse mondiale dans le district du Zoulou Natal est affirmative: la finale de la Coupe du monde réunira l'Espagne à l'Algérie. Oui, bien l'Algérie a-t-elle dit en montrant le nord du doigt, un croissant pain chocolat et une étoile tardive dans le ciel. Elle a été claire, affirmative, avare en détails, directe et sûre d'elle: l'Algérie contre l'Espagne. Cette histoire fait aujourd'hui le tour des quartiers en Algérie qui ne sait même pas qui sont les Zoulous. La raison ? Le pays en est à la phase de la lecture des mains pour savoir ce que vont faire les pieds. C'est une sorte de stade clinique où l'espoir fait basculer le cerveau vers la prédiction et ouvre doit à l'irrationnel pour éclairer l'obscur.

 Que se passera-t-il si l'Algérie atteint la finale, sans scaphandre, sans programme Apollo, sans module lunaire, sans bourrage d'urne, ni fausses statistiques sur la Relance ? Rien. Ça sera un gros moment de silence national avec des gémissements d'hommes et de femmes atteints dans leur capacité d'assimilation. Un gigantesque point d'exclamation en ciment né tout seul. Un grand moment d'inquiétude sur la teneur du monde et la réalité de la matière et l'existence de l'atome. Il y a des choses qui n'arrivent pas et qui, lorsqu'elles arrivent, ce sont nous qui devons partir vers le ventre de nos mères. D'ailleurs pourquoi cette formule finale avec l'Espagne ? Une collusion de fantasmes peut-être à déchiffrer par la psychanalyse: l'Espagne est ce pays où a eu lieu une Coupe du monde où nous avons vaincu l'Allemagne sans les alliés. Donc ce pays est resté le pays des trois fantasmes fondateurs de la rêverie moderne: c'est l'ex-Andalousie dont rêve le poète, le GSPC, l'historien «arabe»; c'est aussi la destination des harraga, des exilés, de ceux qui veulent changer de vie en changeant de pays; enfin, c'est le pays de la nostalgie footballistique, le pays où nous avons battu le géant allemand et où on nous a volé notre qualification au 2e tour par un mauvais tour.

 Donc, selon l'inconscient collectif incarné par une vieille Sud-Africaine, ridée comme une vieille écriture, alerte comme un antivirus, mystérieuse comme son métier biologique d'aïeule de l'humanité, la finale sera entre l'Algérie et l'Espagne avec, cependant, un dernier suspense: on ne sait pas qui va gagner. Pourquoi cette femme est-elle sud-africaine ? Pour des raisons techniques de la rêverie: en Algérie il n'y a aucun sorcier dont la capacité de décodage va si loin, ensuite, les artifices de l'inconscient privilégient les effets spéciaux connus: pour que l'oracle soit crédible, il faut que le sorcier soit âgé jusqu'à être si proche de la mort que les dieux peuvent lui révéler l'avenir sans conséquence, il faut qu'il soit une femme car l'intuition est féminine et les profondeurs sont une maternité, il faut que cette femme soit noire car c'est ce qui reste de la nuit du temps, et il faut que nous soyons si désespérés, comme des grands malades déçus par les antibiotiques, pour chercher l'espoir chez des oracles inexistants. Tout nous a été enlevé: les mains inaptes, la bouche fermée, les oreilles impuissantes, les yeux frappés du mauvais œil, le nez raccourci par une décolonisation ratée. Il ne nous reste que les pieds. Dieu ! Faites qu'ils nous mènent loin !