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«Chouf ki dir» pour le meilleur et pour le pire !

par Remmas Baghdad *

« Voyez-vous dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions les suivent ».1  

Nous, Algériens, croyons fermement au miracle, en entier et en vrac ! La preuve, notre parler quotidien appartient à un domaine phraséologique sans limite qui nargue l'impossible, «koulou chey moumkin» expression qui fait partie intégrante de nos conquêtes. Nous croyons à l'impossible, mieux, nous le défions et nous pouvons même le dépasser dans notre imaginaire. Commençons par cultiver certaines expressions incontournables qui reviennent quasiment dans toutes les tractations : «Sahla ou sahel el hal», «sans problème»?. ! Celle qui fait figure de clé de résolution et qui marche fort aujourd'hui dans les situations les plus délicates est sans conteste «chouf ki dir». Cette expression-sésame brave les normes et les schémas les plus controversés, allant de la négociation la plus ordinaire à la décision la plus complexe. Au marché, elle peut clore une transaction financière qui s'avérait indiscutable au départ. Chez le pharmacien, le médicament- équivalent peut être préconisé au dépend de la santé du malade. Chez le garagiste ou vendeur de pièces détachées, les solutions de rechange sont rapidement trouvées. Les données d'un examen ou concours peuvent changer en un tour de passe-passe à l'évocation de notre pilule-miracle. Une liste d'attributions de logement ou de promotion ne résiste pas aux sirènes du «choufkidirisme» Des containers qui pètent les pétards ou des marchandises prohibées arrimeront à bon port, grâce à notre formule magique. On peut aussi éviter le mitard en frappant à la bonne porte de l'illusionniste-phare quel que soit le délit incriminé, il suffit d'y prononcer la phrase magique «chouf ki dir». L'ardoise des crédits s'effacera sans soucis pour les adeptes du «chouf ki dir». Même les morts peuvent ressusciter pour «cause suprême» de la cité.

 Ce machiavélique «chouf ki dir» a causé tant de dégâts que cette société commence vraiment à tanguer vers la dérive. L'actualité ne prend pas une ride, à croire qu'elle est accroc au Botox et suspendue dans le vide. Ce sentimentalisme vicieux qui consiste à faire appel aux êtres malicieux pour réparer l'impensable par des détours malhonnêtes, a gangrené les normes relationnelles, les lois et l'éthique de tous les secteurs vitaux et opérationnels.

 A quoi est due cette facilité déconcertante dans ses comportements et ses prises de décision aussi graves ? La réponse ne se fait pas attendre, elle est reprise en chœur :les mentalités bien que «douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir»2 Devant ce raisonnement ressassé depuis des décennies, on ne s'est jamais donné l'effort pour expliquer le comment et les détails de ce qu'on avance dans une société comme la nôtre. Parler de nos mentalités semble plus complexe car on doit parler de liens très résistants tels que nos croyances, nos habitudes et notre foi. En dépit de cette dernière qui déploie une impressionnante logistique législative pour prévenir et guérir les maux et les vices de l'être humain «Dis-leur : Agissez ! Dieu appréciera vos œuvres, ainsi que le Prophète et les croyants. Et quand vous serez ramenés vers Celui qui connaît l'invisible et l'apparent, Il vous renseignera sur ce que vous aurez fait» 3

 Nous nous comportons comme de mauvais apprenants. On n'adhère pas aux traitements dictés par la loi on la contourne autant de fois, par toutes les voies et quelles qu'elles soient. On brouille les registres, sans oser dépoussiérer nos pupitres, les dénotations sont sujettes à connotations. Les vérités sont obnubilées ou maquillées. Ces comportements sont devenus légion - en brandissant hypocritement l'étendard de la religion - à voir notre magnétique persistance dans cette gymnastique de l'antinomie de complaisance.

 Le piratage est devenu notre labeur, la contrefaçon notre primeur, la corruption notre sueur, la médiocrité notre saveur, le clientélisme notre faveur, le moindre effort - avec tous ses torts - notre sport, le népotisme notre honneur et la violence sous toutes ses formes, notre couleur. Comme quoi changer les mentalités et l'inamovible crédulité d'une société encensée de mirages prometteurs relèvent d'un vrai miracle ou d'un Mehdi délivreur. Il est vrai aussi que balancer cette expression de changement à tous les coups est devenu une justification favorite pour s'accommoder de ce qui est condamnable. Au fait il s'agit de nous réimplanter en urgence le canevas d'une seule et unique «mentalométrie» bien claire : celle du respect des lois, de la transparence, de l'intégrité, de l'honnêteté, de bannir surtout l'impunité, de bénir l'excellence et d'encourager en synergie toutes les énergies. Appliquer fermement la théorie du concierge qui consiste à balayer le bâtiment en commençant toujours par le haut. Et puis ne dit-on pas que le cœur donne la direction, le cerveau la solution et le corps la concrétisation.

* Universitaire Saida

1- Antoine de Saint-Exupéry

2- Henri Poincaré, extrait de «La Science et l'Hypothèse» Edition Champs Flammarion, Paris, 2009

3- Saint Coran, IX, 105