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Les ministres de 2020

par El Yazid Dib

En ces quelques jours d'une année qui se finit avec abondamment d'interrogations, l'Algérie a connu ce qu'elle n'a pu connaître durant les dix mois d'effervescence. Les événements du mois de décembre 2019 ont secoué fondamentalement la placidité houleuse où la probable stratégie se les disputait à un sort providentiel imprévu et inattendu. Tebboune est élu président de la République, Bedoui a démissionné, Ahmed Gaïd Salah est mort. L'Algérie semblait se placer dans une salle d'attente, le temps d'un deuil de 3 jours et d'une cérémonie funéraire exceptionnelle. Le vide de Bedoui est vite habité par le ministre des Affaires étrangères momentanément. La navigation est à vue. En plus, aux premières heures d'un janvier d'une nouvelle année suspicieuse, un Premier ministre est nommé. Djerad. Retiré de quelques pages officielles omises d'une activité professionnelle, politiquement, disons, à la limite de la correction; il ne sera plus ni ce conseiller présidentiel ni ce directeur d'une Ecole nationale. Il est déjà au front, au four et au moulin. Un pénible défi l'attend. L'économique, l'union, la mutualité de confiance, le bonheur social. Bensalah, usé par le temps, blasé par un intérim qui a trop duré, va tirer sa révérence. Le Sénat est mis déjà aux enchères de la convoitise. Qu'en sera-t-il dans la nouvelle Constitution de Tebboune ? Quel avenir donc se profile face au Hirak une année après ? Un Hirak qui n'a plus la substance de sa naissance, ni en intensité ni en densité. Il croit persister en croyant que la rue va encore lui donner toutes les raisons d'un accomplissement ensoleillé. A défaut d'organisation et de responsabilisation, toute chose raisonnable de surcroît est vouée à du surplace. C'est dire que toutes les causes justes finiront tôt ou tard par triompher.

Je ne sais pas si c'est un problème de conception ou d'obligations de s'y adapter, la ministrabilité n'est pas une offrande d'un emploi ni un remplissage de postes politiques présageant y trouver une hypothétique alliance. Que représentent certains nouveaux ministres en termes de notoriété, de compétence ou de pratique ? Savoir dérouler un data show ou lancer des diatribes dans une Assemblée ou sur un plateau ne garantit nullement un sceau scellé sur une capacité de gestion. Certains sont tout à fait bleus. Ils n'ont jamais eu sous leur coupe un personnel, un budget, un commandement à exercer, des situations à dénouer ou des risques à prendre. Vont-ils se découdre à se sangler dans leurs nouveaux costumes tout en ne reniant pas leur état initial de simples citoyens ? Parfois de professeur, d'expert, d'orateur ou d'activiste. Seront-ils aptes à adoucir l'ardeur terrible qui tient en haleine chacun une fois sortis de leur orbite naturel pour se conformer à un usage auquel ils ne sont pas habitués ? Un ministre, non pas seulement pour ma génération, est un capital-savoir, une source de décisions. Pas un haut ou nouveau fonctionnaire le plus souvent venu si ce n'est pas d'un néant sidéral, d'un autre monde très loin du devoir et de la mission ministériels. Avoir un ministre de 75 ans en face d'un autre de 26 ans, c'est un demi-siècle de décalage mental, d'incompréhension technologique et d'humeur comportementale. L'âge pèse lourd et provoque par respect un suivisme aveugle, voire un ascendant obligeant. L'on s'attendait, selon le programme de l'ex-candidat élu Président, à ce que le premier gouvernement n'ait aucune couleur politique. L'on y voit la partisannerie encartée côtoyer la versatilité des positions politiques. Eclater un ministère cherchant une quelconque efficacité se fait dans des départements à grandes et hybrides attributions. L'agriculture est un domaine unique et indivisible, avec sa pêche, ses terres fertiles, son Sahara, ses zones steppiques, ses hauts plateaux. La culture n'est placidement qu'une production artistique, livresque et cinématographique. En faire des sous-ministères n'ira qu'en perte de temps dans l'installation, le tracé des frontières entre l'un et l'autre et des surplus de dépenses farfelues. Enfin, un point interrogatif, heureusement que le pays a une Armée nationale populaire, cependant, a-t-elle un ministère de la Défense nationale, sachant que le président de la République est le chef de toutes les forces armées. Gageons sur le bénéfice du doute et voyons-les à l'œuvre.