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La loi de la jungle

par Mahdi Boukhalfa

A voir la courbe démentielle des prix au détail des produits alimentaires, avec au premier rang les produits agricoles frais, il ne fera aucun doute que les autorités vont réagir. Intervenir pour calmer les marchés, réguler la demande tout autant que l'offre, et maintenir les mécanismes de fonctionnement du commerce des fruits et légumes, des produits subventionnés et, surtout, éviter toute pratique spéculative. Ceci est la théorie, ce qui devrait se passer dans les marchés de gros des fruits et légumes, des graines, du bétail et du poisson. Car dans tout pays normal, qui a un ministère du Commerce soucieux de la santé et du pouvoir d'achat des citoyens, respectueux de la politique gouvernementale de protection du consommateur et de l'équilibre des forces du marché, jamais les prix au détail ne ressembleront à cette véritable prédation qui s'est installée sur les marchés du pays.

Ce qui se passe actuellement dans le secteur du commerce est tout simplement une forfaiture, tellement ce qui est supportable et admissible dépasse tout entendement. Jeudi dernier, le ministre du Commerce par intérim et son homologue de l'Agriculture avaient annoncé la mise sur pied de brigades mixtes de contrôle et de répression de la fraude dans les marchés des fruits et légumes. En même temps, le ministère du Commerce avait donné l'ordre de déstocker quelque 60.000 tonnes de pomme de terre pour rafraîchir les prix de ce tubercule, qui oscillaient entre 90 DA et 100 DA le kg. Mais, à voir l'état de la mercuriale ce début de semaine et jusqu'à hier mardi, il est navrant de constater que l'intervention des deux ministres a eu l'effet inverse.

Le marché réel des produits agricoles nargue-t-il la naïveté des ministres du Commerce et de l'Agriculture ? Car les prix des produits maraîchers, après leur intervention de jeudi dernier, ont explosé. La pomme de terre monte à 90-95 DA/kg, la tomate fraîche à 150 DA/kg ou l'orange rabougrie (300 DA/kg). Bref, ces prix donnés à titre indicatif sont révélateurs du chaos total, systémique et structurel, qui règne dans le secteur du commerce en Algérie. La rupture est consommée depuis quelques années entre les réalités sociales économiques vécues par l'ensemble des Algériens, et celles des responsables, en particulier les ministres qui n'ont apparemment plus pied avec la réalité.

Ils sont coupés de la réalité des Algériens, ils vivent un grand décalage vis-à-vis de leurs administrés. Ou ils ont des rapports faux et enjolivés par leurs subalternes, soucieux de se maintenir à leurs postes, et donc ces ministres sont induits en erreur, ou ils savent tout et bassinent les Algériens de pseudo-solutions, juste pour passer les moments difficiles ou garantir une difficile paix sociale.

Mais, à ce jeu, qui sera le grand perdant ? L'Etat, les ministres de la république ou le commerçant lambda, le lampiste à qui on fait porter le chapeau de la folie des prix, alors que la bulle spéculative sur les produits agricoles frais et industriels, dont ceux importés, n'a jamais été, jusque-là pointée du doigt ni par le ministre du Commerce par intérim ni son homologue de l'Agriculture.

Sinon, comment s'expliquer ce pied de nez des nouveaux lobbies de la ?'patate'' envers les institutions de l'Etat, pour autant qu'elles représentent vraiment l'Etat souverain et implacable dans ses décisions, en particulier celles de protection, comme l'exige la Constitution, du consommateur. Non, à tout considérer, l'économie nationale a montré encore une fois qu'elle est gravement atteinte d'un profond syndrome de déliquescence et qu'il n'y a nulle thérapie dans un pays où la loi de la jungle s'est durablement installée.