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La route et les compassions réduites

par Abdou BENABBOU

Nous avons pris l'habitude de nous étendre sur les préliminaires des catastrophes que provoquent les accidents routiers en nous limitant malgré nous à la comptabilité morbide des blessés et des morts. La morbidité des chiffres, tout en n'étant pas l'apanage des seules routes algériennes, n'est qu'un tableau sec d'une autre épidémie mondiale face à laquelle le monde entier a fini par baisser les bras. Pourtant ce ne sont pas les mesures coercitives multiples et variées, imposées par tous les pays, qui ont manqué.

Les drames causés par les routes ne se limitent pas cependant à semer des compassions pour les morts, mais l'étendue des émois et des destructions n'obéit souvent à aucune frontière humainement acceptée. La réception des mauvaises nouvelles qu'infligent les catastrophes routières est toujours voilée, car les drames des familles des victimes restent souvent méconnus et leurs prolongements impliquent toujours par leurs ricochets des bouleversements profonds de leurs vies. Et les exemples des brisures familiales ne manquent pas.

Le fils oranais d'un prisonnier, installé en Espagne, a cru devoir profiter de la relâche des journées de fête pour rendre visite à son père incarcéré non loin d'Alger. Pour ce faire, accompagné par un des ses enfants, il s'est fait prêter une voiture par un ami dont le père est lui aussi en prison. A son retour, à une heure avancée de la nuit, il percute de plein fouet un semi-remorque non loin de Aïn Delfa. La vue du désastre est insoutenable. Son fils a perdu l'âme et lui est hospitalisé dans un état comateux.

Imaginer les tréfonds des lendemains pour cette famille n'est pas loisible pour qu'une définition des vies soit aisée. Devant une situation aussi décapitante, la conscience ne peut que rester hagarde pour laisser s'interroger sur des drames similaires des accidents qu'impose chaque jour la circulation routière.

Par la pression d'une culture déphasée, on accusera bien sûr comme toujours la fatalité sans accepter qu'un destin se construit et qu'il conditionne celui des autres.