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QUAND LE JUSTICIABLE DEVIENT JUGE

par Abdou BENABBOU

En plaçant au même niveau la petite et la grande corruption, le président de la République ne met pas seulement le doigt sur un phénomène réduit qui se résume à une anodine culture d'indélicatesse ou à des élans de rapines dispersées. Qu'un contribuable soit obligé de mettre la main à la poche pour disposer d'un acte d'état civil ou qu'un affairiste connu et recommandé se permette au vu et au su de tous d'aspirer des milliards du coffre d'une banque ne relève pas uniquement d'une entorse à la loi et à l'honnêteté. Il s'agit d'une inversion monumentale du sens et de la définition et de la conception qu'une société entière a décidé de prêter à la légalité. Un pays torturé par une maladie, incapable de se prendre en charge a vite fait d'instituer de nouvelles normes pour subsister et s'autorise les plus malsaines des opportunités.

L'incapacité généralisée de s'assumer nourrit la course vers la facilité du profit censé être contestable et répréhensible à telle enseigne que la honte et la retenue sont enterrées quand elles ne sont pas assimilées à des objets de risée.

Les racines du mal sont d'une multiplicité infinie. Modicité des salaires et leur discordance avec le coût de la vie, les besoins domestiques sans cesse nouveaux et démultipliés, l'entrain vers la jouissance humaine que sèment le voisinage et l'entourage, la culture de la rente infantile et dévastatrice sont les abécédaires pour une vie commune totalement déréglée. Un tel bain social n'est pas propice à des comportements civiques en harmonie avec la justice et le droit. La légalité se vêt de tous les sens que chacun s'autorise à lui accorder. Toutes les distorsions deviennent permises pour que le justiciable se transforme en juge et happe en bonne conscience le moindre pouvoir qui s'offre à lui pour conforter ce qu'il a décidé d'être un droit.

Remettre donc le train sur les rails n'est pas aisé. Fort heureusement le lot obnubilé de la puissance, formé d'un tout-venant, des Premiers ministres, ministres, walis et de particuliers sous-fifres de l'administration et des affaires a été foudroyé par une main correctrice. Mais le plus dur reste à faire et la solution doit d'abord reposer sur une intelligente gouvernance.