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Si tu n'es pas content, vote Le Pen

par Moncef Wafi

La vraie famille révolutionnaire a de quoi être inquiète. Et sérieusement. Fils de moudjahidine, de chouhada, ils assistent, impuissants mais surtout passifs, à un flagrant recul de l'Algérie officielle devant le dossier de la colonisation française. Le sujet, ces derniers temps, est comme frappé d'interdit, enveloppé dans un emballage d'amnésie et remisé dans les archives de l'histoire d'un pays qui nous serait étranger.

La dérive veut que la normalisation et les intérêts personnels prennent le pas sur le devoir de mémoire. Que parler de la guerre d'Algérie, pour certains, notre guerre d'indépendance pour ceux qui n'ont pas oublié le 1er Novembre, soit obsolète, voire subversif. Qu'il serait plus judicieux, au vingt et unième siècle, d'oublier le passé, de déchirer la page et faire comme si. De se serrer la main, un sourire, grand comme une banane à 600 DA le kilo, et se pencher sur les affaires. Contrats juteux et littérature pro-coloniale contre un rab de visas payants, une double nationalité de rechange et un statut privilégié d'émigré pour service rendu.

La faute n'est pas celle de la France qui redoute plus que tous la condamnation de l'histoire si d'aventure le premier aveu de culpabilité sortait de son propre ventre. L'alibi des bienfaits de la colonisation est le seul qu'elle exhibe devant nos faces d'anciens colonisés pour justifier ce plus d'un siècle de tueries, de massacres à cadence industrielle de populations désarmées, de déportations par milliers des indépendantistes algériens. La faute nous incombe à nous, indignes héritiers qui n'avons pas su garder une indépendance arrosée avec le sang des martyrs. A nous Algériens, avec ce même complexe d'indigène volé au temps, les yeux au sol devant la froideur des aéroports français. Nous qui n'osons même plus demander à la France non pas de se repentir mais seulement de reconnaître ses torts. Macron, dans un grand élan électoraliste, l'a fait déclarant que la colonisation est un crime contre l'humanité. Mais Macron n'est pas la France, par contre, nous on doit être l'Algérie. Ne plus laisser faire une poignée d'aventuriers révisionnistes.

La colonisation pour les nuls, c'est quand tu es tranquillement installé chez toi, en compagnie des tiens, et qu'une bande de voleurs puissamment armée enfonce ta porte. S'installe chez toi, dans ton salon chichement meublé, et entreprend de refaire la déco sans demander ton avis. Elle accroche une télé high-tech grand écran, des meubles Louis et un chiffre, repeint et refait la dalle de sol. A la fin, tu es content si on te donne un grand coup de pied à l'arrière-train et qu'on te laisse en vie. C'est une colonisation caricaturée à l'extrême mais qui n'en est pas moins plus proche de la vérité que tous les discours de légitimation du crime colonial. Les bienfaits de la colonisation prêchés par les officiels français et qui malheureusement trouvent des échos nationaux, n'ont été utiles que pour l'Algérie française, celle des pieds-noirs qui ont profité des réalisations de la puissance coloniale. Les villes, les structures de base et la logistique de l'époque n'étaient qu'au service d'une minorité alors que le reste du pays vivait confiné dans le village nègre, indigène jusqu'à la dernière goutte de son sang. L'électricité n'est pas arrivée jusqu'aux douars et dechras reculés du pays, sauf pour faire fonctionner la gégène. Les routes de l'Algérie profonde n'ont pas été bitumées hormis pour le transport des fantassins. Ceux qui pensent que l'on doit nos villes d'aujourd'hui à la France, le peu de civilisation qu'on nous concède gratuitement, aux bienfaits de la colonisation n'ont qu'à prendre un billet sans retour pour la mère patrie et voter Marine Le Pen, peut-être qu'ils connaîtront à ce moment-là leur douleur.