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Ces chiffres, cache-misère

par Moncef Wafi

Peut-on décemment quantifier la misère par les chiffres ? En Algérie, c'est possible à travers les statistiques sur les couffins du Ramadhan ou par le truchement d'enquêtes menées sur le travail des enfants. En effet, la logique nationale veut que le nombre de kits alimentaires distribués pendant le mois sacré équivaut au nombre des nécessiteux en Algérie. Si le nombre des bouches à nourrir diminue, c'est que la misère nationale a fait un pas en arrière. Tellement facile qu'il aurait fallu l'inventer.

Le constat est le même pour le travail des enfants. «Quasi inexistant», a affirmé le ministre du Travail, se basant sur les enquêtes menées par les services de l'inspection du travail au niveau des 11.000 entreprises visitées. Pourtant difficile de croire que l'Algérie, pays en proie à une crise économique de plus en plus pesante et dont les inégalités sociales se creusent chaque jour, ne soit pas concernée par les 68 millions d'enfants au travail dans le monde recensés par l'Organisation internationale du travail (OIT), surtout dans les économies rurales ou informelles. Deux aspects de l'économie nationale qui ont pris l'ascendant sur le circuit formel et qui alimentent les marchés parallèles. Mais de là à estimer le travail des enfants en Algérie de « quasi inexistant», c'est méconnaître la réalité sociale du pays ou faire preuve d'une naïveté qui n'est pas permise à un tel niveau de responsabilité.

Les enfants au travail existent pour peu qu'on se donne la peine de les chercher aux bons endroits, dans la rue, sur le bord de l'autoroute Est-Ouest, dans les marchés et l'arrière-cours de l'Algérie des pauvres. Le travail des enfants, rendu obligatoire par la misère galopante, les déperditions scolaires et les horizons bouchés, est une réalité algérienne bien ancrée. On n'est plus dans le schéma colonial du petit Omar «porter monsieur, porter madame», mais dans celui, plus cruel, d'une enfance au travail dans les champs et les douars, symbole d'un échec socio-économique qui a rattrapé les enfants de l'Algérie avec distinction de patronyme, de lieux de naissance, de résidence et du travail du père.

Le pire est encore à attendre puisqu'en avril dernier, des syndicats autonomes, des universitaires et des avocats ont dénoncé les articles du nouveau code du travail traitant du travail des enfants mineurs. Pour les présents, certaines dispositions prévoient le travail des enfants mineurs de moins de 16 ans des deux sexes, avec l'autorisation des parents ou du tuteur. Mais ce qui a été dénoncé c'est la rédaction même des articles, notamment 48, 49 et 50, qualifiés de flou, et donc une porte ouverte à des interprétations et des dépassements graves. D'ailleurs un universitaire dira que «c'est de l'esclavage des enfants dont il est question ici, laissé à l'appréciation des recruteurs et employeurs». A titre d'exemple, avait-on cité, le travail de nuit ne peut être effectué pour les enfants de moins de 16 ans si cela touche leur intégrité physique, mais qu'il est toléré «avec une autorisation et soumis à déclaration». Des dispositions sont telles que même le BIT a demandé des clarifications expresses sur ce sujet.