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Bégaiement

par M. Saadoune

C'est un bégaiement de l'année 2011. L'Otan, Qaradhaoui, le Qatar, la France et la Grande-Bretagne se liguaient dans une sainte alliance pour éliminer le méchant Kadhafi et «libérer» son peuple. Face à la mise en place des ingrédients de l'intervention militaire de l'Otan, Alger, paralysé par la peur de la contamination du printemps arabe, exprimait dans un profil bas, pour ne pas dire silencieux, son opposition à une telle intervention. Certains donneront raison à l'Algérie, a posteriori, en raison du désastre évident, sauf pour les aveugles, provoqué par une «révolution» aidée par les avions de l'Otan. Et encore, cette reconnaissance de la «lucidité» présumée de l'Algérie n'a parfois pour seul but que de lui faire endosser, au nom de son statut de «puissance régionale», un rôle interventionniste dont elle ne veut pas.

En ce début 2015, le chaos se généralise en Libye et tous les ingrédients d'un «remake» se mettent en place. Cinq pays du Sahel appellent à une intervention militaire en Libye devenue, selon eux, un «sanctuaire» du terrorisme. Message saisi au vol par le ministre français de la Défense qui est, depuis des mois, dans une campagne pour une intervention militaire. Comme si en 2015 une intervention militaire serait plus vertueuse qu'en 2011. Un responsable africain a même trouvé le mot très «corporate» en direction des Occidentaux : «Il faut terminer le boulot» de 2011 et en finir avec les «restes à réaliser». Sauf que la situation est encore plus compliquée qu'en 2011.

Quels seront les objectifs militaires d'une telle intervention ? Frapper les forces regroupées au sein de Fajr Libya et les détruire physiquement pour soutenir le gouvernement de Tobrouk ? Occuper toutes les villes de Libye ? Même si on reste dans un strict point de vue militaire, on ne voit pas ce qu'une intervention militaire étrangère apporterait de plus, si ce n'est plus de puissance de feu à mettre dans le chaos libyen. C'est même le plus sûr moyen de faire le lit de ce Daech qui hante les esprits. Le ministre français de la Défense tente, pour la forme probablement car en France aussi les gens ne sont pas oublieux de grands «résultats» de l'intervention de 2011 -, de «concilier» entre l'intervention militaire et la solution politique. En clair, dit-il, pour qu'une solution politique soit possible, il faut d'abord intervenir militairement.

Encore une fois, il faudra lui demander quelle serait la cible ? Fajr Libya ? Cela fait trop de monde à combattre - ou à détruire - et trop de villes à contrôler. Il faudra beaucoup de soldats et de moyens sans que le résultat soit acquis. Comme en 2011, l'Algérie est en apparence isolée dans son rejet de l'intervention militaire et sa défense de la solution politique et de la recherche d'un accord entre les différents protagonistes qui préserve l'avenir de la Libye et de son unité. Mais cet isolement, très relatif, ne devrait pas, comme en 2011, conduire l'Algérie à faire dans le profil bas. La diplomatie n'a pas arrêté de dire qu'une intervention militaire en Libye ne ferait qu'aggraver le mal. Elle doit le redire, une fois de plus, et avec plus de force. Ceux qui ont créé le désastreux chaos libyen ne sont pas les mieux placés pour donner des leçons sur la manière de résoudre les vertigineux problèmes provoqués par l'intervention de l'Otan en Libye.