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Le programme MBF et l'artifice 88 !

par K. Selim

Les membres de la CNLTD ont franchi, verbalement, le Rubicon: ils réclament des élections présidentielles anticipées précédées de la mise en place d'une instance indépendante et permanente de gestion des élections. Ce qui n'était jusque-là qu'une revendication «individuelle» de certains de ses membres devient désormais un programme de groupe. Et comme la presse algérienne est pleine d'empathie pour la CNLTD, elle nous rappelle régulièrement qu'il s'agit d'une trentaine de partis et des personnalités algériennes.

Le pouvoir va-t-il vaciller devant cette exigence d'une Coordination dans laquelle on retrouve notamment Ali Benflis, le candidat à la présidence qui a apporté le minimum de crédibilité nécessaire à l'élection du 17 avril dernier ? Il est bon de rappeler que M. Benflis avait été averti : le rôle qu'on lui a assigné en 2014 est strictement le même qu'en 2004. Et que comme en 2004, il a présumé de ses capacités et de ses soutiens. Le retrouver, aujourd'hui, dans la posture radicale appelant à mettre en œuvre l'inapplicable article 88 de la Constitution, traduit une évolution par trop extraordinaire. Mais qu'à cela ne tienne.

On peut avoir été dans la devanture du pouvoir, avoir contribué à l'organisation des élections du régime et finir par en revenir. Il faut être large d'esprit et ne pas trop s'arrêter sur le caractère trop récent de l'opposition de beaucoup de membres de la CNLTD. Il faut même se féliciter de les voir enfin «dépasser» la démarche «conciliatrice» du FFS en «exigeant» un retour immédiat aux urnes. Il reste à la Coordination qui aime beaucoup discourir sur le «rapport de forces» à démontrer qu'elle peut le changer pour appliquer son programme. Il faut d'abord être en mesure de débarquer le président Bouteflika et de le pousser à la retraite. Ce n'est pas une mince affaire. Une partie des membres de l'actuelle CNLTD a tenté d'empêcher la candidature de Bouteflika sans réussir.

En termes d'action de rue, on aura eu seulement les tentatives de Barakat que le général Hamel a réussi à gérer avec la fameuse GDF (gestion démocratique des foules) souvent et de manière plus musclée parfois. Des tentatives bien solitaires. Sans lendemain. L'opposition au 4ème mandat est restée verbale. Ali Benflis - le rappel est nécessaire même si cela peut paraître cruel - n'y était pas opposé, il était en lice dans l'élection et a donc contribué à élire Bouteflika.

Question : quand on n'a pas réussi à empêcher Bouteflika d'être candidat comment peut-on escompter le pousser vers la sortie alors qu'il a été formellement élu ? Le beau programme annoncé par la CNLTD n'est pas applicable par l'article 88 de la Constitution. Mouloud Hamrouche n'a absolument pas tort de dire que cet article n'existe pas «techniquement, politiquement et idéologiquement» car la Constitution ne prévoit pas les modalités de son application. Un article qui ne peut pas être appliqué n'existe pas réellement.

Une fois évacué cet article artificiel, les modalités de mise en œuvre du programme de «mettons Boutef dehors» (mbd) ne sont pas nombreuses. Etre en mesure de mobiliser une bonne partie des Algériens dans la rue ou sous d'autres formes pour exercer une forte pression sur le pouvoir. Le scénario burkinabé en somme pour citer le plus récent. L'option est risquée. Si la population ne répond pas - comme ce fut le cas en janvier 2011 -, cela donne un surcroît de légitimité à Bouteflika. Combien, au sein de la CNLTD, sont-ils prêts à parier que la population, même si elle est présumée choquée par la maladie de l'institution présidentielle, suivra des appels à contestation ? On peut parier qu'ils ne sont pas nombreux.

La seconde possibilité est d'avoir une (bonne) partie du pouvoir de son côté. C'est en théorie une option plus sérieuse que la mobilisation d'une population devenue depuis les années 90 très méfiante. Mais sa faisabilité est improbable. L'appel à la tenue des élections anticipées ressemble bien à l'artifice de l'article 88 : même si c'est écrit noir sur blanc, il n'existe pas.