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UN TIGRE AUX ABOIS

par K. Selim

L'Irlande, le «tigre» celtique qu'un diplomate américain présentait, il y a peu, aux Algériens comme le modèle économique à suivre, est aux abois. Saignée à blanc par les déficits, la fière Eire est contrainte, comme un pays du tiers-monde, à quémander l'aide de ses partenaires européens et à se conformer aux prescriptions des Diafoirus ultralibéraux du FMI. L'Europe va donc voler au secours de l'Irlande en lui allouant près de 90 milliards d'euros à partir du fonds de stabilisation de 500 milliards.

 Après la Grèce, c'est le second pays de la zone euro à sombrer dans les abîmes financiers, aspiré par l'endettement catastrophique de ses banques qui n'en finissent pas de faire payer au contribuable leurs errements spéculatifs.

 Les systèmes les plus fragiles - c'est-à-dire les économies les moins diversifiées - de l'Europe prospère sont dans l'œil du cyclone. Le démantèlement des sas de sécurité réglementaire au nom de l'ouverture économique et de la mondialisation montre concrètement ses limites. Personne n'est en mesure d'affirmer que la mécanique de transformation de la crise bancaire en crise d'endettement des Etats va s'arrêter à ces deux pays. Le Portugal est également dans le collimateur et rien n'interdit de penser que l'Espagne ne sera pas la prochaine victime de déséquilibres ingérables.

 Les causes du dérapage de l'endettement des Etats sont mises en avant avec un luxe de précautions langagières. L'argumentaire «technique» est avant tout destiné à occulter la réalité prosaïque du règlement des déficits par les catégories sociales qui n'ont que peu bénéficié des profits de l'euphorie financière des années qui ont précédé la crise de 2007. L'atterrissage en catastrophe de l'Irlande sur fond de guerre globale des monnaies fragilise un peu plus le front européen.

 Dans la zone euro, la césure est nette entre les pays très industrialisés, l'Allemagne en tête, et les économies de services. Les coups de boutoir portés par les marchés aux pays les plus vulnérables entament la cohésion d'une zone monétaire qui n'est adossée à aucune communauté de politique économique, fiscale notamment.

 Ces crises nationales successives posent à ce niveau le problème de la viabilité de l'euro. La cohésion européenne, déjà visiblement fissurée lors de l'éclatement du problème grec, est mise à mal par les soubresauts irlandais. La surévaluation de l'euro par rapport au dollar et au yuan donne du grain à moudre à tous ceux pour qui la compétitivité des pays du vieux continent est pénalisée. La reprise, en dehors de l'Allemagne, tarde à faire sentir ses effets et les taux de chômage demeurent à des niveaux élevés.

 En tout état de cause, les Irlandais vont devoir absorber la pilule très amère de la rigueur pendant au moins quatre ans. De manière plus significative, il sera demandé au gouvernement - très contesté - de Dublin de remettre à plat une fiscalité très favorable aux entreprises, qui expliquait pour une large part la croissance du pays. Sans cet avantage décisif, la croissance irlandaise n'aurait pas connu la croissance euphorique des années 90 et de la première moitié de la décennie actuelle.

 Au-delà, ce qui préoccupe les analystes est de savoir si l'Europe pourra résister à la réédition d'un scénario grec ou irlandais.