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![]() ![]() ![]() «Identité, souveraineté : repenser l'Algérie postcoloniale»
par Khaled Chebli* ![]() Plus
de soixante ans après la fin de l'occupation de substitution, l'Algérie continue
de porter en elle les traces d'un passé lourd, fait de domination, de
résistance, mais aussi de recompositions inachevées. L'État algérien
contemporain est né d'une rupture historique fondatrice : la reconquête d'une
souveraineté territoriale, au terme d'une lutte existentielle contre un projet
colonial qui ne visait pas seulement à administrer, mais à remplacer- les
corps, les langues, les cultures, les repères.
Ce passé, aussi douloureux que glorieux, ne saurait être relégué au simple statut d'héritage. Il conditionne encore aujourd'hui les rapports que la société algérienne entretient avec elle-même, avec ses composantes identitaires, ses institutions et ses horizons collectifs. Dans ce contexte, deux notions clés se détachent comme autant de chantiers à rouvrir : l'identité et la souveraineté. Car si l'une est censée rassembler, et l'autre protéger, il apparaît que toutes deux demandent à être repensées, réarticulées, dans un cadre réellement postcolonial. Une souveraineté inachevée Dès l'indépendance, la souveraineté a été proclamée sur le plan juridique, diplomatique et symbolique. Toutefois, sa traduction concrète s'est souvent heurtée à des logiques de centralisation, à une dépendance persistante vis-à-vis de modèles extérieurs, et à une difficulté chronique à construire un projet économique, culturel et institutionnel pleinement endogène. La souveraineté n'est pas un acquis abstrait : elle se mesure à la capacité d'un peuple à se penser lui-même, à se gouverner selon ses propres priorités, et à produire du sens en accord avec ses valeurs. Or, dans un monde globalisé, marqué par les interdépendances et les fractures internes, cette souveraineté mérite d'être réaffirmée, mais aussi redéfinie : moins comme un réflexe défensif que comme un espace ouvert d'émancipation. Une identité en quête de reconnaissance Parallèlement, l'identité algérienne a longtemps été abordée à travers une grille unificatrice, voire homogénéisant. Le récit national, tel qu'il a été porté par l'État postindépendance, s'est voulu rassembleur mais s'est parfois révélé excluant. Au nom de l'unité, certaines voix, langues, mémoires ou appartenances ont été marginalisées, voire niées. La reconnaissance tardive de la langue amazighe comme langue nationale et officielle en est un exemple révélateur. Or, l'identité n'est pas un danger à contenir mais une richesse à cultiver. Elle n'est pas donnée une fois pour toutes, mais se façonne à travers l'histoire, les luttes, les échanges et les tensions. Une Algérie postcoloniale ne saurait perpétuer des logiques de domination interne au nom d'une vision figée de l'unité nationale. Elle doit, au contraire, se réconcilier avec sa pluralité constitutive : linguistique, culturelle, spirituelle, territoriale. Dépasser la logique du contrôle Repenser l'identité et la souveraineté implique de sortir de la logique du contrôle et de la peur de la fragmentation. L'unité nationale ne repose pas sur l'uniformité, mais sur un contrat symbolique partagé, nourri par la reconnaissance mutuelle, la circulation des idées, la liberté de conscience et l'égalité réelle entre citoyens. Il s'agit de substituer au modèle de l'identité imposée celui de l'identité dialogique, ouverte aux relectures, aux récits croisés, aux désaccords féconds. Il s'agit également de concevoir la souveraineté non comme un mur mais comme un pont - entre l'histoire et l'avenir, entre les élites et le peuple, entre l'État et la société. Une Algérie à l'écoute de ses veines profondes L'Algérie postcoloniale ne peut avancer en reconduisant les silences et les refoulements. Elle ne peut prétendre à la stabilité sans justice mémorielle, ni à la cohésion sans pluralisme effectif. Il est temps de raviver les veines profondes de l'âme algérienne, non pas à travers des slogans ou des dispositifs autoritaires, mais en ouvrant des espaces de parole, d'écoute et de création. Les jeunes générations, connectées, informées, critiques, n'aspirent pas à une identité figée ou instrumentalisée. Elles recherchent du sens, de la cohérence, et une capacité réelle à rêver l'Algérie autrement : comme un pays sûr de lui, réconcilié avec ses histoires multiples, et tourné vers l'avenir sans renier ses blessures. Conclusion : vers une refondation symbolique Repenser l'Algérie postcoloniale, c'est engager une refondation symbolique. Cela passe par une revalorisation des marges, une libération de la parole citoyenne, et une refonte des imaginaires nationaux. L'identité et la souveraineté ne doivent plus être perçues comme des outils de gestion ou de contrôle, mais comme des vecteurs d'émancipation collective. Ce chantier n'est ni simple ni immédiat. Il demande du courage, de la lucidité et une volonté politique sincère. Mais il constitue sans doute la condition nécessaire pour que l'Algérie puisse enfin se dire à elle-même - et au monde - non seulement qu'elle a triomphé de l'occupation, mais qu'elle a su aussi, dans la paix, conquérir sa propre liberté intérieure. *Chercheur et auteur en droit khaled.chebli@univ-annaba.dz |
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