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![]() ![]() ![]() Vassalité librement consentie de l'Europe à l'Amérique
par Abdelhak Benelhadj ![]() Lors
du dernier Sommet de l'OTAN qui s'est tenu à La Haye aux Pays-Bas, le 25 juin
dernier, deux événements n'ont pas été suffisamment relevés par les médias,
surtout le second que nous analysons en détail ici. Et encore moins ce que ces
événements révèlent et impliquent.
Ce Sommet était prévu sur deux jours par les organisateurs européens. Il ne dura pas plus de deux heures sur décision (comme de coutume, unilatérale) du président américain qui n'avait pas beaucoup de temps à consacrer à ses alliés et surtout n'avait pas besoin de leur avis sur des questions qui concernent pourtant tous les membres de l'Alliance. Rappelons que la présence de D. Trump était, à quelques heures de l'ouverture de la session, de l'ordre de l'hypothèse jusqu'à la dernière minute. Et cela n'avait rien à voir avec des questions de sécurité. D. Trump fait partie de ces présidents américains (Nixon, Reagan...) qui ne se reconnaissent aucune limite à la goujaterie. En cette matière, le locataire actuel de la Maison Blanche est hors normes. Chacun se souvient de la manière avec laquelle le président ukrainien avait été traité dans le Bureau Ovale le 18 février dernier.1 Il aligne et indexe, au plus près, la communication et le comportement sur l'état réel des rapports de forces, alors que la plupart de ses prédécesseurs s'imposaient plus de discrétion et de retenue en public. Car le plus singulier ici n'est pas qu'il prenne ses aises et traite ses «alliés» pour ce qu'ils sont. Le plus remarquable est ces «alliés» se reconnaissent et se comportent comme tels. Ces questions n'auraient jamais mérité le moindre intérêt ici si elles ne renvoyaient pas au mode de traitement des conflits en cours aujourd'hui dans le monde. La personnalité de D. Trump est une question secondaire, mais son comportement révèle ce qu'il en est de la puissance américaine (aussi relative qu'elle soit) quand, en face, elle n'a aucune de contrepartie. 1.- Eloge de D. Trump par Mark Rutte. Flagornerie d'un vassal face à son maître. C'est sous cet angle qu'il convient d'entendre le Secrétaire général de l'OTAN, l'ex-premier ministre des Pays-Bas (2010-2024) chanter des louanges au «Patron du monde libre». «Bravo et merci pour votre action décisive en Iran, c'était vraiment extraordinaire». Il poursuit : «Donald, vous nous avez menés à un moment vraiment vraiment important pour l'Amérique, l'Europe, et le monde.» Et il poursuit : «Papa [Daddy] doit parfois hausser le ton». La journaliste de Sky News Deborah Raynes raconte que «tout le monde dans la salle était gêné». Mais personne n'a pipé mot. Les autres estimables chefs d'Etat présents contemplaient avec application le bout de leurs chaussures et computaient leur espérance de vie politique... La servilité des Européens est connue et acceptée de tous mais, se toisant de profil dans le miroir, ils ne consentent pas volontiers à se regarder de face lorsque les circonstances les y contraignent. Leur unique préoccupation est que leurs opinions publiques ignorent que leurs honorables et démocratiques représentants se salissent les genoux lors de ces Sommets. La suite est conformément logique à ce qui précède. 2.- De la servilité à la «servitude volontaire». Deuxième décision au Sommet de La Haye : le Royaume-Uni va rétablir sa dissuasion nucléaire aéroportée dans le cadre de l'Otan, grâce à 12 avions F-35 fournis par l'américain Lockheed-Martin capables de transporter des ogives nucléaires. Il est précisé toutefois que ces armes «ne peuvent être utilisées qu'avec l'accord des États-Unis»2. (AFP, 25 juin 2025). Cette information mérite une pause. Depuis la fin de la Guerre froide, la dissuasion nucléaire britannique (qui n'a jamais cessé d'être inscrite dans le cadre de l'OTAN) était uniquement assurée par les sous-marins de la Royal Navy (marine). La dernière arme nucléaire aéroportée britannique était une bombe nucléaire tactique qui était en service de 1966 à 1992 dans la Royal Navy et jusqu'en 1998 pour la RAF (l'armée de l'air). Comme les autres pays européens (Pays-Bas, Italie et Danemark, ainsi que la Suisse) qui accueillent sur leur sol des ogives nucléaires américaines B61, et qui sont contraints d'acheter des F-35 pour les larguer, ce sera désormais le cas du Royaume-Uni. Pour le Premier ministre britannique Keir Starmer cet achat constitue «le plus grand renforcement du dispositif nucléaire du Royaume-Uni depuis une génération». «Ces avions F-35 vont faire entrer le leader mondial qu'est la Royal Air Force dans une nouvelle ère, et dissuaderont les menaces hostiles qui pèsent sur le Royaume-Uni et ses alliés» (AFP, idem). Le secrétaire général de l'Alliance Mark Rutte, comment peut-il en être autrement pour ce serviteur zélé, s'est «vivement félicité» de cette annonce, qui apporte selon lui une «nouvelle contribution britannique solide à l'Otan». Le tour de passe-passe qui explique pourquoi les Européens n'utilisent pas les avions fabriqués chez eux (l'Eurofighter par exemple, voire le Rafale français qu'aucun Européen n'achète à l'exception de la Grèce et de la Croatie3), vient de ce que les Américains imposent le seul avion compatible avec leurs bombes, le F-35. Point ! On peut (à la rigueur) comprendre les Allemands et les Italiens qui ne fabriquent pas de bombes atomiques. Mais la position du Royaume Uni est plus difficile à saisir puisqu'ils possèdent en principe leurs propres armes et leurs propres avions. En réalité, toutes les décisions sont intégrées dans une approche globale sous dépendance unique. Codécision, concertation, réflexion commune... tout cela est servi (mais pas toujours) aux opinions publiques pour offrir une image consensuelle qui sauve la face de ceux qui ne décident pas. L'OTAN n'est pas un système «commun» de défense. C'est un système américain global qui intègre l'Europe comme élément d'un ensemble, partie d'un tout. Seule, l'Amérique a une vision planétaire qu'elle ne partage avec aucun de ses «alliés», pas même avec le gouvernement de Sa Majesté, qui continue d'entretenir de l'illusion de partager un destin librement décidé dans une concertation qui n'existe pas.4 Par-delà le volet militaire et donc politique (les deux dimensions sont, cela tombe sous le sens, intimement liées), il y a le volet peut-être le plus important, le volet économique. Londres paie les avions, les bombes et les pilotes, mais c'est Washington qui en détermine l'utilisation. Cela ressemble beaucoup à l'état des pays du Golfe qui se ruinent à s'équiper en matériel américain dont l'usage et la raison politique échappe aux rentiers qui les achètent. L'armée et la guerre sont d'abord une question de gros sous et d'hommes d'affaires. Il n'y a que les généraux pour se croire au cœur de l'intelligence de ces affaires. Beaucoup d'entre eux paradent sur les plateaux de télévision confondant avec ostentation, opérationnel et stratégique, peuple et population, caserne et Assemblée Nationale. A beaucoup d'entre eux, a échappé le fait que le Général de Gaulle a cessé d'être un soldat dès le 18 juin 1940. La qualité de «général» ne lui a été conservée qu'à titre purement honorifique.5 L'Europe dépend des Etats-Unis, comme un drogué de son fournisseur qui de surcroît paie pour demeurer en son état. C'est pire que le syndrome de Stockholm. 3. Petites trahisons entre alliés Pour comprendre cette affaire, comme c'est souvent le cas, il faut remonter un peu dans le temps et en revenir aux causes, la seule méthode pour «comprendre», établir un lien de causalité inévitablement nécessaire à l'entendement. Cette affaire renvoie à la tumultueuse histoire franco-britannique, dans le droit fil de la «guerre de cent ans». Comment les Anglais en sont-ils arrivés là ? La Grande-Bretagne réalisa son premier essai nucléaire le 03 octobre 1952 (et sa bombe «H» le 15 mai 1957). La France l'imitera un peu moins de 8 ans plus tard. Ce sera fait à Hammoudia, dans le Sahara algérien, le 13 février 1960 (et fera exploser sa première bombe H en 1968). Cependant, pour faire d'un essai réussi une arme utilisable, il faut franchir de nombreuses étapes. La miniaturisation, le «durcissement» des ogives... et surtout posséder un vecteur à même de la transporter, de préférence, des milliers de kilomètres plus loin. Pour cela, la conception de missiles, de fusées... adaptés à cet emploi, s'impose. Une fusée n'avait à l'époque rien à voir avec la «conquête de l'univers», la recherche de la vie sur d'autres planètes, des exoplanètes... et avec toutes les applications actuelles (communications, observation, météorologie...). En octobre 1957, le lancement de Spoutnik allait provoquer un tremblement de terre géostratégique, d'autant plus fort que les Américains ignoraient à peu près tout sur les progrès astronautique russe.Depuis août 1949, la Russie avait une bombe. La voilà qui possède une fusée (avec tout ce que cela suppose en progrès technologiques) pour la lancer sur l'Amérique si elle le voulait, un instrument pour dissuader l'ennemi. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, la guerre faite à l'Iran visait non seulement à lui interdire la maîtrise des techniques d'enrichissement (U238-U235) à fortiori de l'ordre de 60 à 90%, mais aussi sa capacité à fabriquer des missiles à longues portées, à même de menacer son voisin israélien qui tient à l'exclusive possession de l'arme atomique, en toute clandestinité et en violation de toutes les règles en vigueur.CQFD. Dès 1954, la Grande Bretagne fait le choix de missiles balistiques, en collaboration avec les Etats-Unis. Elle passera par plusieurs étapes qui finiront par un abandon du projet. Le missile britannique Blue Streak avait mis toutes les chances de son côté pour échouer. Pourquoi ? 1. Le Blue Streak qu'elle a conçu pouvait servir éventuellement à aller sur la Lune, mais en aucun cas, il ne pouvait porter une ogive nucléaire. Le carburant liquide utilisé exigeait une préparation longue, minutieuse et aussi dangereuse, incompatible avec une urgence militaire. 2. La portée de 2 500 km était insuffisante pour couvrir l'espace de dissuasion qui était dévolu à ce vecteur. 3. Une partie de l'engin était sous licence américaine de Rocketdyne. Les Américains n'hésiteront pas à violer les termes de l'accord en lançant la fabrication de missiles balistiques concurrents (Atlas et Thor). Mal conçu, la fusée britannique était un mort-né. Blue Streak fera encore illusion et sera utilisé plus tard comme premier étage de la fusée Europa.6 Du 15 au 16 décembre 1962, le président français Charles de Gaulle reçoit au château de Rambouillet le Premier ministre britannique Harold Macmillan et lui fait alors une proposition audacieuse : une fusée pour deux. J.-F. Kennedy, comme son prédécesseur F.-D. Roosevelt, n'avait aucune sympathie pour le président français lequel avait un sens élevé de la souveraineté de son pays (qualité qui a déserté l'Elysée depuis). C'est pourquoi ayant eu vent du projet gaullien, Kennedy invite H. MacMillan à Nassau, quelques jours plus tard, le 21 décembre 1962 et lui fait une contre-proposition qu'il accepta et qui va placer le Royaume-Uni et le maintenir jusqu'à aujourd'hui sous totale dépendance militaire américaine. Pour se rassurer, les Anglais appellent ça «spécial relationships» dont ils se prévalent (aux yeux de leurs concitoyens et des «continentaux» qui en sont «privés») pour se convaincre d'être des interlocuteurs privilégiés de leurs «frères» outre-Atlantique. Il est vrai que la proposition est alléchante : Washington avait un programme en cours (missiles «Polaris» à lancer à partir d'un sous-marin), alors que la France n'avait qu'un vague projet... Kennedy eut même le culot (en riant sans doute sous cape) de charger le Premier ministre britannique de soumettre la même offre au «Général». Ce qu'il fit avec application. C'est ainsi que les vecteurs transportant les ogives britanniques sont devenus américains et explique le jeu de double-clés (américano-britanniques) en vigueur dans leurs sous-marins qui n'ont de britannique que le nom. Naturellement, cela mit C. de Gaulle dans une colère noire qui l'amena à bloquer l'adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE. Ce n'est qu'en 1973, avec l'arrivée de G. Pompidou à l'Elysée, qu'elle y fut admise (en compagnie de l'Irlande et du Danemark). La France, puissance «dotée» Le jeu favori des Français (et réciproquement des «grenouilles» par leurs voisins outre-Chanel) est de se gausser quelques fois des «rosbifs» et de leur armement atomique, comme nous le savons, sévèrement contrôlé par Washington. Par ailleurs, les Français demeurent très attachés à une image gaullienne, plutôt antiaméricaine malgré leur grande sensibilité à la culture anglo-saxonne très prisée par les «élites» anglophiles, nombreuses au moins depuis Voltaire, Hugo et Napoléon III et qui ont proliféré depuis la fin des années 1960. A supposer que le «Général» ait eu (à nuancer et à relativiser) quelques différends avec Washington, cela correspond à une époque qui n'est plus. Tout aura été fait par les Américains, jusqu'à l'arrivée de R. Nixon à la Maison Blanche en 1968-69, pour empêcher la France de parvenir à mettre au point sa bombe.7 Cependant, l'histoire «anti-américaine primaire» de la France mérite d'être toilettée. C. de Gaulle a cultivé avec habileté une image de résistance à la puissance américaine qui a fait son succès en France et beaucoup plus encore dans le Tiers-Monde. Certes, le «Général» ne s'est pas contenté de slogans et d'images. Quelques exemples : - Sa décision de continuer à commercer avec Cuba8, - Sa reconnaissance de la République Populaire de Chine (27 janvier 1964), - Ses réticences dans les négociations douanières du Kennedy Round (GATT 1964-67), - Sa visite au Mexique (mars 1964), - Son refus de participer au 20e anniversaire du débarquement en Normandie (6 juin 1964), - Sa décision de se retirer de l'OTAN (février 1966), sans complètement en sortir... - Son voyage en URSS (juin 1966), et son discours de Phnom Penh (1er septembre 1966), - Sa condamnation (très formelle) d'Israël lors de la guerre des Six Jours (juin 1967), - Sa prise de position en faveur du Québec «libre» (juillet 1967), - La conversion en or d'une grande partie des réserves de la France en dollars. Pour échapper à la tempête de la privatisation des monnaies et leur abandon aux marchés de change (rupture des Accords de Bretton Woods). On mesure la distance entre la fin des années soixante et l'état actuel de la France. L'aide apportée par les Etats-Unis a été diverse : fin de l'opposition américaine à l'arme atomique française dès l'arrivée de R. Nixon à la Maison Blanche,9 développement des missiles balistiques, de la sécurité des armes, de la simulation, «durcissement» des missiles, des têtes nucléaires et des silos... Dans le cadre de l'«opération Apollon», lancée par les présidents Valéry Giscard d'Estaing et Gerald Ford en décembre 1974, les Américains fournirent à leurs partenaires des renseignements cruciaux sur la mise au point des têtes multiples du missile M4. La «collaboration» continua sous F. Mitterrand. La question n'est pas de savoir si les Américains ont ou non aidé les Français à perfectionner leurs armes. La réponse relève du secret de Polichinelle. Sachant que la «gratuité» est une notion qui n'appartient pas au dictionnaire américain, la seule question qui vaille est, «en contrepartie de quoi» ? Combien cela a-t-il coûté ? Dans quelle monnaie la France a-t-elle payé cette aide ? Aujourd'hui et encore plus depuis de retour des forces françaises sous le contrôle américain de l'OTAN, il est difficile de mesurer le degré de dépendance militaire et technologique liant Paris à Washington. Imagine-t-on une seconde la France utiliser ses bombes de manière indépendante, seulement dictée par ses propres intérêts, en conformité avec sa souveraineté (question qui ne fait pas débat aux Etats-Unis, par exemple, ni en Chine, ni en Russie) sans consulter les Américains dans le cadre de l'OTAN ? On sait que les Scalp-strom-shadows franco-britanniques incorporent des éléments américains qui soumettent leur utilisation au visa de Washington. C'est le cas d'un nombre élevé d'armes et de technologies militaires (matérielles et immatérielles). Cela, en vertu de réglementations successives imposées par Washington définissant les conditions d'utilisation de biens matériels ou non qui impliquent un producteur américain. ITAR. (International Traffic in Arms Regulations) Réglementation mise en place en 1976 dans le contexte de la guerre froide destinée au contrôle, à la fabrication, à la vente et à la distribution d'objets et de services liés à la défense et à l'espace, tels que définis dans l'USML (United States Munitions List). Arrangement de Wassenaar (Wassenaar, aux Pays-Bas 12 mai 1996), sur le contrôle multilatéral des exportations d'armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage) a été signé par 33 États (42 membres aujourd'hui) afin de «coordonner leurs politiques en matière d'exportations d'armements conventionnels et de biens et technologies à double usage». Il a été établi en 1996 à, et succède au Coordinating Committee for Multilateral Export Controls. (CoCOM, Paris, 1949-1950). Il ne s'agit pas ici de consultations logiques et raisonnables entre alliés, de coopérations techniques profitables à toutes les parties. Ce qui est jeu ici, ce sont les liens de subordination univoques qui soumettent les uns aux autres. Fut-ce au détriment de leurs intérêts nationaux. C'est le fil rouge qui court tout au long de ce papier. A fleurets mouchetés Depuis «Maastricht», en Europe marchande règne de moins en moins la coopération et de plus en plus la compétition. On reprend les doctrines vieillottes du libéralisme du XIXème servie à la mode des Chicago Boys. Autant dire que, depuis, tous les coups sont permis en gage de sublimation créative. La guerre économique et marchande est ouverte entre tous les membres de l'Union : la concurrence fiscale, sociale et réglementaire fait rage. Derrière des dehors policés, les querelles entre Européens sont féroces. Le tout agrémenté de relents venus du passé. Rien n'est oublié des vieux règlements de compte historiques, avec en toile de fond un enjeu cardinal, le partage du monde que les empires européens se disputaient. Tout cela est bien fini. L'Europe n'est plus un acteur. C'est au mieux un spectateur neutralisé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, «libéré» pour servir les desseins de l'Oncle Sam. Mais si rien n'a été oublié, les conflits feutrés entre partenaires (en partage sanglant de chutes de table), n'ont rien à voir avec l'histoire et tout à voir avec les intérêts actuellement en jeu. Le système politico-médiatique européen formaté par Hollywood aurait mérité de fréquenter l'Ecole des Annales et aurait gagné à se départir d'une psychologie de bazar qui pollue les plateaux de télévision et les interventions de leurs dirigeants. Ils auraient découvert que les décisions politiques relèvent moins du «caractère», des humeurs ou des inclinations personnelles de leurs hommes politiques que de contraintes financières, économiques, géopolitiques, voire partisanes bien réelles et bien actuelles.10 L'Europe est un combat brutal et cruel. Derrière les échanges affables, les couteaux sont aiguisés. Ni l'Amérique, ni la Russie, pas davantage la Chine n'ont à craindre d'une Union qui ne formera jamais un acteur et qui restera un bric-à-brac de consommateurs de produits chinois) et d'épargnants pour combler les déficits du budget et de la balance des paiements américains. Il n'est pas discutable que les Britanniques aient abdiqué leur autonomie de décision, pour parler pudiquement. On peut dater ce basculement dès 1931 avec la dévaluation de la livre sterling et la prise de pouvoir financier et commercial par Wall Street, confirmé par Bretton Woods en 1944. Il est vrai qu'en juin 1940, alors que les Français signaient leur armistice, les Britanniques s'étaient retrouvés bien seuls face à Hitler. En sorte que la signature du «Trade-bill» entre F. Roosevelt et W. Churchill en août 1941, à Terre-Neuve (sous des conditions de subordination que Londres ne pouvait refuser), scella une relation logique qui se continue jusqu'à aujourd'hui.11 Le réflexe de l'enfermement. La subordination de l'Europe à l'Amérique repose sur un principe simple par lequel les dirigeants (et leurs système politico-médiatiques) du vieux continent intoxiquent leurs concitoyens. L'Occident, sous quelques biais que le conçoivent ceux qui s'y reconnaissent, racial «blanc», religieux «chrétien» ou «judéo-chrétien», économique «développé» ou «avancé »...) se sent menacé militairement, démographiquement, culturellement, cultuellement, économiquement, technologiquement... d'une submersion planétaire. Géographiquement, il se circonscrit à l'axe atlantique, avec les dépendances européennes dispersées dans le monde comprenant l'Australie, la Nouvelles Zélande... auxquelles il ajoute quelques dépendances : le Japon, la Corée du sud, Taiwan... et un fortin enkysté dans le Proche-Orient que René Goscinny féru de mythes pas chers et qui rapportent, n'aurait sûrement pas renié. Depuis la «Renaissance», construction anachronique bricolée par des historiens au XIXème, l'«Occident» se construit une idéologie de l'ouverture, de la destruction des frontières censée laisser libre cours à la créativité, à l'innovation, à la liberté. La création du GATT en septembre 1947 procède de la même légende. A la fin des années 1990, la Chine en a tiré un très bon parti et laissant les prédateurs la considérer comme un «pays-usine» à exploiter. A. Smith a résumé en une formule simple («laisser-faire, laisser-passer») une doctrine qui, à l'exception des colbertistes et de quelques autres, est la pierre de touche commune à presque toutes les théories économiques libérales, mercantilistes, physiocrates, utilitaristes, néoclassiques, néolibérales... L'Amérique, posée comme la patrie de tous les réprouvés du monde, fait maintenant la chasse à l'«autre», comme en mai 1924 avec l' «immigration Act», l'Américain du sud dans le viseur.12 Jusqu'à W. Churchill (Fulton, 05 mars 1946), ce sont les autres qui s'enfermaient derrière des «Rideaux de fer» parce qu'ils avaient peur de la «liberté». Aujourd'hui, c'est la «liberté» qui se claustre et qui s'emmure derrière ses certitudes. Quoi qu'il en soit et «quoi qu'il en coûte», l'Amérique de D. Trump est en guerre. Une des batailles en cours est toujours celle qui vise la chute du Kremlin et de son voisin chinois, contrairement à toute la communication cafouilleuse de la Maison Blanche, avec des retombées coûteuses pour les «alliés» dont ne se préoccupe nullement Washington. La guerre des monnaies et celle du pétrole, organisée par D. Trump vise à baisser le prix du dollar qui sert pour les transactions sur le marché des hydrocarbures quitte à handicaper les producteurs américains qui ont besoin d'un prix plus élevé pour amortir des coûts plus élevés qu'ailleurs. Le but recherché est un double-effet, prix-monnaie, pour assécher les revenus extérieurs de la Russie dont l'économie fortement liée à ses exportations d'énergie, avec une relance de la course aux armements. Le coup a déjà servi dans les années Reagan pour abattre l'URSS. Mais de nombreuses questions restent en suspens. Elles tiennent pour l'essentiel à la résistance des protagonistes à la guerre d'attrition qu'ils s'infligent. Le facteur temps est ici le paramètre essentiel. Qui cédera le premier ? 1. L'Amérique peut-elle continuer à vivre aux crochets du «monde libre», creuser ses déficits intérieurs et extérieur et à s'endetter avec des taux longs qui ne cessent d'augmenter ? Les flux de capitaux qui vont sans cesse d'est en ouest pour combler ce gouffre insatiable qui persiste depuis des décennies vont-ils se tarir ? La hausse corrélative de l'euro est-elle durablement supportable par le commerce extérieur européen ? 2. Dans quelle mesure le coût exigé des pays européens sera-t-il supportable ? Exemple : sans évoquer les comptes publics et l'état de l'économie française, les sondages de popularité du président E. Macron et de son Premier ministre sont à un niveau politiquement préoccupant. Résultats du dernier sondage (réalisé par l'IFOP du 18 au 26 juin 2025) : - Une écrasante majorité de Français (80%) est mécontente du Premier ministre F. Bayrou. - 77% des Français sont mécontents du président de la République, dont 45% très mécontents. Jusqu'à quand ces deux-là continueront-ils de gouverner leur pays comme si de rien n'était, en se jouant des institutions et des citoyens ? La légalité, fortement sollicitée, suffira-t-elle à couvrir un déficit de plus en plus évident de légitimité ? 3.- L'audience des mouvements politiques d'extrême droite en Europe, simulacres d'opposition, suffira-t-elle longtemps à détourner et à court-circuiter des contestations plus «radicales» qui finiront par en venir à (se) poser les «bonnes» questions ? 4.- Portée à bout de bras par les Occidentaux, une aide multiforme et très coûteuse, économiquement, financièrement, diplomatiquement et humainement, pendant combien de temps l'Ukraine résistera-t-elle aux coups de boutoirs de l'armée russe ? Les caisses, les stocks d'armes et de munitions se vident peu à peu. Restent des bastions ultra-bétonnés, des hommes de moins en moins nombreux, de moins en moins motivés, fragilisés par manque de repos et d'alternance d'équipes, une conscription en panne... Un front de 1 200 km... 5. Inversement, jusqu'à quel point la Russie sera-t-elle en mesure de «tenir» économiquement et socialement face aux sanctions (les Européens en sont à leur 18ème paquet), qui leur sont infligées ? Moscou se prépare à cette crise depuis les années 2010. Cette préparation, est-elle suffisante, correspond-elle à l'évolution du conflit ? Et là aussi, jusqu'à quand ? 6. La présence de la Chine et des BRICS (l'Inde, le Viêt-Nam, la Corée du Nord, les anciennes Républiques soviétiques d'Asie Centrale...) sur l'échiquier mondial introduit-elle de nouvelles variables dans l'équation favorables à la Russie ? 7. La «neutralisation» de la Syrie et de l'Iran, sciemment entreprise dans ce but, dans quelle proportion affaiblit-elle la Russie ? Certes, on sait que Moscou n'est plus dépendant de Téhéran pour la production de drones que les Russes ont considérablement augmentée et perfectionnés. Combien de temps va durer ce jeu de chat et de souris, de glaive et de bouclier ? On sait que, politiquement, culturellement capables de tenir sous des contraintes très difficiles, les Russes ne céderont pas. Ils ont mesuré la différence entre la «liberté» sous Boris Eltsine et l'ordre protecteur, aussi oppressif peut-il être ressenti, sous V. Poutine. On sait aussi que la chute de l'Ukraine, en raison de ses conséquences, serait une catastrophe inacceptable pour les Etats-Unis qui n'envisagent pas une minute un retour aux conditions initiales : à savoir le rétablissement de l'axe Berlin-Moscou avec une industrie allemande qui reprendrait ses achats de gaz russe. Les changements induits dans l'Union Européenne seraient incalculables. Un accord entre Washington (si D. Trump y trouverait son intérêt), Moscou et Pékin dont l'Europe et les «fidèles alliés» feraient les frais, est-il concevable ? Les Européens ont avalé tant de couleuvres que la question ne les concerne pas. Les peuples européens, jusque-là ignorés, consentiraient-ils à ce que leurs dirigeants les fassent sortir si facilement de l'histoire par une petite porte dérobée ? Notes : 1. Abdelhak Benelhadj : «Embuscade en direct à la Maison Blanche.» Le Quotidien d'Oran, 06 mars 2025. 2. Précision : contrairement à ce qui est souvent publié, les F-35 ne sont pas pourvus d'un interrupteur («kill switch») activable à partir des Etats-Unis. Il est cependant connecté à un réseau qui permet l'exploitation de son logiciel ALIS pour assurer la maintenance, le briefing et le débriefing des missions, la trajectoire des missiles... le département de la Défense américain reste le seul à pouvoir procéder aux mises à jour. Résumé : il n'a pas d'interrupteur, mais c'est tout comme... 3. La Croatie a acheté 12 Rafale d'occasion, tandis que la Grèce a renoncé aux Rafale supplémentaires, au profit du... F-35. 4. Une série (que l'on peut suivre comme un documentaire), décrit sans ambages, avec une distanciation d'entomologiste, l'état de totale nudité de la souveraineté britannique, «La Diplomate» en deux saisons que Netflix diffuse depuis avril 2023. La troisième saison est annoncée pour l'automne prochain. 5. «Un quarteron de généraux à la retraite» s'était laissé naguère identiquement abusé par des étoiles sur un képi. 6. «Europa» : un premier étage anglais, un second français (Coralie) et un troisième allemand («Astris») avec une coiffe italienne. Trois étages, trois pays, 11 tentatives, 11 échecs. Willy Brandt mit un terme au projet. Les pays associés décident l'arrêt définitif du programme en décembre 1972 qui sera repris sous responsabilité française. Ariane ne réussira son premier lancement que le 24 décembre 1979. 7. Avec le «Opération Apollon» sous V. Giscard d'Estaing, il en sera autrement Si la découverte de la fission est allemande (Hahn, Meitner, Frisch et Strassmann), la réaction en chaîne par bombardement de neutrons est postulée en 1935 par F. Joliot qui déposa des brevets dès le 1er mai 1939. (Frédéric Joliot et Irène Curie, avaient obtenu en 1935 le Nobel de de chimie pour la radioactivité artificielle). Le début de la guerre en septembre, puis en juin 1940 n'a pas permis aux Français d'aller plus loin, même si la mise au point d'une bombe exigeait une maîtrise technologique et des moyens considérables que la France était très loin de posséder. (Cf. «Projet Manhattan»). 8. Et cela malgré le soutien de Paris (sans rien exiger en retour, ce qui a surpris le chargé de missions américain, disposé à réduire l'opposition américaine à la bombe française) à Washington dans la crise des missiles en octobre 1962. La tournée de de Gaulle, du 21 septembre au 16 octobre 1964 en Amérique du Sud, la chasse gardée des États-Unis depuis le début du XIXème siècle du président Monroe, a été triomphale. Consulter sur toutes ces questions, Vincent Jauvert (2000) : «L'Amérique contre de Gaulle. Histoire secrète». Seuil, 280 p. A propos de la «bombe», lire pp. 88-99. 9. Qui est venu, immédiatement après son élection, à Paris rencontrer C. de Gaulle entre le 28 février et le 03 mars 1969. 10. De même, le contentieux franco-algérien n'a que peu à voir avec la fable historique régulièrement ressassée outre-méditerranée. L'Algérie n'est plus à libérer et la frange la plus extrême des nostalgiques de l'«Algérie française» n'a aucune envie de reconquérir son ancienne colonie. Elle ne le peut ni ne le veut. En sorte que tenter de pacifier les relations entre les deux pays en improvisant une commission d'historiens est une belle farce faite à ces braves universitaires pour la plupart embraqués de bonne foi dans une fable pour demeurés. 11. La dette britannique aura été complètement remboursée en 2006. 12. Pour les cinéphiles épris d'histoire, je recommande le long métrage «Sacco et Vanzetti» de Giuliano Montaldo (1971) dont l'action se déroule précisément en cette période de l'histoire américaine. |
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