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Avant
même de rentrer dans mon propos, je me sens le devoir impérieux de citer un
extrait du discours du président Mohamed Boudiaf (paix à son âme), ce patriote
de l'Algérie comme on en fait peu, prononcé il y a 25 ans, le 22 avril 1992, et
qui reste encore d'une brûlante actualité, d'une brûlante intensité, tellement
il a sonné juste et touché au but. Mohamed Boudiaf disait:
«Notre système éducatif est sinistré».
Les déclarations d'autosatisfaction ne sauront cacher la réalité dramatique vécue par les élèves et leurs parents. Notre système éducatif produit des rejetés dans la rue, des hittistes sans qualification et des diplômés chômeurs. C'est une refonte totale de notre système éducatif qu'il faut envisager. Il faut moderniser notre école, l'ouvrir à la science, aux techniques, au monde du travail. Il faut l'adapter aux besoins de l'économie. L'école doit être un lieu de transmission et de production du savoir. Elle doit se situer en dehors des préoccupations politiques, partisanes et idéologiques. L'avenir de nos enfants nous oblige à consacrer à ce dossier le maximum d'attention». Voilà, tout est dit, et on a presque envie de ne rien ajouter à cela, mais il se trouve que l'inertie du système éducatif depuis ce discours, son immobilisme légendaire, et même l'aggravation de la situation du secteur nous obligent à reposer ses principales problématiques, ses principaux enjeux, et surtout à souligner l'urgence de cette réforme qu'on attend de nos vœux et qui ne vient pas, de voir notre école rejoindre les normes et les standards de l'instruction humaine universelle, pour qu'elle se mette enfin à former le citoyen algérien de demain, conscient et patriote, en phase avec la marche de l'humanité, et non le faux-croyant fanatisé rétrograde et fossilisé qu'on tente de nous présenter comme modèle pour le projet de société de l'Algérie future. Il n'est un secret pour personne que l'école algérienne, durant plus de 50 ans, a été un terrain privilégié de confrontations d'idéologies aussi diverses que contradictoires. Elle a été traversée, durant le début des années 60, par les mouvements démocratiques modernistes laïcisants, sorte de reliquats de l'école française et de l'orientation «socialiste» de l'Algérie, mais qui ont été trop faibles et trop éphémères pour laisser une empreinte significative et qui n'ont pas trouvé prise finalement. Ensuite, dès la fin des années 60, par les mouvements nationalistes populistes qui ont tenu les rênes du pouvoir, avec leurs crédos très porteurs. Et enfin sont venus, dans les années 70, les arabo-islamistes avec leurs discours et leurs méthodes bien connus. Ces courants idéologiques dominants que sont le nationalisme populiste et l'arabo-islamisme dans sa forme wahhabite, ont très largement façonné les programmes scolaires de l'école en général, et ceux de l'école primaire en particulier, car c'est là que s'opère, dans le cerveau de l'enfant, de manière irréversible, le processus d'incrustation idéologique et culturelle. Bien sûr ce façonnement qui ne dit pas son nom est venu sous le couvert de réformes successives menées «au nom du peuple», et prônant les valeurs nationales et identitaires fondamentalement biaisées qu'on connaît tous. Il était question, à l'époque, «d'algérianisation» du système éducatif, ensuite de son «arabisation», ensuite de son «islamisation», ensuite de sa généralisation à travers l'école fondamentale. Durant des décennies, ces réformateurs de l'apocalypse ont insufflé dans l'école leurs idéologies rétrogrades au détriment de sa vocation scientifique et civique. On se souvient bien sûr des principales étapes de cette évolution du système éducatif algérien vers Géhenne, vers sa décomposition programmée, elle avait ses «Commissions officielles», ses discours péremptoires, ses responsables attitrés, ses acteurs soudoyés, et ses résultats catastrophiques qu'on paye encore aujourd'hui par un niveau de médiocrité et de déliquescence sans précédent, qui obère l'avenir de nos enfants et celui du pays. Les quelques responsables algériens véritablement patriotes, trop peu nombreux, qui se sont élevés et qui ont voulu apporter quelques correctifs à ce processus honteux de pourrissement scolaire, ont été vite écartés, exilés, exclus, apostasiés. On se souvient de Mostefa Lacheraf (ministre de l'éducation de 1977 à 1979) «démissionné» par le FLN, on se souvient de Ahmed Djebbar (ministre de l'éducation de 1992 à 1994), remercié pour avoir dénoncé les méthodes de l'apprentissage passif, la politisation et l'idéologisation de l'école. On se souvient de Benali Benzaghou (président de la Commission nationale de réforme du système éducatif instituée en 2000) qu'on a mis sous le boisseau et qu'on a oublié malgré ses recommandations d'ailleurs très mitigées. Voilà, c'est en tout et pour tout, trois étoiles qui ont brillé, trop brièvement, dans le ciel noir du système éducatif algérien? Et la chape de plomb n'a pas encore été levée de dessus la tête de nos enfants! Même si elle n'en a pas l'apparence, la lutte et le forcing idéologiques ont été féroces et se sont peu à peu cristallisés dans les programmes scolaires de l'école primaire. Le nationalisme populiste a fait en sorte d'évacuer de l'école, et des livres d'école, la référence à l'universel, aux libertés et aux droits humains. Le panarabisme, mouvement nihiliste, a évacué la dimension amazighe de l'identité algérienne, ainsi que toute l'histoire antéislamique de l'Algérie. L'islamisme d'obédience wahhabite a évacué de l'école toute référence à la laïcité, au rationalisme, au modernisme, aux libertés de conscience et d'opinion. Peu à peu, et par la force des choses, l'école algérienne s'est vidée de science, de rationalisme, de civisme et de patriotisme, et s'est remplie d'idéologie, de mythologie, de mysticisme et d'intolérance. Le peu de pédagogues, de psychologues, de sociologues que compte l'Algérie, et qui détiennent les vraies solutions, ont été ignorés, mis de côté, dans des voies de garage, tandis que les charlatans de diverses obédiences idéologiques et islamistes, les «aventuriers aux diplômes douteux et à la formation bancale du Moyen-Orient» comme les qualifie Mohamed Lakhdar Maougal, ont pris les commandes de l'école algérienne, dès les années 60, et s'y maintiennent encore. Alors quel a été l'impact de ces enjeux politico-idéologico-religieux sur les programmes et les contenus livresques de l'école primaire algérienne? Comment chaque courant idéologique a-t-il incrusté, d'abord dans les manuels, ensuite dans les cerveaux de nos enfants, ses propres concepts et préceptes destructeurs? Eh bien on s'aperçoit que toutes les facettes de la manipulation idéologique ont été utilisées et actionnées dans la conception des contenus scolaires de l'école primaire. Une manipulation idéologique tout simplement diabolique. Il y a d'abord la valse des matières: celles qu'on élimine (l'éducation civique, la morale, l'artistique) et celles qu'on introduit (l'éducation islamique), ensuite leur volume: celles qu'on engraisse et celles qu'on dégraisse, ensuite leur contenu: le contenu scientifique jugé «subversif» ou «contraire» qu'on efface, et on introduit à la place les contenus de dimension mythologique ou mystique ou même fantasmagorique, qu'on habille de pseudoscience. Et on enveloppe enfin tous ces contenus ubuesques de méthodes pseudo-pédagogiques charlatanesques, basées sur le récitatif, le répétitif, le reçu passif, le restitutif, qui ont pour effet d'anesthésier les esprits et de fossiliser la pensée. Au total, on remarque très aisément, à travers les programmes scolaires de l'école algérienne, cette tendance forte à la négation et au reniement des contenus scientifiques universels, et leur remplacement quasi officiel par les croyances et les mythes. Où sont, dans les programmes scolaires, l'étude de l'Univers? La théorie du Big-bang? La théorie de l'évolution des espèces de Darwin et du Néo-darwinisme? La systématique animale et la place de l'homme dans cette systématique? L'histoire de l'homme de Neandertal, cette deuxième espèce humaine disparue? Les vérités génétiques de descendance et de spéciation, y compris pour l'humain? L'histoire de la spéciation, la disparition et la création continuelle des espèces vivantes? Le génie génétique, la transplantation génique et le clonage? Tout ce contenu scientifique universel a disparu des programmes scolaires, dans le but évident de renier la science, le savoir, et d'handicaper l'éveil de la pensée chez nos enfants. Ensuite, la deuxième grande imposture, et non des moindres, touche à l'identitaire et au culturel. Tous les programmes et les contenus scolaires sont orientés vers l'implantation, dans la tête de nos enfants, de la culture «arabo-musulmane», qui est certes une culture honorable, mais qui ne nous ressemble pas. En fait de culture «arabo-musulmane» il faut entendre par là, plus précisément, la culture «wahhabo-islamiste obscurantiste» qui a longtemps prévalu dans l'école algérienne, et qui garde encore toute sa force de nuisance. Nous voudrions bien consommer des modèles culturels, mais uniquement ceux que nous produisons nous-mêmes, au lieu de nous obliger à consommer des modèles nuisibles, importés et implantés. Ainsi, toute la dimension amazighe du peuple algérien (linguistique, culturelle, ethnique) a été purement et simplement reniée, effacée des programmes scolaires. Toute l'histoire antéislamique de l'Algérie a été purement et simplement reniée, effacée des programmes scolaires. Nous sommes donc passés sans transition de «Nos ancêtres les Gaulois» à «Nos ancêtres les Arabes», sans honte et sans pudeur. Durant plus de 50 ans, nous avions continué à cultiver le mythe de l'amnésie identitaire. Nous avions fermé les yeux et l'esprit, et nous continuons de le faire, sur nos origines, nos cultures authentiques, notre histoire véritable, notre Soi et notre Moi (au sens vraiment conceptuel psychologique). Ne nous faut-il pas, tous, en tant que peuple, passer entre les mains de nos psychologues? Sommes-nous, tous, quelque part, un peu fous de ne pouvoir regarder en face notre propre vérité? Il est vrai que les idéologies hégémoniques, du nationalisme, au panarabisme, à l'islamisme, nous ont fait beaucoup de mal, mais n'est-il pas temps de nous ressaisir, de redresser la barre, et de faire remonter notre fierté d'Algériens? De chercher nos valeurs dans celles de nos ancêtres, les valeurs de liberté (pleine et entière), de dignité, d'authenticité? Bien sûr, et pour peu qu'une prise de conscience nationale puisse s'enclencher, c'est par l'école, et seulement par l'école, qu'il faut espérer «renverser la vapeur», et faire en sorte que nos enfants puissent rejoindre le concert de l'humanité, au lieu de continuer de courir à reculons. Si réforme véritable il y a, et surtout s'il y a une véritable volonté pour cela, si on a le courage de sortir des atermoiements et des tergiversations stériles, c'est vers une refondation des programmes scolaires de l'école qu'il faudra y aller. Il faudra réintroduire, dans les manuels et les contenus de l'école primaire, la dimension universaliste scientifique, la dimension amazighe, la dimension culturelle et la dimension linguistique. Il faudra aussi que notre école en finisse avec le prosélytisme islamiste, avec cet islam très bizarre qui nous vient d'ailleurs, et qui nous présente l'intolérance, la violence, le mépris de la vie, l'obscurantisme et même l'idiotie comme valeurs suprêmes et summum de la foi. Ceci n'est pas notre islam, tout simplement. Si réforme véritable, authentique, scientifique, il doit y avoir, il faut désormais «changer le fusil d'épaule», écarter les idéologues et les charlatans qui ont trop occupé le haut du pavé, et faire appel à ces Algériens patriotes et compétents qui souffrent en silence de voir leur pays, leur peuple et leurs enfants aller à vau-l'eau. Il y a dans notre pays suffisamment de compétences, de spécialistes, d'académiciens, de penseurs, de chercheurs, de philosophes qui ont l'Algérie au cœur et rien d'autre, et qui peuvent nous concocter une véritable réforme de l'école algérienne. Bien sûr, concernant l'école, et depuis une bonne vingtaine d'années, tous les diagnostics ont été posés, mais il reste à aller vers les bonnes propositions et recommandations, celles qui ne font pas plaisir à tout le monde, celles qui soulèvent les vagues des forces rétrogrades, mais qui sont pourtant incontournables. Parmi ces propositions, on peut en citer quelques unes: Première proposition: Dans les classes du primaire, il faudra réserver un peu de place, entre 2 sourates si possible, et rendre obligatoire l'affichage de la Convention internationale des droits de l'enfance de l'UNICEF. Il faudra aussi organiser l'enseignement de ses grands principes à nos enfants. Dans les classes du moyen et du secondaire, afficher aussi les grands principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies, et l'enseigner à nos élèves. Deuxième proposition: Introduire dans les manuels scolaires du primaire, la famille algéro-amazighe. Cette famille serait composée de Amokrane le grand-père, de Tassaditt la grand-mère, de Arezki le père, de Amenna la mère, de Fouroulou l'enfant et de Kella la sœur. Cette famille algéro-amazighe serait bien sûr voisine et amie avec la famille arabo-musulmane qui existe déjà et qui est constituée du grand-père (anonyme!), de la grand-mère (anonyme!), du père (anonyme!), de la mère (anonyme!), du fils Reda et de Mounna la sœur. Ici aussi, je vous prie de relever la manipulation idéologique diabolique, qui consiste à «chosifier» les membres de la famille, dans le but de fragiliser le lien filial dans la tête de l'enfant, en les maintenant dans l'anonymat au même titre qu'une table, une chaise, ou un lit. Ceci n'est pas innocent! Nos psychologues ont leur mot à dire là-dessus. Il est connu en effet, à travers l'histoire, que les idéologies totalitaires ont tendance à vouloir fragiliser le lien familial et filial, et à encourager la solidarité et le sentiment d'appartenance de groupe ou de communauté pour pouvoir modifier les forces sociales. Troisième proposition: Réintroduire l'éducation morale, civique et citoyenne dans les programmes de l'école primaire, en tant que matière à part, indépendante de l'éducation islamique. On évitera ainsi l'amalgame qui est fait, et qui est utilisé à des fins obscurantistes, car la morale, la bonne éducation, la politesse, la propreté, l'amour de la famille, l'amour du prochain, l'amour du pays, l'amour du travail, le sens de la justice, la droiture, la gentillesse, et bien d'autres qualités encore sont des attributs qui appartiennent à toute l'humanité et qui n'ont rien à voir avec les religions. Quatrième proposition: Introduire et régler une fois pour toutes la problématique linguistique dans l'école primaire. L'enfant «doit» entamer son apprentissage scolaire dans sa langue maternelle, c'est-à-dire dans sa Darija pour les enfants de familles arabisées, dans sa langue amazighe pour les enfants de familles amazighes, quitte à trouver ensuite les solutions pédagogiques de fusionner ces langues, de les mixer dans des programmes spécifiques et de généraliser leur utilisation. La langue arabe classique dans sa dimension purement linguistique, peut être enseignée comme toutes autres langues et utilisée dans les cycles suivants comme langue d'apprentissage. Cinquième proposition: Réintroduire dans les programmes scolaires du primaire les matières artistiques à effet socialisant et structurant de la personnalité chez l'enfant. Ces matières ont été abolies, effacées des programmes dans un but obscurantiste évident. Il faut réapprendre à nos enfants à chanter, à danser, à faire de la musique, à faire du théâtre, à dessiner, à sculpter, à rire à l'école, à exploser leur potentiel artistique et leur joie de vivre. A faire le pied-de-nez à ceux qui veulent les enfoncer dans des modèles culturels lugubres et mortifères. Sixième proposition: Débarrasser l'école de toutes les idéologies, y compris celles d'inspiration religieuse, et remettre le contenu scientifique universel et les connaissances de l'humanité au goût du jour. La science, et surtout l'esprit scientifique, doivent retrouver leur statut privilégié et avoir le dernier mot dans les programmes de l'école algérienne. Veut-on vraiment réformer notre école et la mettre dans le giron de la marche de l'humanité? Voila donc formulées six propositions à mettre en œuvre, parmi d'autres bien sûr, car je ne prétends pas à l'exhaustivité, et de cette manière, peut-être pourrons-nous nous rapprocher un tant soit peu du vœu de notre défunt président Boudiaf, qui est mort assassiné pour que vive l'Algérie. *Professeur des Universités et parent d'élève, Université de Mostaganem |
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