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La notion
«Monument historique», s'établira, sans partage, dans le paysage
constitutionnel, législatif et administratif français, pendant plus de deux
siècles, pour être enchâssée, subtilement, dès l'année 2004, dans un nouveau
moule juridique, celui du «patrimoine culturel», au travers d'un Code du
Patrimoine de droit constant, qui reprend, par catégorie de droit, tout le
dispositif juridique préexistant, sans y déroger à ses fondements. D'aucuns
s'interrogent, aujourd'hui, devant un contexte historique et sociologique
complètement modifié, pourquoi l'Etat français demeure otage de l'empire des
Monuments historiques ? C'est, d'abord, par crainte du risque de voir
disparaitre l'un des éléments fondateurs des valeurs idéologiques d'édification
de l'histoire nationale française, dont l'Etat central jacobin continue à en
assurer la protection. L'autre biais, non moins important, est celui de voir se
rompre le lien de filiation avec tout le système de patrimonialisation des ex.
colonies, qui en sont toujours reliées.
Un système de patrimonialisation, fortement centralisé, qui ne pourrait tenir davantage en l'état, face à un nouveau contexte mondial globalisé, une politique régionale d'ouverture, l'apparition de nouveaux paradigmes dont le développement durable, qui remettent, de plus en plus, en cause le rôle de l'État providence, en soutenant la démocratie locale, les initiatives citoyennes, le mouvement associatif, et en y revendiquant des compétences sur le patrimoine culturel. Dans le titre «l'Etatisation du patrimoine : une voie sans issue», d'un ouvrage intitulé «Le patrimoine culturel entre le national et le local : chances et limites de la décentralisation» Paul Iogna-Prat conclut, s'agissant du patrimoine culturel français, qu'un consensus général s'était dessiné autour de l'idée «que le système étatisé, qui a eu cours pendant près de deux siècles, doit faire l'objet de notables réformes» et «qu'il convient [Rapport de la commission Bady] de passer d'une politique étatiste à une politique nationale». Deux options s'y dégageaient, l'une défendant la position d'un État central fort, pour préserver la cohérence du dispositif, tout en apportant des améliorations successives, au motif du maintien de l'unité nationale et de l'autorité de l'État central, seul garant possible de l'intérêt général, l'autre prônant la nécessité d'une refonte totale de la politique patrimoniale, dans le cadre général d'une redistribution complète des rôles et responsabilités entre les divers acteurs concernés. Le patrimoine culturel algérien : otage des Monuments historiques. La France est, aujourd'hui, face à un dilemme, entre deux courants politiques antagoniques, d'une part, les tenants de la consolidation de l'Etat-Nation et, d'autre part, ceux de la construction des territoires, de la promotion de l'individu et des identités locales. Mais en quoi l'Algérie est-elle, aujourd'hui, concernée par ce dilemme, pour y subir les contrecoups de ses difformités juridiques ? - De 1830 à 1962, le patrimoine culturel mobilier et immobilier algérien était sous l'empire de l'arsenal juridique métropolitain français, de son évolution historique, ses doctrines et sa jurisprudence. La France coloniale avait ciblé des biens culturels mobiliers et immobiliers significatifs, qui participaient de ses options idéologiques et politiques, selon la nature des pouvoirs qui se sont succédés, pour les ériger en Monuments historiques, dans une perspective de filiation aux valeurs métropolitaines. Une forme d'appropriation artificielle, par délégation, de l'identité et d'un territoire étrangers. Dans ce long processus de patrimonialisation d'Etat, l'«indigène musulman» constituait un impensé du système Monument historique. - De 1962 à 1998, le transfert de souveraineté en matière de patrimoine culturel s'est réalisé dans le cadre des mécanismes juridiques et instruments administratifs préexistants. En plus du capital musées, sites, monuments collections et autres mobiliers, le territoire algérien était subdivisé en circonscriptions archéologiques, en vertu de l'Arrêté du 26 avril 1949 portant création, en Algérie, des circonscriptions territoriales pour la surveillance des gisements archéologiques et préhistoriques. Ce découpage reposait sur un quadrillage méthodologique tiré de la carte de répartition des vestiges romains (Atlas archéologique de Stéphane Gsell), qui s'arrête au limes romain, ne dépassant pas la latitude de Messaad. Le Sahara n'était pas concerné par ce dispositif. C'est d'ailleurs cet argument que les négociateurs français des Accords d'Evian avaient fait valoir en 1961, pour justifier la séparation de l'Algérie et du Sahara : «L'Algérie n'a jamais étendu sa souveraineté sur les territoires du Sahara. Ses occupants ou ses conquérants ne s'y sont jamais installés, qu'il s'agisse des Romains, des Vandales, des Byzantins, des Turcs. Les deux territoires [Algérie-Sahara] n'ont été réunis sous la même souveraineté qu'au moment où la France a occupé le Sahara. Il était alors une terre sans maître et aucun lien historique n'existait entre l'Algérie et le Sahara», en ajoutant que «Le Sahara est distinct de l'Algérie car il est le vide?» (5). - De 1998 à aujourd'hui. Tout en exprimant la reconnaissance du patrimoine culturel de la Nation, la loi n°98-04 est, cependant, demeurée enchâssée dans l'étui du droit juridique français, en reproduisant les mêmes outils et mécanismes de l'Ordonnance 281-67, comme artifices techno-administratifs, vidés de leur signification historico-juridique. Conclusion. A la lumière de cet examen rétrospectif du paysage juridique patrimonial algérien, il se dégage la nécessité, d'abord, de revisiter le concept de «Monument historique», dans la perspective d'une mise en conformité et en adéquation avec son contexte historiographique colonial (1830-1962) et, ensuite, de repenser le patrimoine culturel algérien sous le prisme de l'historiographie nationale. Il y a lieu, également de dépasser la notion de «patrimoine», trop subjective pour recouvrir des significations juridiques précises et mesurables et investir, par contre, dans la reconnaissance juridique des «biens culturels», facilement identifiables et appropriables et moins chargés idéologiquement. Des pays à forte charge patrimoniale, comme l'Italie, ont des lois qui protègent les biens culturels. Il y a lieu, aussi, de lever le paradoxe existant entre les versions arabe [officielle] et française de la loi n°98-04, l'une, prônant l'héritage culturel [El turath] et l'autre le patrimoine. Un paradoxe, lourd de conséquences, dans ce sens où l'Algérie est concernée par un héritage transversal, universel, régional africain, méditerranéen et un patrimoine culturel national, d'appropriation verticale, qui procède des valeurs patrimoniales nationales, celles qui participent, le plus sûrement, à la construction de l'identité nationale. C'est pour éviter ce travers, qu'il est plus judicieux de parler de protection des biens culturels que de protection du patrimoine culturel. *Docteur Note (5)» Roland Cadet, l'un des négociateurs d'Evian : Sixième séance du mercredi 31 mai 1961, consacrée au Sahara). |
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