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Cette contribution sur la
thématique des biens culturels africains, déplacés dans le contexte de la
colonisation française, est une lecture critique du «Rapport Sarr/Savoy»(1) dans certains de
ses aspects liés à l'Algérie et le Maghreb d'une manière général.
Pour rappel, ce Rapport a été produit par l'historienne française Bénédicte Savoy et l'écrivain sénégalais Felwine Sarr, sur demande du président Français M. Emmanuel Macron, en 2017, à la suite d'un discours, prononcé à l'université de Ouagadougou (Burkina Faso), dans lequel il avait déclaré : «Je ne peux pas accepter qu'une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France... Il y a des explications historiques à cela, mais il n'y a pas de justification valable, durable et inconditionnelle, le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens? Je veux que d'ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique» (2). Le rapport, désormais appelé «Rapport Sarr-Savoy», a été remis au président français, le 23 novembre 2018. Notre lecture de ce rapport a relevé une certaine ambigüité dans l'énoncé du sujet, notamment sa réduction à la seule partie subsaharienne de l'Afrique : «Le rapport qui suit concerne la seule partie subsaharienne de l'Afrique. Il met en évidence la spécificité du cas africain et propose des solutions adaptées à ce cas précis»» (3). Cette «discrimination» avait suscité, çà et là, des interrogations et parfois même des réactions quelque peu polémiques, du genre : «Pourquoi le rapport commandé par le président Macron ? s'est limité à la partie subsaharienne de l'Afrique et a écarté des pays comme l'Algérie»(4). Les réponses avancées nous ont parues insuffisantes voire peu convaincantes. Non étayées dans le corps du rapport, elles sont renvoyées à une note infrapaginale, que nous reproduisons ici : « Sur le territoire africain, le cas de l'Algérie (qui a fait l'objet d'intensives négociations dès les années 1960 et donné lieu à d'importants mouvements de restitutions ou de dépôts à long terme après l'indépendance) et le cas de l'Egypte (qui s'inscrit dans une logique d'exploitation multilatérale des richesses du pays par plusieurs Etats occidentaux), bien que présents dans les collections publiques françaises, relèvent de contexte d'appropriation et impliquent des législations très différentes du cas de l'Afrique au sud du Sahara. Ces cas devront faire l'objet d'une mission et d'une réflexion spécifiques.» (5). Le découpage du continent africain en une Afrique subsaharienne et une Afrique du nord est assez classique, lorsque les attendus sont écologiques ou climatiques, participant d'un objectif méthodologique voire pragmatique. Ce qui n'est pas le cas ici, où la partition semble renvoyer à des motivations d'ordre géopolitique, pour servir un sujet qui met en relation dialectique la circulation des biens culturels et le phénomène de la colonisation. En 2008, un auteur français, Gabriel Letrucq, avait déjà approché le sujet sous cet angle : «? Un point cependant parait intrigant : la question des restitutions, particulièrement dynamiques en Afrique noire, ne semble pas en être une au Maghreb. Le Maroc et la Tunisie n'ont pas engagé de procédures dans ce sens. Les quelques restitutions de la France à l'Algérie portent sur des œuvres dérisoires. Est-ce admettre qu'il n'y a rien à restituer au Maghreb ? Et donc qu'il n'y rien à réparer ? Les déclarations du président Bouteflika en 2006 et 2006 tendent pourtant à montrer l'insignifiance des gestes symboliques de la France au regard de la dette coloniale? Traiter de la question des restitutions pour les pays du Maghreb peut donc paraître inapproprié» (6). Dans cette construction dichotomique, l'Afrique subsaharienne est placée en opposition, non pas un Maghreb, en tant que compartiment sous-régional (Afrique du Nord), mais à deux pays, l'Egypte et l'Algérie, pris comme éléments de démonstration. Dans le cas de l'Algérie, le «Rapport Sarr/Savoy» a fait état de négociations [entre la France et l'Algérie], dès les années 1960, qui auraient abouti à des restitutions et à des dépôts [d'œuvres] à long terme, après l'indépendance (7). De quels négociations, restitutions et dépôts s'agit-il ? En 1960, l'Algérie était encore département français, pour deux ans encore, jusqu'en juillet 1962. Il y aurait, donc là, une confusion entre deux évènements distincts et décalés dans le temps : les «négociations d'Evian» , entamés en 1960, qui ont présidés à l'indépendance de l'Algérie, en 1962 et des «discussions» (8), menées après l'indépendance, entre deux Etats souverains, la France et l'Algérie, sur le statut de certaines œuvres d'art, réparties entre les musées du Louvre et des Beaux-arts d'Alger, ce que d'aucuns ont appelé les «300 tableaux du musée des Beaux-Arts d'Alger» (9). Dans la page 15 du rapport, cette confusion est levée et les deux évènements sont replacés, chacun dans son contexte : «au lendemain des accords d'Evian (1962), et quelques mois avant l'indépendance du pays, la France ordonne le transfert à Paris de trois cents tableaux du musée des Beaux-Arts d'Alger qui ne seront restitués à l'Algérie que sept ans plus tard au terme de rudes négociations» (10). Par cet exemple algérien, les auteurs F. Sarr B. Savoy voulaient, sans doute, mettre en relief un processus de restitution abouti, sans se risquer dans un exercice d'approfondissement d'un sujet d'apparence litigieux. Nous avons pensé, pour notre part, que cet exercice valait la peine d'être tenté, pour mieux contenir l'un des enjeux majeurs des biens culturels africains déplacés dans le contexte de la colonisation française. C'est à cet exercice que nous nous sommes essayés, ici, s'agissant des «300 tableaux du musée des Beaux-Arts d'Alger». D'emblée, nous réfutons l'usage du mot «restitution», en l'absence d'ancrage et de contenu. Associé aux «trois cents tableaux du musée des Beaux-Arts d'Alger», ce mot semble désigner les deux protagonistes, celui qui demande et celui qui doit restituer. Nous préférons, dans une approche préalable, les termes «retour» (11) et «récupération» (12), qui sont plus en accord avec la réalité du sujet. La restitution n'intervenant qu'au stade de la détermination de la position des protagonistes : le «coupable» et la «victime», dans la perspective de la réparation, si injustice il y a. Bien que les faits ne soient pas encore bien élucidés, ce que nous croyons savoir des «trois cents tableaux du musée des Beaux-Arts d'Alger», est qu'en avril 1962, un mois après la signature des accords d'Evian, l'Etat français, arguant d'une menace de sabotage du musée des Beaux-Arts d'Alger, par l'organisation de l'armée secrète l'O.A.S, avait cru «sage» (13) de retirer des œuvres du musée des Beaux-Arts d'Alger et de les transférer au musée du Louvre, à Paris. Nous ne savons pas comment les choses se sont passées. C'est un hiatus dans la mémoire archivistique du musée des Beaux-Arts d'Alger. Pour avoir une idée de la situation, nous avons sollicité le témoignage de l'écrivaine et professeur Colette Juilliard Beaudan (14) : «C'est bien entendu en 1962, au moment des accords d'Évian et des plasticages de l'OAS, que le statut et la sécurité même du musée et de ses œuvres vont se retrouver sur la sellette. Mais c'est également à ce moment-là que les pistes se brouillent : que sont devenues les œuvres ? On dit qu'elles ont été rapatriées en France, puis rendues ? Puis reprises ? Puis rendues ? Toutes ? Qui a fait quoi ? Sont-elles répertoriées ou bien dans la nature ? Nous sommes en présence de trois versions des événements. Si vous vous renseignez sur le fameux site de Wikipédia, on vous dit que 300 œuvres seulement sur les 8.000 sont rapatriées en France, puis que certaines seront rendues par André Malraux, alors ministre de la Culture du Général de Gaulle, au Musée d'Alger? Selon d'autres sources, pratiquement tout aurait été rapatrié à Paris puisque c'était la propriété de la France, mais qu'après négociations en 1968, (impossible toutefois d'en connaître la vraie substance, en dehors des deux pages de protocole et du listing conservés dans les archives), Malraux en aurait redonné 800, en reconnaissant que ces œuvres appartenaient bel et bien à l'Algérie?» (15). Mais pourquoi le chiffre 300 parmi les 8000 œuvres que comptait le musée des Beaux-Arts d'Alger ? Une donnée d'importance, qui suppose des choix délibérés et donc une sélection d'œuvres, selon des critères et des goûts arrêtés. Dans la littérature disponible, le sujet a toujours été traité en terme d'œuvres, de tableaux ou de pièces, au sens arithmétique du terme, mais quasiment jamais sous le prisme de la collection, c'est-à-dire de la cohérence d'ensemble et de l'intégrité. Il s'agit, en fait, d'œuvres artistiques, arrachées à leur collection, dans un musée public, régi par une loi : l'ordonnance n° 45-1546 du 13 juillet 1945 portant organisation provisoire des musées des beaux-arts, dont l'article 2 stipulait : «Est considérée comme musée, au sens de la présente ordonnance toute collection permanente et ouverte au public d'œuvres présentant un intérêt artistique, historique ou archéologique». Le musée des Beaux-Arts d'Alger se définissant comme collection permanente. Les collections du musée des Beaux-Arts d'Alger ont été constituées, entre 1930 et 1960, par le conservateur du musée, Jean Alazard (1887-1960) (16), dans la perspective d'une muséalisation universaliste (17), qui couvre différents courants artistiques, des œuvres de la Renaissance italienne, flamande et française, des XVIe, XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe siècles ainsi que des œuvres d'artistes contemporains algériens tels Azouaou Mammeri, Mohammed Racim et Mohamed Temmam. Amputée d'une partie de ses œuvres, la collection permanente a perdu de sa consistance et de son intégrité, celle qui lui donnait sens. Cette situation ne convoque pas les œuvres d'art elles-mêmes mais interroge, d'abord, les archives qui accompagnent l'activité muséale, la mémoire du processus historique de constitution de la collection. Le retour des œuvres du musée des Beaux-Arts d'Alger, n'ayant pas été effectué en temps requis, par l'Etat français, c'est l'Algérie indépendante qui en réclama la récupération, dans le souci du rétablissement de l'intégrité des collections, suivant les orientations du conservateur du musée, Jean de Maisonseul (18). Les choses ne se sont pas passées dans le respect des règles muséologiques et muséographiques de musées publics. En effet, en décembre 1969, «159 tableaux» et «136 dessins d'art français» furent remis au musée des Beaux-arts d'Alger, dans le cadre d'une opération d'échange et de remplacement (rétrocession, rapatriement, dépôt) (19). Nous ne sommes plus dans la collection Alazard, au sens de la consistance artistique et historique. Il ne s'agit, alors, ni d'un retour, ni d'une récupération et encore moins d'une restitution de biens culturels (20) mais tout au plus d'une substitution d'œuvres et d'une restructuration de collections. D'aucuns s'ingénient, aujourd'hui, à poser la question du statut légal de certaines œuvres du musée des Beaux?Arts d'Alger, mettant parfois en doute la propriété algérienne d'un patrimoine artistique dit «français». Quel est le pays d'origine des œuvres du musée des Beaux-Arts d'Alger et qui en est le propriétaire légitime ? Telle semble être la pierre d'achoppement. Rappelons quelques points de vue sur la question: En 2017, l'historienne française Elizabeth Cazenave et le juriste Jean-Christian Serna (21) avaient fait observer qu' «au moment où se profilait l'indépendance, il parut sage aux autorités responsables [Françaises] de mettre à l'abri une partie des collections du Musée national des Beaux-arts d'Alger.», en soutenant que : «si certaines œuvres étaient bien la propriété du Musée, comme ayant été acquises sur son budget ou celui de la colonie, il en allait autrement de nombres d'autres, propriété du Musée du Louvre et simplement mises en dépôt à Alger». En 2018, dans un entretien, réalisé par RFI, sur le thème de la «Restitution d'œuvres d'art africaines : le cas de l'Algérie», Zahia Rahmani (22), déclarait : «... par exemple concernant la présence de collections dans le territoire algérien et qui ? au moment de l'indépendance ? ont nécessité un certain type de négociation. L'Algérie revendiquant ces collections comme étant son patrimoine ; La France disant que ces collections étant en dépôt?».A une autre question sur l'importance du patrimoine culturel algérien en France elle répondit : «Moi, [lors de l'exposition «Made in Algeria], j'ai eu affaire à un patrimoine qui était, soit produit par des Français, et qui concernait le territoire algérien, soit produit par des Français pendant la colonisation. Cela pose un problème de représentation de ce territoire et aussi la manière dont ils fabriquent une archive de ce pays. Le vrai problème que posent ces œuvres et ces archives, c'est leur disponibilité pour la société algérienne, la possibilité d'y accéder et les étudier sachant qu'en France, une grande partie de ces objets ne sont pas disponibles. Ce sont des objets qui sont dans des réserves ou même inconsultables pour certains?» (23). A suivre Renvois : (1) Felwin Sarr, Benedicte Savoy, Restituer le patrimoine africain ; Oaris, Philippe Rey/Seuil, 2018. (2) Discours du président de la République française Emmanuel Macron à l'université Ouaga I professeur Joseph Kiserbo, à Ouagadougou, publié le 29 novembre 2017 sur le site internet de l'Elisée. (3) Idem (1). (4) RFI, 2018 - Restitution d'œuvres d'art africaines: le cas de l'Algérie Texte par : Siegfried Forster (5) Idem (1). (6) Jean-Gabriel Leturcq, 2008 - «La question des restitutions d'œuvres d'art : différentiels maghrébins», L'Année du Maghreb. (7) Idem (1) (8) Nous utilisons expressément le terme discussion au lieu de négociation pour éviter l'anachronisme avec les négociations d'Evian. (9) Le Monde, 4/12/1969, «Près de trois cents œuvres d'art ont été restituées par la France». (10) Idem (1). (11) Par retour s'entend l'acte de remettre sans autres obligations. (12) La récupération pose la question du point de vue de celui qui a reconnu et localisé ses biens culturel à l'étranger. (13) Nous reprenons ici le terme «sage» utilisé par. Élisabeth Cazenave, (Cf. 21) (14) Colette Juilliard Beaudan, 2010 ? Beaux-Arts ? Les péripéties du Musée des Beaux-Arts d'Alger ? In Les Cahiers de l'Orient, p. 49 à 54. (15) Idem (14). (16) Jean Alazard (1887-1960) - historien de l'art, spécialiste de la Renaissance italienne et conservateur du musée d'Alger de 1930 à 1960. (17) C'est un musée qui, globalement, expose des œuvres sans distinction d'origine géographique, d'époque ou d'école artistique. (18) Jean de Maisonseul, né le 3 août 1912 à Alger en Algérie et mort à Cuers le 3 juin 1999, est un urbaniste et peintre français, conservateur du musée des Beaux-Arts d'Alger. (19) Lettre de l'ambassadeur de France à Alger adressée au ministre des Affaires étrangères algérien, datée du 11 juillet 1968 (archives du musée des Beaux-Arts d'Alger), mentionnée dans le Recueil Général des Traités de la France. Accords bilatéraux non publiés, 1958-1974, Paris, La Documentation Française, 1977, vol. II, n° 680, p. 330, cité in Perrot 2005, p. 232. (Cf. 6). (20) Le terme restitution est ambigüe, il renvoi, globalement, à un acte de transfert d'un objet à son titulaire légitime, impliquant réparation de préjudice. (21) Élisabeth Cazenave, Jean-Christian Serna. 2017 - Le patrimoine artistique français de l'Algérie. les œuvres du Musée national des beaux-arts d'Alger, de la constitution à la restitution, 1857-1970. Éditions Abd-el-Tif, 2017 - 353 pages. (22) Zahia Rahmani, commissaire en 2016 de «Made in Algeria», la première grande exposition sur l'Algérie en France, et responsable du domaine de recherche «Histoire de l'art mondialisée» à l'Institut national d'histoire de l'art à Paris. (23) RFI, 2018 - Restitution d'œuvres d'art africaines: le cas de l'Algérie Texte par : Siegfried Forster |
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