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En ce qui concerne l'impact du
QE2, M. Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque
populaire de Chine, a très bien résumé le 5 novembre, cité à maintes reprises
dans la presse chinoise. Selon lui, si le QE2, initialement conçu pour relancer
l'économie nationale aux Etats-Unis, s'est doté d'une portée internationale,
c'est justement parce que le dollar est la monnaie internationale de réserves
et le principal intermédiaire des échanges commerciaux transfrontaliers. La
prédominance du dollar a facilité la propagation des effets spil-over
du QE2 dans le reste du monde. Ainsi, les répercussions du QE2 sur d'autres
économies se concrétisent selon deux axes: la
dépréciation du dollar et la fuite des liquidités créées par le QE2 vers le
reste du monde, notamment vers des pays émergents.
Pour la Chine, un dollar américain déprécié a pour conséquence directe la perte de valeur des réserves de change chinoises, plus de 60% de ces réserves étant libellées en dollar. De surcroît, étant donné que la majorité des transactions concernant les matières premières se font en dollar, une baisse de la valeur du billet vert ferait augmenter les prix de ces matières premières, ce qui engendre de l'inflation importée pour la Chine. Par ailleurs, le QE2 injecte une grande quantité de liquidités sur le marché. Cependant, contrairement à ce que la Fed prévoyait, les liquidités nouvellement créées ne sont pas restées aux Etats-Unis. Elles se sont précipitées vers des pays émergents, dont la Chine, où le marché boursier et le marché immobilier offrent de bien meilleures opportunités de placement qu'aux Etats-Unis. (voir document note 3). Des économistes et de hauts fonctionnaires chinois ont exprimé dans la presse chinoise leurs inquiétudes concernant l'entrée des capitaux spéculatifs en Chine. L'arrivée des capitaux fébriles a déjà fait augmenter les prix des actifs sur des marchés internes chinois. Par exemple, Pan Shiyi, le plus gros promoteur foncier chinois, a confirmé une pression haussière des prix des logements dans des grandes villes chinoises de premier rang (N¿~ÎW11Î, Yixian Chengshi), en raison d'importants investissements étrangers dans des logements de haut de gamme. A terme, des bulles spéculatives - boursière ou immobilière - seront formées, qui risquent d'éclater une fois que les spéculateurs étrangers auront perdu leur confiance dans la conjoncture macroéconomique future du pays d'accueil. Par conséquent, Ding Zhijie, interviewé par Zhengquan Ribao, conclut que «le QE2 américain sera à l'origine d'une crise financière dans des pays émergents». Le recentrage de la politique du contrôle des changes met en lumière la détermination des autorités monétaires chinoises pour faire reculer les investisseurs spéculatifs étrangers. Preuve en est la publication d'une nouvelle circulaire par l'Administration nationale des changes (ýV¶[YGl¡{t@, Guojia Waihui Guanliju) le 9 novembre, juste après l'annonce du QE2 par la Fed. Par ailleurs, la Chine est en train d'étudier l'exemple du Brésil et de la Thaïlande, qui ont recouru à une forme de taxe Tobin pour restreindre l'entrée des capitaux étrangers de court terme dans leur pays. De son côté, le 27 septembre 2010, le ministre de l'Economie brésilien, Guido Mantega, affirme que son pays est «au milieu d'une guerre des changes».(4) On peut comprendre les reproches de la Chine, du Brésil et des autres pays faits à la politique monétaire américaine. Il peut apparaître que les liquidités injectées dans le cadre des QE font naturellement baisser le dollar, ce qui permet de donner un avantage à l'économie américaine, au détriment des partenaires commerciaux, et accentue les déséquilibres. Cependant, les autorités monétaires freinent l'appréciation naturelle du yuan en achetant des devises étrangères. Mais, au-delà de cette «guerre des monnaies», qui gagne en réalité ? Qui jouit d'une croissance insolente ? N'est-ce pas les pays émergents, notamment asiatiques, la Chine, la Russie et les pays pétroliers qui accumulent des excédents commerciaux, et par conséquent, des réserves de change. «Des réserves de change toujours pilotées par les grandes puissances» Tout d'abord, il faut faire la part des choses dans l'action de la Réserve fédérale américaine dans l'endiguement de la crise financière de 2008. La situation était si grave qu'elle risquait de paralyser l'économie américaine, ce qui aurait des conséquences sur le reste du monde. Il fallait à tout prix que l'Etat américain intervienne pour ramener la confiance entre les banques. Chaque banque se méfiait de l'autre, le système bancaire américain était truffé de crédits douteux. Les mesures prises par la Fed s'avéraient être le seul chemin pour dénouer la crise financière qui s'est étendue à l'Europe et au monde. Si les économistes chinois avaient raison de critiquer les programmes de Quantitative Easing opérés par la Fed, il demeure que les Etats-Unis n'avaient pas d'autre solution. Ils avaient à choisir entre le sauvetage de leur système bancaire ou affronter une débâcle financière qui serait pire que la crise des années 1930. D'autre part, la question du faible taux d'inflation aux Etats-Unis, en Europe, au Royaume-Uni et au Japon, et toujours moins de 0,5%, rarement dépassé, «et toujours ce refinancement QE qui revient, en Occident, et pendant près de sept ans». Tout simplement, ces liquidités fuitaient vers les pays émergents via les excédents commerciaux et les placements dans ces pays qui étaient encore en croissance. La Chine en a profité grâce au bas coût de la main-d'œuvre et du yuan déprécié. Ainsi, par ce double apport, la Chine maintenait sa compétitivité dans le commerce mondial. Elle a enregistré excédent sur excédent, et leur corollaire, l'accumulation des réserves de change qui sont les plus grandes du monde. Les pays pétroliers arabes, la Russie, en ont aussi beaucoup profité du fait que le pétrole a servi de «pondérateur des quantitative easing» au même titre que la «duplication monétaire» des trois puissances monétaires (zone euro, Royaume-Uni et Japon). Ces phénomènes de pondération du dollar ont été développés dans une analyse précédente.(2) «Les grands gagnants des QE ne sont pas seulement les Etats-Unis, l'Europe mais aussi les pays du BRICS, les pays émergents et les pays exportateurs de pétrole». En d'autres termes, quand les Occidentaux émettent les principales monnaies internationales, ils dopent leurs économies en exportant mais aussi en important, en consommant, et de ce processus poussent le reste du monde à exporter, à importer à consommer. Mais si les uns ont le privilège d'émettre des monnaies et ils sont les pays riches de la planète, le reste du monde met l'effort dans le faible coût de la main-d'œuvre, dans l'ancrage de la monnaie sur le pays le plus puissant du monde pour gagner de compétitivité. Les pays pétroliers bénéficient de la hausse des cours pétroliers puisque le pétrole joue un rôle comme l'or a joué dans le système de Bretton Woods. Donc peut-on blâmer la Chine pour son faible coût de la main-d'œuvre ? Ou qu'elle ancre son yuan sur le dollar en le maintenant déprécié par rapport au dollar ? On ne doit pas perdre de vue qu'au-delà de la montée en puissance, la Chine cherche à augmenter le niveau de vie d'une virgule de ses trois milliards de Chinois ? Est-ce négatif ? D'autant plus que ces 1,3 milliard de Chinois en consommant plus vont booster l'économie mondiale. Et c'est positif pour tout le monde: «Occident et reste du monde». Donc si les réserves de change de la Chine et des pays émergents et pétroliers ont augmenté, il reste que ces richesses sont toujours pilotées par les grandes puissances. I.e. en quantité et qualité. Et ce point est fondamental, et il signifie simplement que les pays riches ont un droit de regard, par leurs politiques monétaires. Ceci étant, établissons le gain retiré des pays émergents, dont principalement la Chine, et les pays pétroliers arabes. 1. Les réserves de change de la Chine passent de 1.966,200 milliards de dollars, en 2008, à 2.914,154 milliards de dollars, en 2010. En 2014, elles augmentent de 1.000 milliards de dollars, elles s'élèvent à 3.952,130 milliards de dollars. Malgré le taux de croissance qui a chuté à 7,8% en 2012.(5) 2. Les réserves de change de la Russie passent de 427 milliards de dollars, en 2008, à 537,618 milliards de dollars, en 2012. Elles ont baissé fortement qu'en 2014, suite à des attaques spéculatives et à la baisse des prix de pétrole et du gaz. 3. Les réserves de change de l'Arabie Saoudite, premier producteur et premier exportateur des pays de l'OPEP, atteignent 43 milliards de dollars, en 2014. Les autres pétromonarchies arabes totalisent environ 750 milliards de dollars. Les réserves de change de l'Algérie passent de 143,102 milliards de dollars, en 2008, à 193,269 milliards de dollars en juin 2014. La dette extérieure, pratiquement remboursée, s'établie à 3,719 milliards de dollars.(6) Le frein occidental qui devient malgré lui «le financier du monde» Que peut-on dire de cette formidable accumulation réserve de change ? Tout d'abord que les craintes chinoises sur les QE américains, bien qu'elles fussent justifiées dans le sens que la baisse du dollar pouvait écorner la valeur effective des réserves de la Chine, s'avèrent non fondées. Bien plus, c'est grâce à ces QE que la Chine a accumulé des excédents commerciaux, et par conséquent a augmenté ses réserves de change. Justement, ce déséquilibre macroéconomique pose problème aujourd'hui à la première puissance du monde. Que signifient ces réserves de change ? Sinon une dette nette que l'Occident, en particulier les Etats-Unis, doit à la Chine. Et c'est une dette extérieure nette qui s'élève au bas mot à 6.000 milliards de dollars, endossée pour une bonne part par les Etats-Unis, ensuite vient la zone euro, et enfin le Royaume-Uni, le Japon... Le processus qui a joué entre l'Occident et le reste du monde est somme toute naturel. Les Banques centrales occidentales qui créaient des liquidités monétaires dans le cadre de programmes QE, MES, Abenomics, ont, à travers leurs déficits commerciaux, fait grossir les réserves de change des pays émergents (Chine, Russie, Brésil?) et les pays arabes exportateurs de pétrole, qui, à leur tour, les ont placées en Occident, pour qu'il consomme les produits made in China, d'Amérique du Sud, d'Asie, et importent du pétrole et du gaz de Russie, des pays arabes. En quoi de négatif est ce processus ? Ne peut-on pas voir en fait un apport des pays riches aux pays non riches, et inversement, et que ce processus a fait tourner la machine économique mondiale. Quant Larry Summers, ancien secrétaire d'Etat au Trésor dans l'administration Clinton, devenu conseiller économique du président Obama, appelait cette relation financière et monétaire liant la Chine aux Etats-Unis d'«équilibre financier de la terreur»(7) ou encore la «stagnation séculaire»(8), en réalité, il n'y a ni l'un ni l'autre, tout au plus en apparence. Comme les Chinois se crurent des «victimes» des QE américains alors qu'ils étaient des gagnants, comme le montre l'accroissement de leurs réserves de change. Il y a simplement un problème de rattrapage, et les pays émergents et exportateurs de pétrole, en boostant l'économie mondiale, non seulement en exportant et en important contribuent à la croissance mondiale mais obligent l'Occident à se mettre «monétairement» en diapason avec l'accélération de l'«absorption mondiale». Les concepts émis n'expriment en fait que «le frein occidental qui devient malgré lui le financier du monde», comme d'ailleurs il l'a été pendant longtemps. Et ce frein occidental est naturel. Si le reste du monde n'avait pas existé, et par conséquent les Quantitative Easing n'auraient pu exister, car la question qui se pose en cas d'émissions de QE: «Qui va absorber ces formidables liquidités ?» Les Etats-Unis ? Comment ? L'Europe qui a aussi des monnaies internationales ? Si les Etats-Unis avaient mené des QE pour relancer leur économie, l'Europe aurait forcément suivi pour dégonfler ses monnaies. Qui se seraient fortement appréciées puisque le dollar s'est déprécié par les QE de la Fed. Dès lors, nous aurons, en l'absence d'un reste du monde, des Quantitative Easing américains et européens à «somme nulle», i.e. sans effets. Pas d'absorption ! Et c'est ce qui s'est passé après la crise de 1929. Le reste du monde était entièrement colonisé ou dominé. La production manufacturière et industrielle était essentiellement occidentale. L'Afrique et le monde arabe entièrement colonisés ou sous protectorat. L'Amérique du Sud, entièrement dominée, exportatrice de matières premières. L'Asie, exceptés l'URSS et le Japon, était colonisée ou dominée. Donc plus de trois-quarts de l'humanité étaient out de l'«absorption mondiale». On comprend dès lors que, sans le reste du monde d'aujourd'hui, i.e. sa participation à la croissance mondiale, son rattrapage et sa part de consommation dans la Consommation mondiale, la crise financière de 2008 aurait été similaire à la crise de 1929. Le monde serait replongé avec la dépression des années 1930, avec la destruction des dizaines de millions d'emplois. Ceci nous fait dire qu'il y a une véritable «osmose» entre l'Occident et le reste du monde. Il est évident que le rôle de l'Occident dans la finance et la croissance mondiale probablement marquera encore longtemps le monde. Le système financier et monétaire international ne peut changer de manière radicale en deux ou trois décennies, il ne peut évoluer que progressivement, et en adéquation avec l'évolution du reste du monde. Entre la crise de 1929 et la crise de 2008, il s'est passé 80 ans. Ceci nous dit qu'il reste encore beaucoup de progrès pour s'acheminer à un véritable système monétaire multipolaire englobant l'Occident, et les autres grands pôles économiques (Chine, Inde, Brésil, Russie?). * Auteur et chercheur indépendant en Economie mondiale - Relations internationales et Prospective Notes 3. China Analysis n°31 Asia Centre. Zhou a prononcé ce discours lors du 1er sommet Caixin à Pékin, le 5 novembre. Ce sommet, ayant comme thème «La Chine et le Monde», étudie le rôle et la stratégie que la Chine devrait adopter dans un monde en grande transformation. http://www.centreasia.eu/sites/default/files/publications_pdf/china_analysis_no_31_1.pdf 4. «Guerre des monnaies, les raisons d'un bras de fer», (source AFP) Le Point.fr. 22/10/2010. http://www.lepoint.fr/economie/guerre-des-monnaies-les-raisons-d-un-bras-de-fer 5. http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/Chine/balance-des-paiements-courants.html 6. Tendances monétaires et financières au second semestre 2007 - au second semestre 2008 - au second semestre de 2009 - au premier semestre 2014 - au premier semestre 2015. http://www.bank-of-algeria.dz/html/notes7.htm http://www.bank-of-algeria.dz/html/notes5.htm http://www.bank-of-algeria.dz/html/notes1.htm http://www.bank-of-algeria.dz/pdf/notedeconjoncture 7. «L'équilibre financier de la terreur», Le Point. 04/12/2008. http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2008-12-04/l-equilibre-financier-de-la-terreur/ 8. «La stagnation séculaire dans les cycles financiers de longue période», Michel Aglietta, Thomas Brand. http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/em/abstract.asp?NoDoc=8138 |
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