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Mokedem Mohamed, surnommé Hamé, est venu
au monde le 10 Novembre 1953 à Chabat El-Leham (Ex Laférrière), un très joli village de type colonial dans la
Willaya d'Ain-Temouchent dans une famille modeste, traditionnelle et nationaliste.
Dès son premier anniversaire, ce fut un petit ballon en plastique qu'il reçut de son père comme cadeau qu'il ne cessa de pousser à longueur de journée dans tous les coins de la maison. En 1957, alors âgé de quatre ans, à la sortie de son père de la prison d'Oran où il était détenu pour sa participation effective et active à la libération du pays, et une interdiction de séjour dans son lieu de résidence, ce fut le premier déménagement vers Oran où son père continua son action militante de Moussabel jusqu'à l'indépendance très chèrement acquise. A cet âge, et comme tous les enfants, il fréquenta la mosquée de Sidi ?El- Houari où il fit son apprentissage du coran sous la houlette de cheikh Abdelkader (que Dieu ait son âme), où il réussit à réciter par cœur hizb et demi. C'était la fierté de toute la famille et des voisins. Puis, à six ans, il fréquenta l'école primaire Paul Doumer, toujours à Sidi-El-Houari. A la sortie de l'école, c'étaient les interminables parties de football en compagnie de ses copains de classe sur un terrain vague non loin du bassin avec un ballon fait de chiffons, papier et plastique. A cet âge déjà, il faisait quelques gestes techniques ahurissants et à tourner la tête.Cela dura jusqu'à douze ans où il retourna dans son village natal à soixante kilomètres d'Oran. Là, c'était « jnane beilek », un espace de verdure, de villégiature et de détente où se trouvaient deux terrains de tennis et pelote basque. Dans cet endroit calme , tranquille et ombragé que surplombait la très belle salle de fêtes ,vivaient dans le petit oued qui ruisselait toute l'année, des tortues d'eau douce , des poissons, des anguilles , des têtards et une multitude d'oiseaux comme le chardonneret, le rossignol, le rouge-gorge, le canaris et même la cigogne du village qui venait faire sa trempette et se rafraîchir. Ce lieu est devenu par le temps, le lieu privilégié de parties de football où même des personnes âgées venaient en nombre pour assister au spectacle offert et pourquoi ne pas détecter l'oiseau rare, la perle rare. Et Hamé faisait parler de lui avec insistance et éloge. Son nom était sur toutes les lèvres et dépassait les périphéries du stade et les spectateurs venaient plus nombreux. Les connaisseurs et d'anciens joueurs de l'USL (Union Sportive Laférrière créée en 1936 avec l'EMOran, la Marsa, le CA Planteurs, le FC Oran?) parlaient déjà du génial, du prodige, du phénomène Hamé. Une étoile montante, une star était née dans ce petit paradis perdu et inconnu. C'est ainsi que quelques temps après, aux environs de quinze seize ans, c'est une armada de personnes âgées dont la plupart étaient des anciens joueurs de l'USL et dirigeants de l'équipe du village qui débarquèrent chez son père pour le convaincre de les autoriser avec insistance à l'intégrer dans l'équipe séniors, le WAC ( Widad Athlétique Chaabat). Après accord de son père qui ne connaissait rien au football, la première licence a été signée presque à dix sept ans et cela sans passer par aucune école de football. Et, ce furent Messieurs Marcisse ancien joueur d'Angoulême, Bendouma, Benaouda Boumediene, Bendima Mohamed, Bouterfas le taxieur, Mouedden Saïd, Bennyettou Beknadil, Djoundia Saïd, Boualem Maagouz et d'autres personnes qui l'adoptèrent comme leur propre fils au sein du club et surtout lors des déplacements en dehors de ses bases vu son jeune âge. Lorsqu'il débuta, il n'y avait même pas chaussure à ses pieds, et, avec les moyens limités dont disposait le club, c'était Djoundia Saïd qui lui ramena de Marseille une paire de chaussures ainsi qu'un survetement de marque Adidas et surtout des protèges tibias. Toutes ses personnes constituaient presque une garde rapprochée pour le mettre à l'aise et développer tout son talent et surtout tenir parole à son père duquel ils ont pris acte. Dès son incorporation dans l'équipe fanion, on le responsabilisa de porter le mythique numéro 10 au poste d'électron libre à l'image des grands joueurs du monde pour diriger et orienter ses coéquipiers. Le fait de porter ce numéro était surtout assimilé à une notation de dix sur dix au regard des différentes prestations fournies, pleines de spectacle, de classe et de virtuosité. Bien assis sur ses jambes et une morphologie plus semblable à Maradona que Messi, il se permettait de réussir tout ce qu'il entreprenait. En plus de sa puissance, sa souplesse, sa rapidité, sa maîtrise technique, une force de pénétration inégalable et une vision de jeu exceptionnelle, il avait ce don génial de faire des ravages là où il disputait ses matchs officiels ou amicaux. Et sa mission principale dans le match était de marquer des buts. Il accomplissait sa tâche avec brio, aisance, classe, beauté. Marquer un but ne lui plaisait pas. Pas content du tout. Pour lui, c'était la barre de deux, trois buts par match pour mettre la joie et la liesse et enflammer le stade. Des buts d'anthologie et historiques ont été inscrits par ses soins avec surtout des actions individuelles. Les équipes comme Zédoria, Hammam- Bou-Hadjar, Terga, Sidi- Ben- Adda Ben-Badis, Télagh, CRT et USMBA pour ne citer que celles-là en connaissent bien des choses. Il était redouté par tous malgré son jeune âge. Un don. Un don divin. Le dribble était une autre spécialité. Et une technique bien maîtrisée bien avant Méssi et Maradona, c'était lorsqu'il démarrait du rond central, balle au pied, et commence à effacer ses adversaires : Petits ponts, grands ponts, pinchettes, contre-pieds, lobes, roulettes, slalom, saut. Tout un arsenal technique qu'il maîtrisait à la perfection. Il avait cette facilité déconcertante à planter ses adversaires. Très souvent les gardiens de but et même l'arbitre s'il se trouvait là par hasard sur son passage. Il se permettait parfois de faire des petits ponts en aller et retour. Et ses gestes techniques pleins de beauté provoquaient la transe, le délire, l'euphorie dans le stade. Et quand on lui demandait : Comment fais-tu pour dribbler aussi facilement ? Il répondait très amicalement et avec un large sourire. Moi, je dribble en marchant le long de la rue d'Arzew à Oran où il y a toujours foule. Et la récompense ne s'est pas fait attendre. A dix sept ans il glana sa première distinction avec l'équipe scolaire du lycée d'Ain ?Témouchent remportant la coupe d'Algérie FASSU (fédération algérienne des sports scolaires et universitaires) avec les Bensaoula, Bouchikhi, Messaaoudi contre Saïda et cela, sous la houlette des professeurs d'éducation physique, Mahi Benaissa, Zegrar Djilali, et Sbaa. Puis ce fût une suite interminable de sélections de wilaya et régionales sous la supervision de Bensafi Lakhdar et Amara Saïd. Qui osait affronter les Sikki, Yahyaoui, Djems, Filali (ancien joueur du MCOUJDA) anciens de la glorieuse équipe du CRT ainsi que Salhi, Amar, Sennour, Abdi, et Fellah de la prestigieuse équipe de l'USMBA. Lui, il se permettait le luxe de les mariner à même le sol et devant leur fidèle public. Il ne le faisait pas pour haranguer les foules ou pour l'affront, mais pour la beauté du geste et du spectacle. Ce don et ce geste techniques et fins lui permettaient de tout faire avec un ballon. C'était un génie bien avant son époque. Ses mêmes équipes et au regard de ses différentes prestations ont vainement tenté de l'intégrer dans leurs rangs. C'était peine perdue. Sa fidélité et son attachement désintéressé et indéfectible à son petit club ont repoussé leurs espérances. A cette époque, les joueurs tous très mal payés ne leur arrivaient jamais à l'esprit de changer de club. On voyait mal Fréha par exemple aller au MCA, CRB, JSK ou l'Entente de Sétif. Il en était de même pour Lalmas, Kalem, Pons, Serridi, Zenir etc. L'amour du club, ses couleurs et le public auquel il s'identifie valent plus que l'aspect matériel. Et, c'est ainsi que le plus naturellement du monde que Hamé refusa catégoriquement toutes les offres qui lui ont été faites. A titre d'exemple, le Docteur Djamel Ould Abbés, président du grand CRT de l'époque et ex-secrétaire général du FLN avait pris attache avec son père pour le convaincre de l'enrôler dans son équipe fanion. Il lui avait même dit qu'il ferait de lui son propre fils et en même temps un joueur. De même, pour le Docteur Hassani, alors président de l'USMBA. Et tout cela sans aucune contrepartie de son club aux moyens très limités pour ne pas dire inexistants. Toutefois, l'ASMO qui a été toujours une grande équipe dans la formation de jeunes talents avait ses faveurs dans la possibilité d'un éventuel changement d'avis, après une prise de contact à Chabat par l'intermédiaire de l'ex-gardien de but Hamia accompagné des dirigeants de l'époque à leur tête le regretté Kaddour Bakhloufi. Entre-temps, le WA CHABAT avec son fils adulé, sous la commande de son entraîneur Benyettou Beknadil et ses joueurs tels que les Chorfi, Bouterfes, Ouis, Hadj-Ahmed, Sellaf, Benttaz, Bouchkara et Jean Pierre Toledo continuaient à écraser toute équipe qui se présentait à eux avec des scores très larges et une domination de la tête aux épaules et le génie qui brille de mille feux. Un astre qui brille. Une étoile qui monte et qui n'a jamais été sanctionné par les arbitres pour son caractère sportif et très fair-play. Pour lui qui tirait une philosophie profonde du sport, l'adversaire du jour n'était pas l'ennemi à abattre. Les témoins, très nombreux à ce jour, sont toujours de ce monde pour apporter leurs témoignages et conforter cette épopée. Son aura et sa notoriété vont en crescendo. En mille neuf cent soixante dix sept, année de la réforme sportive, alors que l'équipe évoluait en division d'honneur et occupait la première place loin devant Terga, le WAC affronta en Juin de la même année en match de barrage à Sidi-Bel-Abbés celle de Sidi Ben Adda pour l'accession en division régionale. La partie s'est terminée en l'absence du petit virtuose sur un score sans appel de quatre buts à zéro au détriment de cette dernière qui s'est même offert le luxe d'une mise au vert d'une semaine au complexe thermal de Hammam Bou Hadjar et un entraînement spécifique pour cette rencontre . Cette victoire a été un vibrant hommage pour leur idole Hamé décédé brutalement le 10 mars 1977 devant l'entrée principale de l'université d'Oran où il préparait une licence de sociologie. Mais, comment direz-vous, avec tout ce talent et ce génie, sa célébrité n'a pas été aussi importante ? Tout simplement à cause de sa mort soudaine en mille neuf cent soixante dix sept à un âge très jeune, la fleur de l'âge, soit une année avant la promulgation de la loi sur la réforme sportive publiée sur le journal officiel. Aussi, le nombre très réduit à cette période des médias, télévisions, radios, NTC de nos jours (facebook, twitteer, youtube, instagram) ? et, surtout le fait d'évoluer dans un petit club très pauvre dans un coin perdu de ce grand pays, c'est à dire globalement qu'il n'a jamais été médiatisé. Et, il faut ramener ses écrits dans leurs contextes naturels des années mille neuf cent soixante dix. Toutes ses raisons réunies font que sa réputation et sa notoriété ne dépassèrent guère les limites des espaces où il avait évolué, c'est-à-dire les wilayas d'Oran, Ain-Temouchent et Sidi-Bel-Abbès. A Cette époque, même l'équipe nationale était méconnue de scènes mondiale et africaine. L'EN était éliminée dès les premiers tours. L'avènement de la réforme sportive en mille neuf cent soixante a permis le décollage du sport en général et du football plus particulièrement. En effet, le huit Mars mille neuf cent soixante dix sept vers, les coups de dix huit heures, alors qu'était destiné à une carrière fulgurante, Dieu le grand à qui nous appartenons et à qui nous retournons, décida autrement. Ce jour funeste et inoubliable, il fut fauché accidentellement à l''entrée principale de l'université d'Oran où il poursuivait ses études supérieures en sociologie, par une voiture qui roulait à vive allure. Cette nouvelle, telle une traînée de poudre s'est vite répandue et a jeté l'émoi, la tristesse et même la mélancolie dans toute la population et les étudiants de l'université d'Oran. Après trois longs jours de coma profond, il rendit l'âme durant la nuit du jeudi au vendredi dix mars mille neuf cent soixante dix sept encore une fois à l'hôpital Baudens de Sidi El Houari. Les fans et les supporters qui t'ont aimé, acclamé, ovationné ne t'oublieront pas de sitôt. Ton village et une grande partie de l'Oranie se souviennent encore de toi et te considèrent comme une énorme perte pour notre cher pays, l'Algérie, qui eut la primauté d'avoir enfanté un génie du football pétri de finesse technicité et virtuosité dans la lignée des grands noms du ballon rond bien avant Méssi et Maradona. Des qualités humaines rares de nos jours comme la générosité, la bonté, la gentillesse, la justesse, l'honnêteté, ainsi que la sagesse qui te collaient à la peau en dehors des stades. Ne dit-on pas que les héros ne meurent jamais. Repose en paix l'artiste. |