|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
La période
étonnante que l'on vit depuis quelques jours m'a remise à l'écrit que j'avais
abandonné, par dépit, par fatigue, par on ne sait quelle « langueur monotone »
qui rend les jours semblables et la joie indistincte.
Je vis ces jours curieusement, ni bien, ni mal, ni stressée, ni tranquille, dans un entre-deux flottant et indécis. Je me sens sur une autre planète, même si les objets familiers qui m'entourent me disent le contraire. Je me sens comme dans un de ces films américains de science-fiction, tellement étalés sur nos écrans qu'ils nous semblaient tout à fait plausibles. On y est. Je me dis que tout ça n'est encore qu'une décision de gens tellement haut placés qu'ils font ce que bon leur semble, dont on n'aura les tenants et aboutissants que dans quelques années. Je pense à ces firmes multinationales pharmaceutiques et à ces banques qui boursicotent à tout va et appellent à l'aide l'argent public lorsque tout va mal et que plusieurs milliards de bouts de papier sont partis en fumée. Dans ces cas-là, les pays sont toujours en « crise » : on licencie, on emprunte, et les gens ne comprennent pas pourquoi les banques baissent leurs taux directeurs. Je pense à l'émission radiophonique d'Orson Welles qui avait fait croire à l'arrivée des Martiens. Notre Martien s'appelle coronavirus et il est invisible. Alors on doute de son existence mais l'Etat est un Léviathan, on l'avait déjà dit et écrit. Une seule personne a décidé de confiner 65 millions de personnes en France. Il en est de même ailleurs de par le monde. Je pense à ces familles qui cohabitent à plusieurs dans de petits appartements, je pense aux réfugiés qui n'ont pas où aller et s'entassent dans des camps. Je pense à Gaza, prison à ciel ouvert où les chômeurs se retrouvent à présent, autant sinon moins nombreux que dans les pays développés. Même George Orwel n'avait pas prévu ça. Des journalistes ont critiqué les «mesures autoritaires» des pouvoirs publics chinois pour obliger au confinement. Les mesures françaises ne sont-elles pas autoritaires ? Les Chinois ont-ils des amendes en cas d'infraction ? Assurément, le président Macron se souviendra longtemps de son mandat qui restera dans les annales. Peut-être, en étant raisonnable, refusera-t-il un second mandat, peut-être sera-t-il obligé d'utiliser l'article 16 de la Constitution qui lui donne tout pouvoir, peut-être sera-t-il encensé en cas de victoire contre la maladie. Victoire qu'on ne pourra pas mesurer, nous pauvres habitants, à peine citoyens, parce que, entretemps, le chômage aura augmenté, les salaires auront baissé et l'inflation sera, elle, bien visible. On savait que la mondialisation était néfaste à tant polluer, à tant déverser sur la terre nos déchets et nos poubelles. On savait que l'ère anthropocène n'a laissé aucune chance aux animaux qui n'ont plus d'habitat à force de déforestation et s'avancent vers les villes pour trouver de quoi se nourrir. Je me dis que la nature se venge et ce n'est que justice car on avait oublié que la Terre est vivante et qu'il faut se méfier de la colère de ceux que les hommes humilient. Alors je me dis que je suis en retraite spirituelle, c'est facile. Je prie parce que j'ai besoin de ces moments de silence, je lis, je joue aux échecs contre l'ordinateur, je tente de joindre mes élèves par internet... La journée passe vite. Et je converse avec Dieu : comme je le sens proche de moi, je ne pense aucunement à une sanction divine. Dieu ne sanctionne pas, il ne dira pas «tuez-les tous, je reconnaîtrais les miens». Il laisse tout le vivant agir à sa place. Peut-être nous laisse-t-il seulement penser que si l'on ne modifie pas nos modes de vie et si l'on n'arrête pas nos injustices, il dressera contre nous un ennemi invisible pour nous terrasser. Est-ce cela l'apocalypse et la fin des temps ? Pour l'instant, on n'a encore rien inventé, sauf de chanter aux balcons et d'applaudir le personnel hospitalier, comme en Italie et en Espagne. Et c'est fabuleux. L'humain est fait de telle sorte qu'il a besoin de communiquer avec ses semblables et de les sentir proches. On ne peut se départir de l'idée que cette période étonnante laisse penser qu'avec un ennemi invisible, les hommes oublient peut-être leurs ennemis visibles, même si les Etats-Unis continuent de vitupérer contre les Russes et les Chinois. Peut-être que cette période obligera les militaires non pas à aller bombarder en Syrie, au Yémen, au Sahel et en Palestine, mais à ouvrir des hôpitaux et des restaurants de campagne pour aider les plus démunis. Peut-être que les partis d'extrême droite vont réfléchir à modifier leurs stratégies et ne plus cibler les êtres humains les plus fragiles. Ce n'est pas la fin des temps, mais celle d'un temps, celui du néo-libéralisme à outrance. Mais pour l'instant, la fermeture des frontières ne va pas dans ce sens. L'histoire nous enseigne que l'humain n'apprend rien du passé et ne tire aucune leçon des expériences passées. On se prend pourtant à rêver à un autre mode de vie, une autre mondialisation, à de vraies relations humaines. *Enseignante - Paris |