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Suite et fin
1953: Ben Boulaid et Ben Mehidi rencontrent Berrehayel à Biskra et l'informent que les 21 chefs de la révolution désirent le rencontrer. Il leur fait part de l'impatience de ses hommes et de leur irritation face aux tergiversations politiques. Les militaires étant ce qu'ils sont, les réunions cruciales suivantes ont lieu chez les rebelles [7]. Mai 1954 : A travers un émissaire, Berrehayel propose un plan d'action aux chefs politiques et accorde un délai de réflexion de trois jours. Peine perdue. Les rebelles devront patienter encore. Juin 1954 : Réunion à Chenaoura (fief des Berrehayel) avec Ben Boulaid, Si Haouès, Halimi, Bitat, Boumaâza, Ben Mehidi, Ben Tobbal et Ben Aouda. Agacé par ces réunions infructueuses, Berrehayel menace d'arrêter les contacts. «Quand vous aurez pris la décision de passer à l'action, faites-moi signe». Août 1954 : Une réunion élargie ultime regroupant les 21 chefs historiques (Boudiaf, Ben Mehidi, Krim, et tous les autres), se tient à Inoughissen, autre fief des rebelles, en présence de Moussaoui, représentant local des Oulémas, et l'imam Derradji, originaire de Barika. Ce dernier prononce une fetwa consacrant l'action armée comme du Jihad et la Zakat au profit de la révolution. Les autres chefs exigent de Ben Boulaid que les Aurès résistent au moins six mois afin de permettre aux autres régions de se préparer. Berrehayel répond : «Nous tiendrons huit mois». 4 Octobre 1954 : Ben Boulaid informe Berrehayel, Laghrour et Gadda de la date du 1er Novembre, en les faisant jurer sur le Coran de ne divulguer le secret à personne. Il ne fait aucun doute que la pression exercée par ces premiers militaires a eu une influence considérable sur les évènements, notamment le déclenchement de la lutte armée, même si l'histoire officielle fait l'impasse sur cette honorable page. C'est un grotesque non-sens de croire que ces décisions militaires importantes ont été prises par les seuls politiciens issus de différentes factions qui, à la veille de Novembre, restaient encore divisées, et dont beaucoup de cadres sortiront du pays pour ne revenir victorieux qu'après l'indépendance. PREMIER NOVEMBRE A ÂAKRICHE La veille du jour J, Ben Boulaid supervise lui-même la distribution des armes aux militants non déjà armés, et chacun des chefs se dirige avec ses hommes vers sa zone : Batna (Grine), Khenchela (Laghrour), Arris (Nouaoura), Ain Laksar (Nouichi). Berrehayel prend la direction de Biskra avec ses 42 hommes répartis en 5 groupes. C'est sans surprise que les représailles immédiates des forces coloniales se concentrèrent sur les fiefs et villages des rebelles à Chenaoura et Âakriche [11-14]. Ces pionniers ne seront jamais acculés à la défensive. Ils tomberont, tous au champ d'honneur, dès le début, dans des batailles qu'ils choisiront eux-mêmes. Le 29 novembre 1954 près d'Arris, lors d'un accrochage avec les paras du colonel Ducournau, Grine et une vingtaine d'autres héros tombent au champ d'honneur [10]. Les paras se souviennent particulièrement des youyous retentissants quand ils ont essayé de défiler avec le corps de Grine. Ce dernier est officiellement considéré comme le premier chahid officier ALN. Berrehayel suit le 27 juillet 1955 dans la «bataille du chien» près de Chechar, et le chef des chefs Ben Boulaid part grossir les nouveaux rangs le 22 mars 1956. CONGRES DE LA SOUMMAM, LA DISCORDE Peut-on imaginer qu'un congrès de la révolution puisse se tenir en absence des Aurès et de ses baroudeurs de la première heure ? Il fut minutieusement planifié et organisé par des compétences avérées. «Ils nous ont poignardés derrière le dos dans ce congrès des «soumoum» (poisons)» [1,2]. La présence de Ben Mehidi ne pouvait pas atténuer la déception et les vaines tentatives de rachat et ces histoires contradictoires de convocations non parvenues, impliquant des personnalités de second rang, n'ont fait qu'intensifier l'amertume. Ben Boulaid n'était plus là mais ses compagnons ont bien compris les desseins. On voulait certes structurer la révolution mais surtout changer sa direction et son âme. Exit toute référence à l'Islam et cela exige corollairement la marginalisation des principaux chefs des Aurès. L'effet démoralisant et démobilisant de ce congrès a cassé net l'élan sincère de beaucoup de moudjahidine, et a changé à jamais le cours de la révolution et ses fruits. N'était-elle pas efficace l'organisation bâtie par Ben Boulaid et ses fidèles ? L'argent de ce dernier ne se limitait pas à l'armement. Chaque homme recevait une copie du Coran. Les mots de passe secrets échangés étaient «Khaled» et «Okba». Est-il dangereux de mener la politique ainsi ? N'a-t-elle pas forgé des héros ? La politique des calculs et ambitions peut faire grimper les échelons mais pollue les esprits et déforme les hommes. Un musulman qui affronte un puissant ennemi en prenant des distances avec sa religion, se projette probablement plus sur les fruits et honneurs de la révolution que sur ses sacrifices. Ce n'est pas de la trahison. Ce sont de mauvais actes issus d'intentions pas mauvaises, mais pas saines non plus, entrainant des conséquences que certains considèrent désastreuses. LA REVOLUTION NON RELAYEE Le dilemme affligeant des révolutions c'est qu'elles doivent se succéder et se relayer indéfiniment, car sitôt que l'une se termine il faut immédiatement après déclencher la suivante, contre les enrôlés et retournés de la dernière heure ainsi que les planqués et stratèges du retranchement dans une longue embuscade loin du champ de bataille, exploitant lâchement les sacrifices des braves pour s'emparer du pouvoir. Ainsi, la révolution est permanente, ou n'est pas du tout ! Pour un peuple musulman, se soulever contre une puissance coloniale surarmée, ne peut se faire authentiquement qu'au nom du Jihad avec à la clé une récompense garantie, la victoire ou la chahada. En terre d'Islam, une révolution est du Jihad, ou n'est pas du tout ! Et ce Jihad est lui aussi permanent ou bien n'est pas du tout. Car après l'indépendance les épreuves de l'examen paraissent confortables mais sont en fait plus difficiles. C'est le Jihad El-akbar. Les jeunes martyrs ont tout appris sur la force et faiblesse des hommes, et sur le maquis. Ils ont surtout appris à emprunter les chemins et raccourcis sûrs, dont notamment celui menant à la chahada authentique. Ces braves ont émis le vœu d'être épargnés de l'examen postindépendance, et leur vœu a été exaucé. Mais en fait, en dehors de quelques situations d'exception, n'était-il pas plutôt facile de voir ce vœu exaucé pour ceux qui le formulaient en toute sincérité ? * Professeur, King Saud University Références : [1] www.echoroukonline.com/ara/articles/223707.html [2] www.elwatan.com/hebdo/histoire/ahmed-gadda-ou-la-memoire-des-aures-14-01-2015-284886_161.php [3] www.youtube.com/watch?v=jV-0k6AwU00 [4] Philippe Thiriez, «En flânant dans les Aurès», Editions Numidia-1986 [5] www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1978_num_26_1_1823 [6] www.echoroukonline.com/ara/articles/224772.html [7] www.elkhabar.com/ar/autres/ziyara/401844.html [8] www.echoroukonline.com/ara/articles/225075.html [9] www.echoroukonline.com/ara/articles/225282.html [10] www.histoire-en-questions.fr/guerre%20algerie/terreur-ratissages-grine.html [11] http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu00039/operations-militaires-de-l-aures-en-novembre-1954.html [12] http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu00037/les-operations-militaires-dans-les-aures-en-novembre-1954.html [13] www.youtube.com/watch?v=SGYs38UuoCQ [14] Djamel Alilat, «Les Aurès de la première balle», El-Watan du 01-11-2014 |