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Le 27 novembre 2008, paraissait, dans un entrefilet noyé au milieu des annonces publicitaires, un message de condoléances. Il disait : «Les amis et camarades d'Oran, très attristés par le décès de Bouazza Abdelkader, survenu à Alger le 20.11.2008, présentent à sa famille leurs sincères condoléances. Ils ont évoqué sa mémoire et son itinéraire militant, sa générosité, ses qualités humaines et intellectuelles, son humilité et son engagement. Bouazza, dit Kada, alias Si Mourad, ancien du MALG, du PCA et d'Ettahadi, fut un défenseur de la cause nationale, du progrès et de la justice sociale. Pour ceux qui l'ont connu, et pour l'Algérie, sa perte constitue une perte immense.» Alors, pourquoi évoquer de nouveau la vie de Bouazza, aujourd'hui, précisément ? Pour 2 raisons au moins. La première, c'est que ce message laconique, rédigé dans la précipitation, faisait des affirmations, mais ne disait pas grand-chose de notre camarade. La seconde, c'est que le 16 mars, c'est son jour d'anniversaire. Nous nous rattrapons donc pour lui rendre un hommage mérité qu'on n'a pas su lui dédier, le jour de son enterrement à Garidi I, ou dans les jours qui ont suivi. J'ai connu Bouazza lors de la rentrée scolaire en octobre 1958, au Lycée Azza, ex-Laperrine, de Sidi Bel-Abbès. Il était issu d'une famille aisée et respectée de Hassasna, dans la région de Saïda. Elèves de seconde, nous étions internes et partagions avec les autres Algériens, lors de discussions enflammées, notre foi en cette Algérie indépendante qui se profilait malgré les déclarations redondantes de l'occupant sur le dernier quart d'heure de la rébellion. Etant le plus jeune lycéen de notre génération, Bouazza ne manquait jamais de faire connaître son point de vue et souvent, sa différence sur les certitudes que nous énoncions. Trop bien guindé, pour nous autres qui étions issus de familles pauvres, Bouazza avait par ailleurs des qualités sportives qui nous semblaient insolites, venant d'un Algérien ; à titre d'exemple, pour les épreuves sportives du bac, il sera examiné, à sa demande, sur la gymnastique au sol et le plongeon, deux exercices où il excellait. Son cousin, Miloud, nous signale également qu'il aimait monter les chevaux, et notamment les plus coriaces d'entre eux, un peu comme pour défier ses amis cavaliers. C'est dire que Bouazza avait un caractère de battant qui ne se suffisait pas des seconds rôles, dès son plus jeune âge. C'était vrai pour les questions d'ordre politique, mais aussi pour la résolution des problèmes de mathématiques, cette matière noble où nous nous efforcions à prouver notre suprématie sur nos condisciples européens. L'internat et les heures d'études, après les cours de classe, nous servaient de champ de compétition, et chacun d'entre nous tenait à montrer ses capacités. C'était une manière pour nous de damer le pion à l'administration coloniale, de contester le régime injuste qui était fait aux Algériens, de faire valoir nos droits au respect de notre dignité, de marquer notre différence et notre attachement à nos valeurs nationales. Par les mathématiques en attendant de le faire autrement, et pour cela, chacun tenait à porter haut le flambeau du savoir scientifique. Mais également en littérature et dans les autres matières où certains d'entre nous recevaient mandat, en quelque sorte, pour briller plus fort que les Européens. Son domaine de prédilection était les mathématiques ; trop sûr de lui, il avait une attitude parfois inconvenante-jugée comme telle parce que venant de plus jeune - pour dire que l'on faisait fausse route dans la démonstration. Il riait des lacunes des uns et des faux raisonnements des autres, de manière ostensible mais sans méchanceté, avec un tic qui lui était propre et qui le rendait sympathique. C'est tout naturellement qu'il décroche facilement la 1ère partie du bac en juin 1960, et le bac Math Elem en juin 1961. Son adolescence a été marquée par le martyre subie par sa famille, dont le sacrifice pour la Révolution est immense ; pas moins de trois oncles paternels et de quatre cousins germains y laisseront leurs vies entre 1957 et 1959. Fortement lié à son cousin Belkacem, son ainé de 4 ans et moudjahid tombé au champ d'honneur en 1959, entre Tlemcen et Bel-Abbès, il prendra certainement, dès cette année, la résolution de le remplacer un jour sur le terrain du combat anticolonialiste. Une fois son diplôme en poche, il met son projet à exécution : rejoindre les combattants par n'importe quel moyen alors que l'intérêt de la Révolution était dans la formation des élites de demain. Il s'inscrit à la Fac de sciences d'Aix en Provence pour la préparation d'une licence de mathématiques et s'y rend en octobre 1961 ; les formalités d'inscription réglées, il entreprend de nouer contact avec le réseau clandestin du FLN en France, et un mois plus tard, il est à Tunis, puis à Tripoli. Ce que ses amis savent, c'est que Bouazza sera affecté au MALG, le Ministère de l'Armement et des Liaisons Générales que dirigeait Boussouf. Très discret sur ses activités, il ne dira jamais rien, durant les années qui suivirent, sur cette aventure qui l'éloigne pour un temps des études de mathématiques. Bouazza est en treillis lorsque je le retrouve en novembre 1962 sur les bans de l'amphi de mathématiques ; officiellement, il est encore officier de l'ALN et attend d'être démobilisé pour reprendre sa liberté d'action. Sa démobilisation surviendra à la fin de l'année 62. Le bouillonnement politique que connait Alger à cette époque est indescriptible ; il est porteur d'espoir mais également semé d'inquiétudes lorsque Benbella décide de brider la démocratie et d'opter pour le système de parti unique. Il annonce la couleur en interdisant le Parti Communiste Algérien (PCA) en octobre ou novembre 1962, tout en autorisant la parution d'Alger Républicain dont l'audience est grandissante. Boudiaf, quant à lui, refuse de se plier au dictat du nouveau Pouvoir qui se met en place et crée le Parti de la Révolution Socialiste (PRS). Bouazza est attentif à ces événements, et alors que nous étions plus soucieux de la qualité de nos études, lui était préoccupé par les choix que le Pays devait faire. Il en disait l'urgence et voulait entrainer ses anciens amis de lycée dans ces luttes dont il sentait l'importance. Il n'a pas encore 20 ans, et les projets de reconstruction nationale formulés par le PCA et le PRS le font hésiter quant au choix de parti qu'il devait prendre. Il diffuse, pour un temps, les tracts du PRS dans le milieu étudiant, mais devient rapidement un élément actif du PCA, lequel se trouve dans une position de semi-clandestinité. Etudiant à plein temps à partir de janvier 1963, il est au service de l'intérêt collectif et se donne sans compter dans le volontariat et l'activité syndicale. Il s'implique dans la frappe et le tirage des polycops de mathématiques dont il est la cheville ouvrière avec Saadi. Il est notre délégué d'amphi et joue un rôle actif lors de la Conférence nationale de l'UGEMA qui se tient en avril 1963. Celle-ci adopte les nouveaux statuts de l'UNEA et élit, pour une période de 6 mois, Mékidèche [lui aussi étudiant de MGP] à la tête de l'organisation estudiantine. La tenue du 5° congrès, en août 1963, confirmera les nouvelles orientations de l'UNEA, avec, à la présidence, Moufok Houari, et ce, malgré l'avis réservé exprimé par Benbella. C'est que la position dominante qu'occupent les communistes dans la direction de l'UNEA dérange grandement. Durant cette période, Bouazza essaie de concilier entre sa passion pour les mathématiques et sa propension à s'impliquer dans les luttes politiques. Son engagement au sein du PCA se confirme de plus en plus, et bien qu'il réussisse à décrocher le certificat de MGP en juin 1963, il va devoir sacrifier ses études de licence en mathématiques, au profit de la préoccupation essentielle qui lui tient à cœur : le devenir de l'Algérie et le choix de développement à suivre. Il se plonge dans les écrits de Marx et de Lénine pour y trouver une réponse, et lorsque la Charte d'Alger en avril 1964 confirme l'option du système à parti unique, Bouazza va s'avérer un ferme opposant de la solution prônée par le FLN. Membre du comité directeur de l'UNEA, il s'attachera, avec d'autres, à protéger l'autonomie organique de l'organisation estudiantine et à plaider pour le maintien d'une structure de coordination du PCA. Les événements qui suivront le coup de force du 19 juin 1965 lui donneront raison : les premières attaques sont orientées vers le Comité Exécutif [CE] de l'UNEA, la direction du PCA, les éléments progressistes du FLN. Ensemble, ces forces que le Pouvoir veut bâillonner se rejoignent en juillet 1965 dans l'ORP [Organisation de Résistance Populaire] pour dénoncer la nature antidémocratique, antipopulaire et anticonstitutionnelle du nouveau régime. Mais la direction de l'ORP est rapidement décapitée, et Bouazza, comme tant d'autres, est astreint à la clandestinité pour échapper à l'arrestation. L'appartement que nous occupions est mis sous scellés et un avis de recherche est lancé à son encontre. Il restera en clando de septembre 1965 à avril 1967, coordonnant les activités de l'ORP puis du PAGS, dans la région de l'Ouest du pays. Arrêté, il subira les pires tortures dans les locaux de la police avant d'être incarcéré avec une vingtaine d'autres camarades dans la prison de Mascara, jusqu'en août 1967. Après sa libération, il fait valoir son niveau universitaire de juin 1965 [MGP plus 2 certificats en Mathématiques 1 et Mécanique générale] et se fait recruter à Sonelgaz - Oran comme ingénieur dispatcher pendant 9 mois. Mais Bouazza n'est pas homme à vivre dans ses pantoufles ; il est appelé à reprendre du service, après cette période de mise à l'ombre, et rejoint, en octobre 1968, Alger, où il va suivre plus particulièrement le secteur étudiant pour le compte de la Direction du PAGS. A cette époque, l'UNEA est une organisation syndicale légale dont une partie du Comité Exécutif [CE] est en tôle et l'autre en clandestinité. Bouazza qui a bénéficié d'une main levée, après son emprisonnement à Mascara, est tout désigné pour en assurer la continuité, disons, dans une semi-légalité. Après la mutation de Zenine, affecté à des tâches de parti, c'est lui qui va animer le CE/UNEA reconstitué avec les nouveaux responsables des sections d'Alger, d'Oran et de Constantine principalement. Ces informations méritent confirmation, et d'autres amis et camarades, qui ont vécu de plus près l'agitation qui a secoué l'Université en ces années 1968 - 1971, peuvent en parler plus valablement. Leur contribution pourra éclairer le rôle que Bouazza y occupa. L'existence d'une organisation estudiantine contestataire était en soi assez paradoxale, dans un contexte politique où des organisations de masse, autrement plus puissantes du point de vue du nombre de leurs adhérents, étaient muettes et absentes du terrain des luttes sociales. Ne pouvant mater l'UNEA, ni la soumettre à sa vision des choses, le Pouvoir décide de la dissoudre le 15 janvier 1971 et d'arrêter certains de ses dirigeants. Malgré cette mesure de restriction, l'UNEA saura s'adapter et trouver de nouvelles formes d'organisation et de représentation des étudiants. Par ailleurs, des changements importants sont perceptibles dans les politiques économiques et sociales prônées par Boumédiene à partir de 1971. Ils constituent la base objective d'une ouverture vers les forces de progrès et d'un assouplissement des mesures de surveillance et d'exclusion qui frappaient les militants du PAGS. Bouazza revient alors à la vie active, après huit années de vie agitée. Vers 1973/74, il est recruté au ministère du Travail que dirige Mazouzi, sans poste bien défini ; une sorte d'éminence grise. Y exercent dans ce ministère, qualifié de «rouge», de nombreux progressistes qui avaient connu les geôles durant la période de répression. Ils seront évacués progressivement suivant l'humeur du rapport de forces, pour ne pas dire des nouveaux locataires. Je ne saurai dire la date à laquelle il est muté à la Caisse Nationale de Retraite [CNR], peut-être vers 1990. Il y restera quelques années et terminera sa carrière professionnelle comme cadre aux oeuvres sociales de Naftal, afin de pouvoir prétendre à une pension de retraite décente. Sans le besoin de faire valoir les droits que lui octroie sa qualité de Moudjahid ! Mais ces années d'activité professionnelle ne l'ont pas éloigné de la vie politique nationale. Quelle fonction exacte a-t-il pu occuper dans les rouages du PAGS clandestin ? Le fait reconnu est qu'il était doué d'une perspicacité et une capacité d'analyse qui étaient appréciées de ses camarades. Il n'est nullement étonnant de le retrouver comme membre du Bureau Politique du PAGS, à l'issue de son congrès en décembre 1990, et comme membre de la Direction d'ETTAHADI, en janvier 1993. D'autres, mieux placés que moi, sauront témoigner plus justement de ces années difficiles et meurtrières pour l'Algérie, et de l'apport de Bouazza au combat de survie qu'il a fallu mener contre la déferlante terroriste. Voilà ce que j'avais à dire sur Kada, cet ami d'une gentillesse exemplaire et d'une générosité sans borne. Il était ce camarade discret dont les convictions de jeunesse sont restées toujours vivaces. Il était, jusqu'à la fin de sa vie, proche des travailleurs, attentif à leurs luttes, et solidaire avec toutes les causes justes dans le monde. Que sa famille d'Alger et de Saïda puisse accueillir cet humble témoignage, comme une marque de sympathie et d'admiration, de la part de ses amis d'Oran, à l'égard d'un homme qui restera pour toujours un modèle d'engagement et de fermeté politique. |