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Il est là, à la réception
de l'Hôtel Liberté d'Oran, bien avant le rendez-vous d'entretien. Hyperactif,
il bouge beaucoup, parle, s'agite, consulte l'actu, répond aux messageries,
s'assoit puis se lève, marche à grands pas puis s'arrête? Insaisissable. Ou
presque. Si c'était un enfant, on aurait diagnostiqué chez lui une pathologie
d'hyperactivité. Mais voilà, Amine Benyamina n'est
plus un enfant aujourd'hui.
Il a 57 ans, et on ne compte plus ses fonctions : psychiatre addictologue, chef de service hospitalier, prof universitaire, président de plusieurs fondations, fondateur d'un congrès international, rédacteur en chef d'une revue? Bref, de quoi remplir une demi-page de journal. «Pardon, maintenant je suis à vous. A votre aise, comme vous voudrez. Prenez votre temps, le programme de la formation ne commencera pas de sitôt», nous dit-il courtoisement. Après l'envoi d'un e-mail «urgent» et la consultation d'un message de France 2, le docteur se dit donc prêt pour l'interview. «Sans être indiscret, le message de France 2 a-t-il un rapport avec votre passage hier soir sur cette chaîne ?», demandons-nous au professeur. «Tout à fait. C'est un message de remerciement en quelque sorte», répond-il l'air ravi. Tout en le remerciant pour sa «précieuse collaboration à cette émission de service public», France 2 fait savoir au psychiatre qu'elle était leader des antennes dans la soirée du mercredi 26 avril, avec la diffusion du téléfilm «Maman ne me laisse pas m'endormir», qui raconte la descente aux enfers d'un ado accro aux drogues, et le débat qui s'en est suivi sur l'addiction aux médicaments. Le film, s'est réjoui la chaîne, a rassemblé 3,6 millions de téléspectateurs et le débat, auquel a participé le Pr Benyamina, un peu plus de 2 millions. «Les retours tant de la chaîne que des téléspectateurs sont au-delà de l'éloge sur la parole que vous portez, et nous sommes très fiers d'y avoir contribué», écrit encore France 2 au docteur Amine Benyamina, un incontournable de la scène médiatique, politique et médicale en France. Malgré un calendrier des plus surchargés, il n'a pas hésité à sacrifier quelques rendez-vous en France et ailleurs pour se libérer pour sa mission d'Oran : une session de formation nationale sur des thèmes pointus en relation avec les addictions à animer au profit de plusieurs psychiatres addictologues algériens, organisée par la boite spécialisée dans la formation médicale et l'évènementiel médical, Djazair Health. Mais il semble que ce n'est pas l'unique mobile, le manque -au sens addictologique- de la ville natale y est pour quelque chose dans le choix de notre célébrissime psychiatre. Evidemment, pour le patron de l'Hôtel Liberté, la présence du Pr Benyamina à Oran, pendant cinq jours et chez lui en plus, cela ne pouvait lui passer sous le nez. Quels qu'en soient la passion ou le métier : le sport ou la culture, l'art ou la littérature, le chant ou la dance, le théâtre ou le cinéma, la mode ou la couture, la politique ou l'économie, le droit ou la technologie, la science ou la poésie, la biologie ou la robotique, «tout Algérien qui représente un modèle de réussite en son domaine mérite, au moins, qu'on lui exprime notre fierté et notre reconnaissance morale en tant qu'Algériens», souligne en passant M. Afane. Le professeur psychiatre apprécie. Ce dernier, sur la même longueur d'onde, souhaite de tout cœur pouvoir faire profiter son pays, l'Algérie, de son expérience dans le domaine qui est le sien, la psychiatrie-addictologie. «Mais sans un cadre institutionnel y afférent entre l'Algérie et la France, la collaboration (bilatérale) est un vain mot». Pour cela, «je ferai tout ce qui est en mon possible pour intervenir aussi bien auprès des académiques qu'auprès des politiques ». C'est un gars qui pèse ses mots, il faut bien lui faire confiance. Son entregent, sa volonté évidente de plaire, son côté tactile, Benyamina les cultive auprès des politiques. « J'ai compris qu'ici, il fallait être dans les réseaux », admet-il. Dès son arrivée en France, il s'encarte au PS, tendance Fabius et accède à des responsabilités locales. Puis il jette la rose et se place dans le sillon d'un certain? Emmanuel Macron. Il fait partie des fidèles de la première heure, ceux du meeting de la Mutualité. Tous les mois, il se rend à une réunion d'un petit groupe de conseillers santé de la République en marche. «Il a un côté carriériste», souffle un politique. Certes, mais cela ne l'empêche pas de taper du poing sur la table et de prendre à témoin l'opinion publique. «Je suis macron-compatible, mais pas macron-fanatique», lance-t-il Amine Benyamina en quelques lignes Né en 1966 à Oran, il est spécialiste en addictologie et chef de service de psychiatrie et d'addictologie de l'Hôpial Paul-Brousse de l'AP-HP (Assistance publique des Hôpitaux de Paris). Il est également Professeur de la Faculté de médecine de Paris XI. Amine Benyamina est par ailleurs président de la Fédération française d'addictologie (FFA), président du Fonds actions addictions (FAA) et président du Collège national universitaire (CNU) d'addictologie et la Collégiale d'addictologie de l'AP-HP. Rédacteur en chef de la revue Alcoologie et Addictologie et administrateur de la Société française de psychiatrie biologique et neuro-psychopharmacologie (AFPBN), A. Benyamina est l'auteur de plus de 100 articles scientifiques référencés traitant des questions de thérapeutique, de bio-marqueurs et de comorbidités psychiatriques et addictives. Il a également écrit plusieurs ouvrages à vocation académique et pédagogique et coordonné plusieurs ouvrages collectifs. Il est enfin l'auteur d'ouvrages à destination du grand public traitant des questions d'addiction, notamment le cannabis et l'alcool. Il a publié entre autres ouvrages : «Promis, demain j'arrête», «Addiction au cannabis», «Le verre de trop», «Alcool et troubles mentaux», «Addictions et comorbidités» et «Comment l'alcool détruit la jeuneuse». Il est d'autre part le fondateur du Congrès international d'Albatros d'addictologie qui se tient à Paris tous les ans. Le Quotidien d'Oran : D'ordinaire, en France, les médecins à diplôme étranger se perdent dans des hôpitaux de seconde zone. Comment Amine Benyamina, jeune médecin débarquant d'Algérie au milieu des années 90, a-t-il pu faire l'exception en s'installant assez rapidement sur la plus haute marche de la médecine française et en intégrant un cercle très restreint de conseillers en Santé auprès des plus hautes instances de la République française ? Pr Amine Benyamina : Ça ne s'est pas fait en une seule fois. J'ai mis des années à accéder à cette place enviée et importante. Mais ce n'était pas au départ mon ambition. Encore moins mon obsession. C'est en fait le résultat d'un processus. J'ai commencé comme tous les médecins diplômés à l'étranger, notamment les Algériens qui constituent le plus grand contingent. C'est-à-dire au bas de l'échelle, en travaillant comme tous. La seule différence peut-être, c'est le fait que j'étais vite militant pour la cause. Je me suis battu avec d'autres médecins pour faire reconnaître notre qualité et pour aussi, et cela je l'ai toujours dit, ne pas piétiner le diplôme que nous avons eu en Algérie et, par là même, montrer la valeur de l'enseignement que nous avons reçu dans notre pays d'origine et la qualité de formation qui était la nôtre. Cela était pour moi un fil rouge que je n'ai jamais lâché. Ce travail acharné a fini par payer et, de fil en aiguille, j'ai activé et milité, y compris dans le syndicalisme, pour faire entendre notre voie et faire reconnaitre notre importance dans ce système. Au fil du temps, je me suis construis une visibilité dans la discipline qui a attiré l'attention des politiques pour leur politique à eux. Le Q.O. : Il fallait donc se battre avec bravoure contre la discrimination, quitte à s'enchaîner aux grilles de l'Ordre des médecins. Pr Amine Benyamina : Oui je l'ai fait. Mais ce n'est pas le seul fait. L'histoire, c'est qu'entre 1996 et 1999, nous étions dans une impasse pour la plupart d'entre nous parce qu'il n'y avait aucun texte législatif permettant à un médecin non diplômé de France d'exercer et d'être reconnu. Nous étions sur un statut très précaire de faisant fonction d'interne (FFI), c'est-à-dire même pas interne, avec en plus la nécessité de courir après les stages d'hôpital en hôpital tous les six mois. Avec pour conséquences, une instabilité personnelle et familiale et une précarité matérielle en raison des salaires bas du régime FFI. Nous étions donc dans une triple instabilité : sur les papiers, sur le salaire et sur le travail. Nous étions dans ce schéma : face à nous, un ministère de Santé qui commençait à tendre l'oreille mais face à celui-ci une alliance de médecins français défavorable à notre intégration et un Ordre de médecins qui ne nous voyait pas d'un bon œil. Ceci alors que les praticiens et les chefs de services dans les hôpitaux, eux, avaient besoin de nous parce qu'ils vivaient dans un désert en matière de démographie médicale. Autrement dit, nous avions, contre nous, une instance institutionnelle qui était conservatrice et elle le demeure et, avec nous, une corporation professionnelle de médecins praticiens, mais qui n'était pas puissante. Dès lors, pour nous, la seule solution à cette équation consistait à démonter aux Français que pour pouvoir se soigner il fallait nous aider à convaincre l'Ordre des médecins de nous reconnaître et de nous incorporer. Et la meilleure façon pour mettre en œuvre ce plan, c'était des coups d'éclat parmi lesquels il y avait celui-là (l'action d'enchainement aux grilles de l'Ordre des médecins) que l'histoire a retenu. Q.O. : Cela est un résumé très résumé de votre parcours de militant en France. Mais avant que vous ne débarquiez à Paris, diplôme de médecin-psychiatre en main, quels ont été les points marquants de votre biographie ? Pr Amine Benyamina : J'ai eu mon diplôme de médecin à la Faculté d'Oran en mai 1996. Je ne voulais pas trop attendre pour faire une formation par la suite, un peu comme tous ceux qui veulent apprendre des choses qu'on n'apprend pas chez soi. Je suis parti ainsi en France en juillet 1996. Q.O. : Mais avant, vous étiez déjà en France avec votre famille, n'est-ce pas ? Pr Amine Benyamina : Tout à fait, entre 11 et 17 ans. J'ai fait mon collège/lycée et je suis rentré ensuite au bled, où j'ai passé mon Bac puis j'ai eu mon diplôme de psychiatrie à la Faculté de médecine d'Oran. Je me suis marié et j'ai eu un enfant en 1995. Près d'un an plus tard, j'ai décidé d'aller en France pour faire une sous-spécialité de psychiatrie. Arrivé à Paris en été 1996, j'étais hébergée par ma sœur. Vite, je me suis rendu compte que je n'avais aucune possibilité de travailler ni de vivre de mon métier. J'ai tapé à toutes les portes, en vain. C'est à ce moment-là que ma fibre militante s'est exercée et s'est affinée en quelque sorte. J'ai rencontré des gens formidables en France, il faut le reconnaître. Des gens de la Ligue des droits de l'Homme, des associations humanitaires? Il y avait des collectifs qui étaient sur place. Evidemment, je n'étais pas seul mais il y avait tout un groupe de copains plus ou moins dans la même situation que moi. On a organisé les choses et, peu à peu, on est sorti de l'ombre. Trois ans de militantisme. 1999, le ministre de la Santé de l'époque, Bernard Kouchner, a fait sortir un texte permettant de nous régulariser. Nous avons été régularisés donc et chacun de nous a commencé à travailler. Moi, j'ai eu mon premier poste d'assistant à l'hôpital psychiatrique. Ensuite, j'ai passé mon concours de praticien hospitalier, mais je me suis tourné vers un service universitaire. C'est là où ma carrière a basculé, le déclic. J'ai ainsi quitté les Hôpitaux psychiatriques pour aller à l'Assistance publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP), un prestigieux centre hospitalier universitaire pour Paris et l'Ile-de-France regroupant plus d'une trentaine d'hôpitaux, où j'ai fait toute ma carrière. J'y suis entré par la petite porte, j'étais faisant de fonction interne (FFI) dans mon hôpital (Hôpital Paul-Brousse), dans mon service (psychiatrie addictologie)? que je dirige maintenant. Je me souviens, quand je me suis inscrit comme FFI, le patron de la psychiatrie Paris-Saclay ma dit : «Monsieur Benyamina, vous pouvez évidemment faire de la psychiatrie, mais n'espérez jamais une carrière à l'Assistance publique. Je vous conseille d'aller trouver un poste à 50 kilomètres de Paris dans les Hôpitaux psychiatriques». L'ironie du sort veut que la place qu'il avait à l'époque, c'est moi qui l'occupe aujourd'hui. Et même beaucoup plus. Q.O. : Cette phrase à la limite du dédain qui de plus est venant d'un éminent psychiatre, qu'on imagine bien qu'elle vous aurait blessé dans votre amour-propre, a-t-elle suscité dans le for intérieur du jeune «faisant de fonction interne» un sentiment de défi ? Une pulsion de l'inconscient ? Pr Amine Benyamina : Peut-être que oui. Probablement. Inconsciemment j'avais besoin de prouver des choses aux autres, à moi-même surtout. Mais une chose est sûre, j'avais l'envie et la rage. Et donc là, j'ai passé le PH (praticien hospitalier) et j'ai commencé à travailler. J'ai débuté avec un chef de service, décédé il n'y a pas si longtemps, qui m'a fait confiance. Le grand professeur Julien Daniel Guelfi (éminent professeur français de psychiatrie à l'Université de Paris-Descartes, praticien attaché à la clinique des maladies mentales et de l'encéphale à l'Hôpital Sainte-Anne). Il m'a demandé de faire équipe avec lui. Il m'a dit : «Puisqu'il n'y a pas de poste pour toi, je te propose les patients qui ont des problèmes d'addiction et d'alcool et d'aller les voir au centre hépatobiliaire». Et c'est comme ça que j'ai commencé à m'intéresser à l'alcool. Le Pr Guelfi a quitté ensuite l'Hôpital Paul-Brousse en 2000 pour aller à l'Hôpital psychiatrique de Sainte-Anne. Puis un autre professeur est arrivé, le Pr Michel Reynand (psychiatre et addictolgue français, professeur des universités et praticien hospitalier qui a travaillé à structurer l'addictologie comme discipline en France, puis en créant le Fonds Actions Addictions). C'est lui qui m'a le plus fait confiance et m'a chargé d'organiser un grand service d'addictologie universitaire en France. Ce à quoi je me suis déployé depuis lors. Q.O. : C'était donc le point de départ de votre carrière d'addictologue. Faisant un saut dans le temps jusqu'à fin 2017 pour retrouver cette lettre que avez adressée au Président Emmanuel Macron, lui demandant de décréter les addictions «Grande cause nationale». Espérez-vous toujours obtenir gain de cause ? Pr Amine Benyamina : Oui, je l'espère toujours. En tout cas, je ne désespère pas, d'autant que Macron a été réélu Président dans l'intervalle. Ce n'est pas un secret de Polichinelle : depuis cette époque-là, j'ai une proximité de fait soit avec le chef d'Etat lui-même, soit avec ses équipes et j'ai travaillé avec tous les ministres qui se sont relayés sur le département de la Santé. Il y a cinq jours d'ailleurs j'étais avec le ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun, et il m'a chargé d'une mission sur les racines des addictions. Je dois lui remettre un rapport là-dessus, qui permettrait d'avancer sur la question. Q.O. : Et quel était l'argumentaire sur lequel vous vous appuyez pour demander au Président Macron de décréter les addictions «Grande cause nationale» ? Pr Amine Benyamina : Mon argumentaire est d'ordre épidémiologique. Les addictions concernent tout le monde. Elles sont à la fois liées à des produits illicites, des drogues prohibées, et à des drogues licites, tels que l'alcool, le tabac, le poppers et les médicaments. On sait d'autre part que les drogues touchent de plus les jeunes qui sont l'avenir de l'humanité. Et en France, on a aujourd'hui un grand débat sur le tabac, l'alcool, le cannabis, etc. Le raisonnement est le même en Algérie, toutes proportions gardées. En Algérie, je sais, l'un des plus grands sujets d'actualité dans ce domaine est celui lié au phénomène des médicaments détournés? Tout cela constitue, pour nous les psychiatres addictologues, la matière pour organiser un débat national et pour mobiliser la société civile pour cette cause. Voilà en substance la toile de fond de ma demande au président de la République de décréter les addictions «Grande cause nationale» et je pense que le gain de cause viendra un jour. En tout cas, j'ai l'intention et je suis décidé même de questionner à nouveau le Président Macron sur ce sujet dès que j'en aurai l'occasion et je lui présenterai de nouveaux éléments par rapport à 2017. Q.O. : Janvier 2023, le professeur Amine Benyamina a été à la tête d'un groupe de médecins de son service ayant reçu la Légion d'honneur. Pouvez-vous nous en parler un peu plus ? Pr Amine Benyamina : Ecoutez, j'étais le premier surpris. J'étais à l'époque, entre décembre 2022 et janvier 2023, en vacances avec ma famille dans la montagne, quand j'ai reçu vers minuit des messages de félicitations envoyés par des copains. «C'est quoi le truc ?». Ils m'ont dit que mon nom figurait sur la liste de la Légion d'honneur proposée par Macron. J'en étais fière. Ça ne se demande pas, ça ne se porte pas mais ça ne se refuse pas. J'ai été décorée par le Pr Didier Samuel, en sa qualité de P-DG de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Je suis fière pour moi, pour ma famille et pour l'Algérie, mon pays. Cette haute distinction est un honneur pour un enfant de l'Algérie, qui est né en Algérie, élevé, instruit et formé en Algérie. Encore une fois, je ne suis pas de ceux qui piétinent leur diplôme d'Algérie une fois ailleurs. Et j'estime que c'est l'Algérie qui est honorée à travers moi. Q.O. : Au fait, Professeur, question qui effleure l'esprit de votre présent interlocuteur en voyant, là maintenant, presque tout le monde scotché à l'écran d'un PC portable, un mobile, un smartphone? y compris vous-même entre deux questions/réponses : La cyberdépendance est-elle une pathologie ? Pr Amine Benyamina : C'est une pathologie qu'on traite mais elle n'est pas inscrite en tant que telle. Disons que ça fait débat. Moi, selon mon expérience, j'en ai discuté avec des confrères et nous tous d'accord sur le fait qu'actuellement la seule affection comportementale qui a été reconnue et répertoriée, c'est le jeu pathologique dit aussi jeu compulsif, qui est défini comme «une pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu, causant une détresse cliniquement significative chez le sujet qui la présente». Et notamment le jeu d'argent ou le pari. Mais pour l'instant, tout ce qui est écran, vidéo et tout ça, n'est pas considéré comme un comportement pathologique. Je pense que les lobbys de Net y sont pour quelque chose, au moins. Mais moi personnellement quand je vois les jeunes et comment ça fonctionne les écrans, les tablettes, les machines?je pense qu'on doit faire tout un travail de psychologie. Et puis, ça suit la définition de l'addiction, c'est-à-dire : une atteinte de la vie quotidienne, manque en cas d'absence du produit, altération fonctionnelle, une fréquence excessive, croissante et non contrôlée au détriment d'autres activités, poursuite du comportement malgré les conséquences dommageables, entre autres. Q.O. : Justement en parlant des critères principaux pour la définition de l'addiction comportementale selon les classifications diagnostiques DSM 5, même la prière «excessive» risquerait d'être classée en tant que telle. Mais ce raisonnement, tant est qu'il en soit un au sens logique et scientifique, n'est-t-il pas finalement juste l'effet déformateur de la vulgarisation scientifique ? Pr Amine Benyamina : Disons que c'est une définition très généralisée. Et donc très imprécise. Ce qu'on ne dit pas parce qu'il y a une vraie évolution là-dessus, c'est qu'on a un substratum neurobiologique qu'on trouve dans le comportement lié à l'addiction. Puis il y a une subtilité entre addiction et obsession. Pour pouvoir être dans une démarche addictive, il faut qu'il y ait la notion de tolérance, c'est-à-dire un même comportement ne produit pas le même plaisir à la même dose. Dans l'addiction, il faut augmenter la dose pour retrouver les mêmes sensations. Par exemple les sucres, on s'est posé la question et là on a vraiment des sujets très «addict» de plus en plus parce qu'ils viennent stimuler le cerveau, ce qu'on appelle le système de récompense. Ce n'est pas le cas de tous les produits. C'est comme le sport, pour prendre un autre exemple. La majorité des sportifs sont heureux et vont bien. Mais vous avez un petit noyau qui fait du surentrainement, ce qu'on appelle la bigorexie, c'est-à-dire l'addiction à l'activité physique ou à l'effort. Ils font du sport quel que soit l'état de leurs corps car s'ils ne stimulent pas leur circuit de récompense ils seront mal à l'aise ou bien pire encore. Q.O. : En Algérie, il existe un déficit, tant en effectifs médicaux qu'en structures hospitalières, en matière d'offre de soins de psychiatrie, et ce de l'aveu même du ministère de la Santé qui s'y attèle notamment à travers le «Plan national de promotion de la santé mentale». Ce déficit se révèle d'ailleurs au travers de deux chiffres-clés : 1.000 psychiatres et 24 établissements hospitaliers psychiatriques pour une population de 45 millions d'habitants. A titre comparatif, en France, où vous travaillez, il existe 15.500 psychiatres et 617 structures hospitalières psychiatriques pour une population de 68 millions de personnes. Qu'en dites-vous ? Pr Amine Benyamina : Il est vrai qu'en Algérie la psychiatrie est la discipline qui a été la plus désertée par ses praticiens, notamment les médecins psychologues. Et là, il faut que je corrige ce qui me semble être une idée reçue. En fait, tout le monde ne part pas pour quitter l'Algérie, pour s'installer ailleurs. Chez beaucoup d'entre eux, il y a surtout un besoin de formation qui motive ce départ. La psychiatrie est une discipline généraliste et ce qui est important maintenant c'est de développer les sous-spécialités, telles que la psychothérapie, les thérapies comportementales, l'addictologie, la pédopsychiatrie, la neuro-psychopharmacologie, la psychiatrie interventionnelle, etc. C'est ce large éventail de sous-spécialités qu'il faut développer, surtout dans les grands centres hospitalo-universitaires et en outre faciliter les collaborations avec l'étranger. Moi je suis prof de psychiatrie, j'étais élevé ici en Algérie, formé ici en Algérie, j'ai eu mon diplôme de psychiatrie ici en Algérie, alors je déplore que je n'aie suffisamment pas de possibilité pour venir aider ici en Algérie. Moi je veux bien aider mais il faut que les conditions administratives nous facilitent la collaboration? Q.O. : Il n'y a pas de cadre administratif qui permet ce genre de collaboration en psychiatrie, d'une manière générale, entre l'Algérie et la France ? Même pas des jumelages inter-hôpitaux psychiatriques ? Pr Amine Benyamina : Pas du tout. Absolument pas. Je le dit haut et fort. Et j'appelle de tous mes vœux les responsables pour qu'il y ait un cadre législatif pour pouvoir faciliter les collaborations entre les deux pays en ce domaine. Et ce d'autant que le contexte politique s'y prête avec ce processus de rapprochement entre les deux pays qui est en train de se dérouler. La mise en place d'un tel cadre nous permettra à coup sûr de collaborer avec nos confrères algériens dans tous les segments pratiques académiques scientifiques liés à la psychiatrie. Il y a beaucoup d'excellents psychiatres en Algérie, dont certains que je connais personnellement comme par exemple la Professeur Aïcha Dahdouh au niveau de l'Hôpital psychiatrique d'Oran et aussi maître conférencière à la Faculté de médecine d'Oran, qui est vraiment une excellente addictologue. Pareil à Alger, à Constantine, à Annaba et un peu partout en Algérie, où nous avons de remarquables psychologues. On ne demande qu'à être encadrés et structurés dans un cadre interprofessionnel officiel pour pouvoir collaborer les uns avec les autres. Quant à moi, je ferai tout ce qui est en mon possible en intervenant aussi bien auprès des académiques qu'auprès des politiques pour donner corps à cette idée. L'Algérie et la France sont en train de lancer de grands projets dans d'autres domaines, on ne peut que s'en réjouir, des deux côtés. Mais il n'y a pas que l'industrie, le commerce et les hydrocarbures. Il y a d'autres domaines, qui sont tout aussi sinon plus importants, à mon sens, dont le domaine médical. Là au moins on est dans le consensuel, assurément. Q.O. : Un dernier mot peut-être ? Pr Amine Benyamina : Je veux donner à mon pays l'Algérie sans rien attendre en retour, car elle m'a déjà tant donné. |