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La prévention de la fraude en entreprise

par Saheb Bachagha*

«Le terme fraude désigne un acte intentionnel commis par un ou plusieurs dirigeants, personnes constituant le gouvernement d'entreprise, employés ou tiers, impliquant des manœuvres dolosives dans l'objectif d'obtenir un avantage indu ou illégal ».

Comment prévenir les fraudes

Aucun système ne peut être totalement hermétique et pré¬venir toutes les fraudes, cela dit, quelques axes d'action peuvent limiter les dégâts.

Instaurer une culture d'intégrité

Ce premier axe implique que l'activité de l'entreprise respecte les lois et règlements en vigueur : dans le cas contraire, les employés, constatant qu'ils travaillent au sein d'une entreprise peu scrupuleuse, ne sont pas incités à se conduire honnête¬ment. Ensuite, il doit exister des procé¬dures permettant de faire part de toute fraude découverte. Enfin, il est nécessaire que toute fraude connue des dirigeants ne soit pas aussitôt cachée mais que, bien au contraire, elle donne publiquement lieu à des poursuites.

Identifier les zones à risque

Chaque entreprise et chaque secteur d'activité a ses points faibles susceptibles de faciliter l'apparition de fraudes. L'entreprise doit les identifier et mettre en place des procédures plus particulière¬ment contraignantes.

Mettre en place un bon contrôle interne

Une petite entreprise n'a pas besoin de mettre en place un système de contrôle interne sophistiqué copié sur celui d'une très grande entreprise. Des règles simples, mais fondamentales, sont le plus souvent suffisantes :

? respecter la séparation des tâches ; bien qu'il soit fréquent, dans la petite entrepri¬se, que la même personne cumule plu¬sieurs tâches, il est ici une fois de plus rap¬pelé que la séparation des tâches est une règle essentielle ;

? mettre en place une procédure d'ap¬probation des dépenses (de bon à payer) : toute dépense importante ou récurrente (paie, TVA...) doit faire l'objet d'une auto¬risation de paiement donnée par le diri¬geant ou le cas échéant par une personne à laquelle il a délégué cette tâche ;

? vérifier que le système mis en place, aussi simple soit-il, est respecté en perma¬nence : il faut en particulier vérifier, au moins par sondages, que les dépenses qui doivent être autorisées l'ont réellement été.

Favoriser la révélation des fraudes (whistle blowing)

Dans de nombreux cas, les fraudes sont détectées par des collègues du fraudeur. Il est par conséquent fondamental qu'il doit exister une procédure pour encourager et faciliter les révélations, et qui assure l'immunité à ceux qui révèlent.

Indices de fraudes

Une liste d'indices susceptibles d'être des indices de fraudes. Cette dernière n'a rien d'origi¬nal mais il n'est jamais inutile de rappeler quelques indices récurrents de fraude : transactions non autorisées, documents manquants, originaux modifiés, photoco¬pies en place d'originaux alors que les ori¬ginaux devraient exister, rapprochements bancaires non justifiés, changements de méthodes comptables, modifications des méthodes d'estimation, nombreux ajuste¬ments dans les comptes clients, absence d'inventaire physique, immobilisations corporelles introuvables, réponses obte¬nues aux demandes de confirmation qui ne correspondent pas aux comptes de l'entité auditée, interdiction faite à l'audi¬teur de rencontrer telle personne ou d'ac¬céder aux détails de tel compte, tenta¬tives d'intimidation des plus jeunes membres de l'équipe d'audit, délais trop importants pour donner des informa¬tions, réticences pour autoriser l'auditeur à accéder à certains circuits informa¬tiques, réticences pour compléter ou cla¬rifier des informations, utilisation de normes comptables inhabituelles dans le secteur d'activité, ou encore variations importantes de certains comptes.

Propositions

Ne doit pas être sous-estimée l'arme de dissuasion qu'est la crainte du contrôle. Comment le contrôle peut-il prévenir la fraude dans les entreprises ? Quels outils mettre en place pour prévenir le risque de fraude sachant que les mesures de préven¬tion les plus courantes sont : l'audit interne et l'audit externe.

Programme antifraude

Un outil de contrôle en trois phases, formation préventive - détection de la fraude - traitement rapide du litige, constitue la fondation solide d'un programme antifraude.

Eduquer les employés et les former en matière d'éthique est la clef de voûte du programme.

L'ensemble du personnel doit jouer un rôle dans la mise en place de règles professionnelles conformes à la déontologie et convenir ensemble de normes à respecter. L'introduction d'un code de bonne conduite en affaires et d'un guide de prévention de la fraude enverrait un signal fort de la direction vers le personnel en matière de culture d'entreprise. La création d'un comité éthique garant d'une culture conforme à l'éthique et à l'honnêteté favoriserait un cli¬mat hostile aux fraudes.

La prévention passe par l'analyse complète des risques encourus par l'entre¬prise et le repérage des domaines où elle est le plus sensible aux fraudes (achats, stocks, ventes, fichiers clients, finance, compta¬bilité, personnel, paye, R&D...). L'évaluation des domaines « risquogènes », comme les faiblesses dans les traitements des opé¬rations, les déficiences dans les contrats, les lacunes dans les vérifications, les manques de bordereaux d'entrée ou de

sortie de produits, l'absence de réconciliation des stocks, les insuffi¬sances de sécurité informatique, les imperfections dans les inventaires d'actifs, doit être mise à jour et corrigée.

Il convient aussi d'améliorer les méthodes de détection de la fraude par la mise en place d'un système de mesure adapté. La vérification doit porter sur les recoupements de données, les diagnostics et les recherches de liens de causalité. Ne pas attendre de découvrir une fraude par hasard ou par accident.

Mettre en place des signaux d'alerte paraît être l'outil de base indispensable : remises ou rabais excessifs toujours aux mêmes clients, contrôle de l'émission de tous les chèques, complexité des rapports fournis, perte de documents, transactions inhabi¬tuelles, paiements anormalement élevés de commissions, gains ou pertes non prévus, erreur dans la réconciliation des stocks magasin, peu d'informations sur un client ou un fournisseur, permanence des mêmes fournisseurs, employé dont le niveau de vie n'est pas en relation avec ses revenus, traitements admi¬nistratifs lourds... La contribution des systèmes de gestion informatisés des risques semble des plus efficaces dans ce domaine.

Concernant la fraude externe en provenance de clients «dou¬teux», l'entreprise peut établir un score en fonction des infor¬mations dont elle dispose : adresse postale, adresse email, numéros de téléphones fixes, impayés antérieurs, quantités anormales de produits commandés, fréquence élevée des com¬mandes... Si ceux-ci sont énigmatiques, l'entreprise augmente le score et bloque la commande.

Le traitement du litige est la phase finale du programme mais pas la moindre. La mise en place d'une procédure de résolution du litige et la sortie de crise doivent être préalablement inscrites dans le guide de prévention ou dans le code de conduite des affaires, afin que le personnel sache à quoi il s'expose en cas de fraude. Les aspects légaux de la répression de la fraude en entre¬prise peuvent se traduire par deux options : le règlement « amiable » en interne ou le dépôt de plainte, soit au commissariat de police, soit au procureur de la République selon la gravité des faits.

L'entreprise peut déclencher une enquête interne, une médiation avec le fraudeur, envisager une sanction disciplinaire adaptée allant du blâme au licenciement, communiquer sur la performance du système de détection et effectuer un contrôle de conformité pour corriger la cause de la fraude. La prudence doit être de mise quant à une publicité extérieure ; la solution interne semble être la plus sage quant à la protection de l'ima¬ge de la société.

Conclusion

Tous les chefs d'entreprises sont conscients des risques de frau¬de et de la nécessité de mettre en place des outils adaptés pour la contrecarrer, mais ceci reste un vœu pieux dans la plupart des cas. L'approche de ce problème est stratégique et l'impulsion doit venir de la direction générale ou du conseil d'administration. La prévention des risques de fraude doit être un processus continu dans l'entreprise et non ponctuel, d'où les rôles actifs du contrô¬le de gestion et du contrôle interne dans ce domaine.

La méconnaissance du risque de fraude peut avoir des consé¬quences gravissimes pour une société. Les conséquences finan¬cières sont lourdes, l'image de marque de la société s'en trouve altérée. S'ensuivent alors une détérioration des relations com¬merciales et une baisse de motivation du personnel.

La mise en place d'un programme antifraude efficace apparaît comme le meilleur plan de gestion pour maîtriser les risques de fraude. Une approche d'anticipation et de formation du per¬sonnel demeure la solution optimale.

*Expert-comptable et Commissaire aux Comptes Membre de l'Académie des sciences et techniques financières et comptables Paris.