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Pierre
Audin, fils du chahid
Maurice Audin, mort pour l'indépendance de l'Algérie,
vient d'obtenir, ce 14 avril, son passeport algérien après plus de 55 ans
d'attente, lui qui est Algérien de fait depuis 1963. Il répond, dans cet
entretien, à quelques-unes de nos questions autour de cet acte puissant à forte
teneur symbolique.
Le Quotidien d'Oran : M. Pierre Audin, vous venez d'obtenir très récemment un passeport algérien et donc officiellement la nationalité algérienne. On devine la motivation très profonde qui vous a poussé à accomplir une telle démarche à très forte portée symbolique, un tel acte quasi fondateur. Pouvez-vous nous en parler davantage SVP, nous confier le cheminement intellectuel, émotionnel et aussi administratif qui vous a conduit à faire ce choix ? Pierre Audin : En réalité, comme me l'ont expliqué des amis algériens, j'avais la nationalité algérienne sans le savoir depuis que ma mère l'avait obtenue, par décret du 4 juillet 1963. Selon la loi algérienne, je suis Algérien. En novembre 2018, j'ai donc commencé des démarches auprès de l'ambassade d'Algérie en France. En août 2020, le président a confirmé ma nationalité algérienne, et en avril 2022 le consul général m'a donné mon passeport vert. C'est la première fois que j'ai des papiers algériens, alors que je suis Algérien depuis presque 59 ans ! J'en suis fier et ému. Maintenant, si je veux m'adresser au président algérien, ce sera à mon président que je m'adresserai. Le Quotidien d'Oran : Ma seconde question va vous paraître assez difficile : pensez-vous que l'Algérie a fait son devoir pour honorer la dette qu'elle a contractée vis-à-vis des Européens (tel votre regretté père) qui se sont battus à ses côtés durant la guerre d'Indépendance ? Pierre Audin : Josette et Maurice Audin se considéraient comme Algériens. Ils ne se sont pas battus à côté des Algériens mais parmi eux, pour l'Algérie, leur pays. Ils sont entrés au PCA (Parti communiste algérien) pour mener la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. Le 1er novembre 1954, il y avait déjà longtemps que le PCA revendiquait l'indépendance. Dans le PCA, il y avait environ 40% d'Européens, qui luttaient pour l'indépendance de leur pays, l'Algérie. Lorsqu'on se bat pour un idéal, on n'attend rien en retour. Ce n'est pas un marché. Le seul devoir qu'on a vis-à-vis de ceux qui sont morts pour cet idéal, c'est un devoir de vérité historique. Le Quotidien d'Oran : Vous avez fait votre vie en France mais l'Algérie n'a jamais quitté votre cœur, l'Algérie avec laquelle vous avez toujours essayé de garder un lien, de construire des passerelles, notamment au niveau universitaire... Pierre Audin : Oui. Suite au coup d'État de 1965, ma mère a décidé d'émigrer et en 1966, nous nous sommes donc installés en France. Ma mère était enseignante en mathématiques et m'a transmis sa passion des maths. J'ai d'abord été prof de maths, comme elle, puis j'ai travaillé au Palais de la découverte, à Paris, dans le département de mathématiques, en tant que médiateur scientifique. En 2010, à l'invitation de la DG-RSDT, la direction générale de la recherche, je suis venu à Alger pour la remise du prix de mathématiques Maurice Audin. C'est ainsi que j'ai commencé à travailler avec la DG-RSDT sur des projets de vulgarisation des maths et de la science en général. Développer la culture pour le peuple et en particulier la culture scientifique est une condition indispensable à l'épanouissement d'un pays et à son rayonnement national et international. Il faudrait créer des lieux un peu partout sur le territoire national pour faire vivre cette culture scientifique et la mettre à la portée de tous, et surtout à la portée des jeunes. Le Quotidien d'Oran : En tant que fils du martyr Maurice Audin qui a donné sa vie pour l'indépendance de l'Algérie, quel message souhaitez-vous adresser au peuple algérien (et en particulier aux jeunes) à la veille de la célébration du 60e anniversaire de celle-ci ? Pierre Audin : Je suis un Algérien comme un autre, et je ne sais pas faire parler mon père ou les morts en général. Je pense que c'est aux Algériens de décider comment ils veulent célébrer cet anniversaire, comment ils veulent poursuivre l'action des moudjahidine et des chouada. En 2019, le Hirak a montré que le peuple algérien a des aspirations et des ambitions pour l'Algérie. L'économie de l'Algérie reste à construire. Les ressources sont là certes, mais les hydrocarbures sont une ressource limitée, alors que les jeunes, eux, sont une ressource inépuisable. J'ai eu l'occasion de travailler avec des étudiants et des étudiantes algérien-ne-s : ils ont des idées, des envies, des compétences, des exigences, ils et elles ont tout ce qu'il faut pour construire l'Algérie de demain, une Algérie moderne, multiculturelle, au service du peuple. |