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Le
président de l'Union nationale des opérateurs de la pharmacie (UNOP), Abdelouahab Kerrar, souligne dans
cette interview que le Covid-19 a affecté la chaîne pharmaceutique en amont,
estimant que les consultations médicales ont connu une baisse de près de 60% et
donc un impact important sur le corps médical et les pharmacies d'officine. Il
évoque la vulnérabilité de l'industrie pharmaceutique algérienne face à la
fluctuation des prix des composants pharmaceutiques, vu sa dépendance massive
aux importations de la matière première de l'étranger.
Le Quotidien d'Oran : Est-ce que le Covid-19 a affecté la capacité de production du secteur pharmaceutique et à quel pourcentage ? Abdelouahab Kerrar : Certes, le secteur pharmaceutique fait partie des secteurs considérés comme essentiels et qui ont été autorisés à continuer à fonctionner en dépit de la crise sanitaire. Néanmoins, nous sommes nous-mêmes tenus de protéger nos propres personnels en observant les mesures requises en termes de distanciation sociale. Ainsi, de nombreuses entreprises pharmaceutiques ont dû se résoudre à mettre en arrêt de travail une partie importante, quelquefois plus de la moitié de ces personnels, tout en assurant en règle générale, le versement de leurs salaires. Nous avons dû diminuer le flux du personnel de production et de contrôle qualité en réduisant les équipes. Une telle situation ne manque pas d'affecter négativement notre capacité de production même si, à ce stade et sachant que la crise est toujours là, on ne peut pas en évaluer l'impact de manière précise. Il faut également souligner que le Covid-19 a affecté également la chaîne en amont puisque nous estimons une baisse de consultations médicales de près de 60% et donc un impact important sur le corps médical et les pharmacies d'officine. Il faut dire que ce sont tous les acteurs de la chaîne pharmaceutique qui sont affectés économiquement par cette crise du Covid-19. Q.O. : Est-ce que les groupes pharmaceutiques sont confrontés aujourd'hui à une instabilité en matière d'approvisionnement ? Autrement dit, est-ce qu'il y a eu rupture d'approvisionnement en matières premières ? A.K.: La crise sanitaire actuelle touche la quasi-totalité des pays du monde. Certains de ces pays n'ont pas hésité à aller jusqu'à suspendre temporairement toute exportation de certains médicaments ou de principes actifs. De nombreux autres, sans aller jusqu'à cette extrémité, ont pris des mesures conservatoires et ont restreint l'exportation de produits sensibles parmi lesquels les produits pharmaceutiques. Face à cet état de fait, ce qu'il faut souligner de prime abord, c'est qu'au niveau de nos entreprises, nous avons immédiatement pris la mesure du problème posé en coordination avec les autorités sanitaires pour nous assurer de la bonne exécution des programmes d'importation et de la disponibilité de stocks de produits finis et de matières premières pour les produits fabriqués localement. Si cette crise venait à se prolonger, et que les transports maritimes et aériens restent perturbés, l'Algérie comme le reste des autres pays pourrait connaître des perturbations dans la disponibilité de certains produits pharmaceutiques. Q. O. : Est-ce que les prix de certaines matières premières ont connu des fluctuations en cette période de crise sanitaire ? A. K.: Bien entendu, la crise sanitaire a fortement affecté les circuits d'approvisionnement d'une multitude de produits et parmi eux les matières premières indispensables pour notre production. Les préoccupations strictement sanitaires, auxquelles s'ajoutent les contraintes des transports internationaux ont créé un effet d'aubaine qui a entraîné dans la pratique une surenchère sur les prix de certaines matières premières. A titre d'exemple, l'hydoxychloroquine dont le prix était à 180 $/kg avant la crise du Covid-19 se négocie aujourd'hui à 1.600 $/kg. Face à cette situation, nous avons formulé deux types de demandes : La première est celle qui consiste à autoriser les entreprises concernées à choisir des sources d'approvisionnement de matières premières alternatives, pour autant qu'elles satisfassent aux exigences de qualité requises. D'ordinaire, ce type de décision prend beaucoup de temps, c'est pourquoi nous avons sollicité l'administration compétente afin qu'elle allège momentanément la procédure. Notre seconde demande est liée aux prix de nos produits qui, comme chacun le sait, sont fixés par l'autorité administrative et figés sur au moins cinq années. Quand on constate que certaines matières premières ont enregistré des hausses de prix qui avoisinent jusqu'à 40 ou 50%, c'est l'équilibre financier du producteur qui est menacé. Nous avons bon espoir que ces demandes soient rapidement satisfaites. Q.O.: Comment évaluez-vous le marché des médicaments durant cette crise ? Prévoyez-vous une multiplication de pénurie de médicaments dans les mois à venir ? A. K.: A ce jour, le marché, malgré certaines ruptures récurrentes qui ne datent pas d'aujourd'hui, reste approvisionné de manière régulière. Pour les mois à venir, la disponibilité en Algérie comme dans la majorité des pays du monde dépendra de l'évolution de cette crise. La problématique de la pénurie est complexe. Les nouvelles autorités en ont fait un volet important de leur programme de travail, avant que la crise sanitaire ne survienne et qu'elle n'impose ses propres urgences. Il ne faudra sans doute pas attendre que cette phase du Covid-19 soit dépassée pour qu'on remette sur la table les perspectives de développement rapides de notre industrie pharmaceutique. Q.O. : Quelles sont les principales préoccupations des opérateurs du secteur pharmaceutique en cette période ? A.K.: Pour l'immédiat, nos préoccupations en tant qu'entreprises pharmaceutiques comme pour tous les acteurs de la santé publique de notre pays, c'est la lutte contre les effets de la pandémie. Pour l'après-Covid-19, nous savons d'ores et déjà que notre pays doit affronter une situation économique difficile et qu'il aura à cœur de relancer le développement de tous les secteurs productifs, une préoccupation que nous partageons et pour laquelle nous n'avons eu de cesse de faire des propositions écrites depuis plus de cinq années maintenant. Nos propositions sont détaillées dans un document intitulé «contrat de développement» dont chacun peut consulter le contenu sur le site-web de notre association, l'UNOP. Globalement, ce qui fait défaut, c'est la définition d'une véritable feuille de route qui oriente le développement de notre filière au cours des prochaines années, elle-même adossée à une mise à niveau de notre cadre réglementaire. Pour résumer, nous avons besoin en tant que producteurs d'une administration qui fasse preuve d'une meilleure réactivité dans le traitement de tous ces problèmes bureaucratiques qui gangrènent le fonctionnement au quotidien de notre filière. Il n'est pas normal qu'une agence nationale de produits pharmaceutiques créée en 2008, installée en 2016, ne soit toujours pas pleinement opérationnelle en 2020. Il n'est pas normal que plus de 300 produits nouveaux fabriqués localement restent en souffrance à l'enregistrement, alors qu'ils représentent l'équivalent de 500 millions de $US de chiffre d'affaires à la production. Il n'est pas normal que les investisseurs ou les exportateurs doivent faire face à d'énormes contraintes bureaucratiques, alors qu'ils devraient au contraire être soutenus et encouragés. Si nous voulons sortir par le haut de la crise économique qui pointe à l'horizon, c'est ce climat délétère qui doit changer dans les plus brefs délais. Q.O.: Le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, a donné des instructions aux membres de son gouvernement pour faire des recommandations tout en prenant attache avec les acteurs de leurs secteurs. Quelles sont vos propositions, plutôt celles de l'UNOP, pour la sauvegarde des emplois et des entreprises ? A. K.: En tant qu'association de producteurs, nous avons effectivement été consultés à ce sujet et nous avons bien sûr préparé et soumis aux autorités un document d'analyse et de propositions, de nature à préserver l'emploi et l'activité de nos entreprises face aux conséquences néfastes de la pandémie. Nous avons surtout insisté sur la nécessité d'amortir le choc de la pandémie sur nos entreprises et sur leur environnement économique. Nos entreprises ayant ainsi pris sur elles d'assurer le maintien intégral des salaires de leurs employés, nous avons demandé à être exonérés des charges salariales et fiscales qui y sont liées. De même, nous avons constaté que les pharmacies d'officine ne recevaient pas à temps le règlement par les caisses de sécurité sociale des médicaments remboursables qu'elles délivraient à leur clientèle assurée, ce qui est de nature à les mettre en péril et perturber le fonctionnement de l'ensemble de notre marché. A côté de cette forme de dérèglement qu'il y a lieu de corriger, nous avons demandé à ce que les mesures appropriées soient prises rapidement afin de pallier tout un ensemble de contraintes bureaucratiques anciennes mais que l'obligation de confinement a renforcé. Cela concerne les procédures d'enregistrement, l'arrêt d'octroi des avantages par l'ANDI, le traitement de variations des dossiers de nos produits, les adaptations du régime des prix, le traitement des blocages imposés aux investissements, l'assouplissement de cette interdiction intempestive à l'exportation du médicament, etc. Aux yeux de l'UNOP, toutes ces contraintes sont autant de surcoûts qui sont imposés à nos entreprises et auxquelles il convient de mettre fin, a fortiori dans le contexte d'une économie en crise et en manque de ressources. |