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1re partie
Au lendemain de la définition par le gouvernement d'Edgar Faure, en septembre 1955, de la politique d'intégration, 61 élus algériens - dix des quinze députés à l'Assemblée nationale, cinq des sept sénateurs, la majorité des soixante élus du deuxième collège de l'Assemblée algérienne - déclarent dans une motion : «L'immense majorité des populations est présentement acquise à l'idée nationale algérienne... les élus soussignés croient de leur devoir d'orienter leur action vers le réalisation de cette aspiration.» (El Moudjahid n°31 du 14 janvier 1958). Quelques mois plus tard, ce sont les 130 élus de l'UDMA dans les instances politiques et administratives, qui démissionnent collectivement. Le 7 janvier 1956, c'est un manifeste de l'Association des oulémas ; association fondée par Cheikh Ben Badis, en 1931, pour revendiquer l'autonomie religieuse et culturelle, qui affirme : «Il ne peut y avoir de terme à l'état de guerre actuel, ni d'édification d'un ordre libre nouveau, sans l'entreprise de négociations franches et loyales avec les représentants authentiques du peuple algérien légitimement investis dans l'effort de la lutte.» Au début de janvier, le gouvernement français avait dû renoncer à faire voter en Algérie pour les élections législatives. Le mandat des anciens députés n'étant pas prorogé, l'Algérie n'était plus représentée à l'Assemblée nationale française. C'était le début de l'effondrement de la fiction «L'Algérie c'est la France». Les pleins pouvoirs, votés au gouvernement Guy Mollet, le 16 mars, vont permettre à Robert Lacoste de pallier la volonté de non-coopération exprimée par les élus algériens. L'Assemblée algérienne n'est plus en état de fonctionner, tellement l'écart est grand - sur le plan des idées et des sentiments - entre le 1er Collège (les Européens) et le 2e Collège, les indigènes où les «61» sont majoritaires. Elle est dissoute le 12 avril 1956 ; le ministre résidant exerce ses attributions. Les conseillers généraux et les conseillers municipaux, d'où les Algériens en majorité se sont exclus volontairement, seront à leur tour supprimés en décembre 1956 et remplacés par des délégations spéciales dont les membres sont nommés par l'autorité administrative et peuvent, en cas de nécessité, s'il n'y a pas assez de volontaires, être des officiers français. En juillet 1955, les étudiants algériens, réunis sous la bannière de l'UGEMA, se font entendre à leur tour et prennent position unanimement pour la cause algérienne. En effet, c'est à Paris, le 9 juillet 1955, que s'ouvre au Palais de la Mutualité le congrès constitutionnel de l'Union générale des étudiants musulmans algériens, à laquelle, au début, l'UNEF apporte sons soutien. Mais dès le début de l'année 1956, la tension va grandir entre étudiants algériens et étudiants français. La répression policière amène l'UGEMA à protester contre les arrestations et les détentions arbitraires de ses membres. Des incidents violents, provoqués par des étudiants français, éclateront à Montpellier le 20 janvier 1956. Peu à peu, l'UGEMA, considérant le véritable état de guerre qui règne en Algérie, prend politiquement position. C'est la première rupture avec l'UNEF, la rupture définitive aura lieu le 29 décembre 1956. L'UGEMA sera dissoute par le gouvernement Gaillard le 28 janvier 1958. L'opposition violente avec les étudiants européens d'Alger - 5.000 - qui menacent les 500 étudiants algériens. Le 11 mai 1956, dans une motion, l'Association générale des étudiants d'Alger - européens - demande la création de corps francs universitaires pour combattre le FLN. La section de l'UGEMA d'Alger répond par la décision, pour les lycées et les universités, d'une grève générale illimitée. Quelques jours plus tard, elle lance un appel pour que les étudiants gagnent le maquis. Le 25 mai 1956, le Comité directeur de l'UGEMA, réuni à Paris, étend à toute la France la grève des cours est des examens. Dans une déclaration, le Comité directeur écrit : «Est-il possible de poursuivre des études dans le calme, hélas, devenu factice pour nous, des universités, alors que chaque jour nous apporte son lot de nouvelles alarmantes et tragiques [...]. Et comment pouvons-nous nous préoccuper encore d'examens à réussir, de concours à gagner ou de titres à acquérir, alors que, pour chaque Algérien, le devoir de contribuer à la lutte de son peuple revêt le caractère d'un impératif catégorique ? Le moment n'est-il pas venu, pour chacun de nous, de prendre ses responsabilités ?» Le premier étudiant algérien arrêté en France est Mohamed Zerrouki, en mai 1955. Jusqu'à la fin de l'année 1956, une centaine d'étudiants seront appréhendés, en France et en Algérie, jugés ou internés dans les camps. D'autres seront torturés, assassinés comme Belkacem Zeddour, originaire d'Oran. La vérité sur la mort de Belkacem Zeddour fut racontée officieusement en février 1956 par l'inspecteur Loffredo, lui-même et ses hommes étaient compromis avec un membre du cabinet du ministre de la Justice. Il reconnut que Zeddour était mort sous la torture. En même temps, Loffredo dénonçait le complot destiné à attenter aux jours du président du Conseil Guy Mollet, alors à Alger. Par la suite, R. Lacoste devait l'utiliser en France pour des missions confidentielles. Un autre étudiant à avoir été arrêté, torturé puis tué fut Ferhat Hadjaj. Etudiant en propédeutique, maître d'internat au lycée de Ben Aknoun (Alger), il a été détenu neuf jours, puis retrouvé égorgé le dixième jour à Djidjelli. Le Parti communiste algérien, composé d'Européens et d'autochtones, a aussi contribué à la lutte pour la libération de l'Algérie, et a payé un lourd tribut pour la cause nationale. Ses militants, femmes et hommes, ont été victimes d'exactions par les forces de l'ordre. Pour leur engagement auprès des Algériens en lutte, la chasse aux communistes était dès lors ouverte, et ce depuis 1956. Les opérations de police se sont multipliées à Oran durant cette période, et l'acharnement de la DST était paroxysmique. Avant l'intégration de ses membres à titre individuel dans le FLN (1er juillet 1956), le Parti communiste algérien avait mis sur pied, notamment dans la région d'Oran, des groupes armés, appelés «Combattants de la Libération». Une vaste opération de la BST (Brigade d'Oran de la Surveillance du territoire) aboutit à l'arrestation, en septembre 1956, d'une quarantaine de personnes, membres du PCA, de le CGT, ou simplement considérés comme sympathisants. Parmi les arrêtés - en majorité d'origine européenne - un grand nombre est torturé. Le scandale éclate tout de suite dans la presse. Robert Lacoste déclare en Conseil des ministres, le 3 octobre, que les informations publiées ne sont pas confirmées. Le directeur de la sûreté nationale, Jean Mairey, va à Oran pour enquêter. On refuse généralement de lui répondre. Néanmoins, il écrit dans un rapport du 13 décembre 1956 : «... Par ailleurs, au cours de mon récent voyage à Alger, j'ai enregistré les déclarations de policiers, tant de métropole que de l'ancien cadre local, indignés des procédés utilisés par les forces de l'ordre en Algérie, ainsi que celles de plusieurs officiers supérieurs. Tous confirment, hélas, la réalité des faits.» Cité par P. Vidal-Naquet dans son livre La Raison d'Etat, paru en 1962 aux éditions Minuit, page 70. Au scandale des tortures, s'ajoute celui de la détention des personnes arrêtées dans les locaux du Trésor (annexe de la préfecture) pendant parfois plus d'une semaine, détention qui a permis les tortures. Sur ce point, le super-préfet d'Oran, Pierre Lambert, s'explique lors d'une conférence de presse : il a assigné à résidence les suspects dans des locaux où on les interrogeait, c'est vrai. Mais la loi sur les pouvoirs spéciaux l'y autorise. Recevant la délégation de la commission Internationale contre le Régime concentrationnaire, Pierre Lambert définit sa position vis-à-vis de la torture. Dans son rapport, la CICRC écrit : «L'un des IGAME a reconnu explicitement devant la délégation que la torture était appliquée et qu'elle l'était parce que seule susceptible d'obtenir les informations sur les attentats projetés, informations qui permettaient, selon la même autorité et d'autres personnes, de préserver un grand nombre de vies humaines.» (Le Monde 27 juillet 1957). Ce même super-préfet a d'ailleurs été mis en cause par Benalla Hadj, né en 1923 près de Relizane. Ancien sergent-chef de l'armée française, il a combattu en Italie, en France et en Allemagne. En 1954, membre du CRUA (deviendra membre du CNRA). Arrêté le 16 novembre 1956. Torturé. Dans sa plainte, Benalla Hadj dénonce le préfet Lambert qui personnellement a demandé que tous les moyens soient employés pour obtenir de lui une déclaration en faveur de la France. Condamné à mort le 12 février 1957, il fut gracié puis transféré plus tard en France, où il fut détenu notamment à l'île de Ré. Son avocat à Oran était maître Thuveny que le préfet Lambert fit interner avant le procès et qui fut détenu onze mois dans un camp avant d'être expulsé d'Algérie. En mars 1958, Me Thuveny devenait procureur du Roi à Rabat. Il était assassiné quelques mois plus tard par des terroristes européens de la «Main rouge». La torture, méthodes musclées d'interrogatoire qui a été utilisée en premier à Oran sur les militants communistes, et on verra plus loin les horribles procédés, sera reprise et généralisée en 1957 à Alger. En effet, on appellera Centre de tri et de transit les locaux où l'on interroge et torture. Les communistes algériens ont été arrêtés un par un et interrogés de façon «musclée», puis embastillés dans la prison civile d'Oran. C'est le cas notamment de Chaber Serhane, un ouvrier agricole, syndicaliste, communiste. Arrêté à son domicile par deux inspecteurs de la PRG de Mascara le 9 septembre 1956 à 6h 30 du matin, il a été battu sauvagement, sans rien avouer. Alors, il fut emmené à Oran le lendemain. Arrivé dans les locaux de la DST à 12 heures, il y est resté jusqu'à 15 heures. Il dut subir des tortures atroces, allongé sur une table, entièrement nu. C'était alors l'électricité sur les dents, la gorge, et tout le corps, y compris les parties génitales. L'objectif de ses tortionnaires était de lui faire avouer sa complicité dans deux attentats commis à Mascara qui coûtèrent la vie à deux agents occasionnels. Les yeux bandés, ses bourreaux voulurent à tout pris lui faire dire qu'il avait vu, au moment de l'attentat, les nommés Stambouli, Baghdad et Menouer. A force de supplices, il finit par ce que les policiers voulaient entendre. Désespéré, Chaber voulut se suicider à l'aide d'une lame de rasoir qu'il avait trouvée dans les locaux de la DST. Il perdit connaissance après avoir perdu beaucoup de sang. Lorsque le médecin dépêché sur place pour masquer ses blessures le réveilla, il dit aux agents : Donnez-lui un revolver pour qu'il finisse son geste. Un autre militante du PCA, Gisèle Amiach, étudiante à Oran, a été arrêtée le 10 septembre 1955 sur la plage de Cap Falcon, par des policiers en civil. Ayant refusé de les suivre car ils n'ont pas présenté de mandat, les policiers l'obligèrent à monter dans une auto de couleur beige, en lui promettant qu'elle sera chez elle avant 18 heures. Ils l'emmenèrent dans les locaux de la DST. Elle subit le même sort que Shaber : torture, électricité, eau de javel, bref, des supplices intolérables pour une jeune fille. L'un des inspecteurs lui disait : «Quand tu voudras parler, tu lèveras le doigt». Tout cela ponctué d'insultes et de grossièretés. Si elle levait le doigt sans parler, les décharges électriques devenaient plus fortes. Lorsqu'elle criait, des coups de poings pleuvaient sur sa bouche. Enceinte d'un mois, elle était gagnée par une crainte terrible des conséquences que cela pouvait avoir sur son futur enfant. Elle en parla aux inspecteurs, et ils se mirent à ricaner en lui répondant : «Même si l'on faisait venir un médecin, il ne pourra pas encore s'en rendre compte». Les tortures et les sévices durèrent plusieurs heures, pendant lesquelles elle avait toujours les yeux bandés. Lorsqu'on lui enleva le bandeau, elle se retrouva dans un bureau qui ne portait plus aucune trace, ni appareil électrique, ni eau dont ils l'avaient inondée à chaque fois qu'elle défaillait. Elle passa la nuit sur un lit de camp, ne pouvant même pas marcher. Elle était menottée jusqu'au lendemain où elle dut subir un autre interrogatoire pendant toute la journée. Vers 17 heures, on l'emmena dans les locaux désaffectés du Trésor. Là, elle resta dix jours avec sept autres femmes. Au onzième jour, elle fut transférée à Saint-Leu pour une nuit, puis elle fut présentée le lendemain au juge d'instruction qui ordonna son incarcération à la prison civile d'Oran. Autre victime des opérations de police d'Oran, madame Gabrielle Benichou Giminez, ex-conseiller général d'Oran, condamnée à perpétuité par le régime de Pétain, condamnée à 45 ans de travaux forcés le 4 août 1957 par le Tribunal permanent des Forces armées d'Oran, puis transférée à Pau où elle tomba malade. Militante elle aussi du PCA, elle raconte à son avocat comment elle fut arrêtée et torturée comme les militants précédents: «Je crois bien avoir été arrêtée le lundi 10 septembre à 9 heures, chez moi, en compagnie de mon mari, Roger Benichou. Je me trouvais donc chez moi avec l'un de mes enfants de 3 ans et demi, lorsque quatre policiers en civil, dont deux armés de mitraillettes ont fait irruption dans mon appartement pour, disaient-ils, perquisitionner. Comme je leur réclamais leur mandat de perquisition, ils me répondirent qu'ils n'en avaient pas besoin. Ils mirent la maison sens dessus dessous, fouillant jusque dans les moindres recoins, défaisant les lits, les armoires, lisant me correspondance, etc. Ils trouvèrent en tout et pour tout: l'Humanité de la veille, un vieux tampon de l'UNFA (Union des femmes algériennes), des photos de famille, un dossier médical que j'avais constitué pour une demande de pension ayant été condamnée en 1941 et contracté une tuberculose bronchique et pulmonaire, mon passeport, notre livret de famille. Imaginez donc les moments d'angoisse que nous avons pu vivre, mon mari et moi, quand la journée passée, nous pensions à nos enfants que nous avions laissés pratiquement dans la rue. A suivre |