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Le souvenir du fantastique
soulèvement populaire de ce fatidique vendredi 22 février 2019 est plus que
vivace ; il habite pour de bon les pensées et l'âme des Algériens. Pour dire le
moins, le Hirak à résolument ouvert les écluses
libérant la parole du peuple. Il a inauguré une page de l'Histoire nationale où
peut respirer l'esprit de liberté.
Dix-neuf mois se sont écoulés depuis, le brouillard qui couvre l'environnement politique n'a pas, ou peu, perdu de sa densité. La scène politique est en état léthargique. Les partis de la «moualate», hier principaux acteurs de la diabolique tragédie «boulitique» et vaillants défenseurs du pouvoir, sont en disgrâce, en déshérence, quasi-grabataires. L'opposition est en déroute, déprimée, ne sait plus, tout comme la majorité des citoyens, à quel saint se vouer. La nouvelle équipe gouvernante, quant à elle, tente tant bien que mal, à redorer le blason du pouvoir, annonce une dynamique de redressement ambitieuse, qui aurait en temps normal incité à l'optimisme. Son crédo se nomme « Algérie nouvelle», entendre Etat de droit, moderne et démocratique. Arrivera-t-elle à convaincre, à réconcilier le peuple avec ses dirigeants ? En tout cas la tâche est bien rude face à des citoyens devenus sceptiques pour avoir été si longtemps désabusés par leurs gouvernants. Après une trêve de plusieurs mois, dictée essentiellement par la crise sanitaire, des tentatives de reprise du mouvement se manifestent, par-ci par-là, sans drainer de foule. Est-ce le signe que les voiles du Hirak se regonflent, cahin-caha, ou s'agit-il simplement d'un sursaut voué à l'étouffement, animé par d'opiniâtres hirakistes qui tentent de remobiliser les citoyens, sans succès palpable jusque-là. Est-ce à dire que la belle révolution aurait vécu son heure de gloire. Rien n'est sûr, tout est possible, attendons pour voir. Indéniablement, il y a de l'électricité dans l'air. Reste à savoir si la charge est suffisante pour emballer les moteurs. Il est utile de se rappeler que le catalyseur de la grande mobilisation de l'année 2019 fut le fabuleux enthousiasme populaire spontané, commandé, vous susurreront certains, provoqué par les premières marches du mois de février 2019, porteuses en ce temps d'énormes espoirs. Reproduire le même scénario n'est pas une sinécure. En tout état de cause, une kyrielle de questions demeure en suspens; reçoit parfois des réponses obscures, inintelligibles. La situation est si confuse que même un Nostradamus y perdrait son latin. Néanmoins, il est loisible d'esquisser un premier bilan des effets du soulèvement populaire de février 2019 enregistrés jusqu'à présent, notamment sur le plan politique. Il convient, aussi et surtout, de s'interroger sur les éventuels changements à venir. Tout esprit doté de rationalité dans la critique et d'objectivité dans l'analyse, reconnaîtra d'emblée, raisonnablement et sans détours, qu'il est illusoire, voire utopique, de croire à un possible changement du tout au tout, au tournant d'un soulèvement populaire limité dans le temps, ou révolution si l'on préfère attribuer cette acception au Hirak, au demeurant largement méritée. Force est d'admettre que le mouvement a bouleversé l'ordre établi et ébranlé la nomenklatura. Il a, en premier lieu, fait avorter l'absurde et sinistre projet du cinquième mandat de ?Fakhamatouh', qui aurait indubitablement mené le pays au désastre. Les caciques du système Bouteflika et ses clientèles reçurent l'évènement en pleine figure, tel un ressac chargé de lames tranchantes venu leur rappeler soudainement, sans ménagement, leurs bassesses, leurs mesquineries, leurs forfaitures et tout le mal qu'ils ont fait à ce pays. Pour le peuple algérien, ce fut la délivrance, fêtée dans la joie et la bonne humeur. La chute du perfide, sulfureux et extravagant roitelet, orfèvre de l'intrigue, fut suivie de la mise hors d'état de nuire d'une partie non négligeable de sa coterie. C'est alors que vint l'épisode du «Mendjel» (la faux), pour reprendre une expression couramment usitée pour désigner les opérations de poursuites judiciaires à l'encontre des responsables véreux et des oligarques. Fait inédit, digne du livre Guinness des records, un nombre impressionnant d'hommes d'affaires, de chefs d'entreprises, de ministres et autres hauts responsables se trouve, aujourd'hui en prison, pour des chefs d'inculpation qui feraient rougir de honte les parrains du grand banditisme. La campagne de déchéance, des plus humiliantes et des plus dégradantes, est semble-t-il en phase de toucher d'autres candidats. A ce stade d'évolution des choses, au regard des chamboulements produits, le Hirak serait à classer dans la famille des crises qui affectent principalement l'exercice du pouvoir. En d'autres termes, un soulèvement ayant pour effet le remplacement de la classe dirigeante, agrémenté d'un zeste d'ajustements que chacun appréciera à sa guise. Pour être plus explicite, on va dire, au risque que cela soit perçu comme crime de lèse-pouvoir, maintien du régime dans ses fondements, dans ses traits constitutifs, cependant quelque peu débarrassé des abus et des excès que se permettait la nomenklatura. Si je puis me permettre une métaphore, cela revient à couler de la fonte neuve dans un vieux moule pour en sortir un « nouveau ancien modèle». Sous une optique optimiste, on peut considérer cela, comme une possible voie ouverte aux réformes, une amorce de changement vers lequel le chemin demeure autrement plus long et abondamment parsemé d'écueils. Reste à savoir s'il y a, au sein du pouvoir actuel et de la classe politique, une réelle volonté d'aller dans le sens du changement souhaité par le peuple. Question qui lancine les esprits et attend impatiemment réponse, par les actes, non par les déclarations de bonnes intentions. Observateurs, analystes, hirakistes et autres citoyens s'interrogent à propos du rôle que pourrait jouer la révolution du sourire, dans le façonnement de la «nouvelle Algérie». En particulier, peut-on s'attendre à un bouleversement du modèle sociopolitique ? Auquel cas vers quel type de société on se dirige ? Dans le doute, mieux vaut raisonner à la faveur des probabilités, en privilégiant les hypothèses les plus plausibles. De prime abord, le niveau d'impact du Hirak sur l'avenir du pays est difficile à évaluer ou à prévoir, pour plusieurs raisons. La principale, d'importance considérable, est en lien avec la nature du système, fortement tentaculaire, solidement rivé aux institutions et profondément enraciné, en ce sens qu'il peut résister à des secousses de forte magnitude, plus longtemps qu'on ne se l'imagine. Prosaïquement parlant, un pouvoir ayant régné sans partage, des décennies durant, n'est pas du tout disposé, et il en a la force et les moyens, à céder le trône à qui que ce soit ; surtout pas à une ochlocratie, c'est-à-dire à la populace qu'il méprise tant, du moins qu'il considère dédaigneusement. Toutefois, que la contestation reprenne ou pas, je reste convaincu que l'onde de choc de la révolution du sourire ne se brisera pas de sitôt. Si besoin est, j'en veux pour argument le fait que le Hirak n'acte pas la naissance de la prise de conscience populaire, qui lui est pour ainsi dire antérieure. Il est plutôt l'expression publique d'une mutation sociale construite au fil des ans. C'est par ailleurs un espace de manifestation, exubérante à certains égards, de colère et de frustrations cumulées des décennies durant. Il est évident que la société algérienne a beaucoup évolué, en particulier dans sa composante jeune et majoritaire. Celle-ci, au diapason de la modernité, aspirant à y vivre pleinement, gardera toujours allumée la flamme du Hirak, continuera malgré tout à surfer sur la vague de sa révolution, revendiquant l'abolition du système. Les pressions d'un peuple libéré de ses chaînes et de ses complexes seront si fortes, si persistantes et continues qu'elles finiront par user le système, viendront à bout de ses survivances. Arrivée au point de non retour, l'Algérie s'orientera incontestablement, peut être doucement mais sûrement, vers un régime autre que l'actuel, dans lequel on gagnera inexorablement en démocratie et en droit. Cependant, on doit reconnaître l'existence de quelques éléments menaçant sérieusement l'aboutissement de l'œuvre. Entre autres, la présence au sein de la société et forcément du Hirak d'une multitude de courants politiques et idéologiques généralement peu enclins à la cohabitation, voire répulsifs les uns vis-à-vis des autres, n'est pas de nature à faciliter la convergence des efforts, dans le sens du changement souhaité. Autrement dit, il est extrêmement délicat d'imaginer un modèle sociopolitique qui bénéficierait de l'adhésion de la majorité, ou qui ferait l'objet d'un consensus, dans un environnement où subsiste un riche dégradé de perceptions allant de l'ultraconservateur à l'ultralibéral et du religieux fanatique au laïc intolérant, pour ne citer que ces deux aspects ; à fortiori, lorsque chacun est fermement convaincu d'avoir raison et s'indispose au vivre ensemble. Fatalement, avec un tel état d'esprit, le rejet de l'autre, devient le leitmotiv des différentes composantes de la société, le maître mot dans le discours politique. Pratiques au rebours d'une vérité inéluctable : Pratiquer l'exclusion, au nom de la démocratie ou d'une quelconque idéologie, revient à s'abstraire de la réalité objective et, pire encore, jouer le jeu du système qu'on prétend combattre. Il suffit pourtant de soumettre ses idéaux ou son idéologie poétique, qui fait tant rêver, à l'épreuve du vécu, la ramener à la prose de la réalité, pour se rendre à l'évidence et revenir, enfin, à la raison. Que chacun comprenne, une bonne fois pour toutes, qu'un pluralisme politique ou idéologique compatible avec la démocratie et adapté à ses concepts et pratiques, repose au moins sur trois principes fondamentaux : le respect des lois, la tolérance et le sens du compromis. A proprement parler, est à craindre plus que tout le réveil des démons de l'intégrisme, religieux ou identitaire, du régionalisme et autres fléaux du même registre. Ingrédients tout indiqués pour gâter l'esprit de communion citoyenne observé au sein du Hirak, freiner l'élan national que celui-ci a provoqué, mettre en péril la cohésion sociale, altérer l'intégrité du corps national et ranger, tel un cancer, les fondements de l'Etat. Il convient de souligner dès lors que l'antidote à ce qui nourrit ce mal, ne peut se trouver que dans l'intégration de la citoyenneté algérienne en tant qu'identité collective, à placer au-dessus de toute autre valeur. Dans l'intérêt de tous, le bon sens nous dicte, voire nous enjoint, de nous y conformer impérativement, y tenir comme à la prunelle de nos yeux, si l'on veut vivre ensemble en paix, intelligemment, et œuvrer ensemble au développement de notre pays et à l'émancipation de notre peuple. Les expériences de la vie, la chronique de l'histoire contemporaine et des temps passés, nous enseignent que moins on écoute la voix de la raison, ou plus on résiste à ses objections, plus on s'enfonce dans le déni et l'erreur. Du coup, si l'on ne va pas à contre sens de nos aspirations et objectifs, on tourne au mieux à vide, sans jamais embrayer sur l'avenir escompté. Qu'il me soit permis de pointer du doigt une autre menace, à ne pas sous-estimer. Sans avoir à spéculer sur l'avenir du Hirak ou à polémiquer autour de son encadrement, j'estime utile d'attirer l'attention sur la propension de certains à vouloir s'approprier le mouvement et de dénoncer en particulier leur penchant au leadership, voire au «zaimisme». Est-il besoin de rappeler une réalité historique péremptoire : dès qu'une révolution cesse d'être un moyen pour devenir le bien d'un groupe, le pire est à craindre, même si on accordait aux membres de ce dernier des préjugés favorables quant à leurs intentions. Et lorsque le train d'une révolution est dévoyé, les gens sincères le quittent avec amertume, la plupart en sont exclus, parfois manu militari. Ils demeurent généralement longtemps sur le quai en mal d'une révolution de remplacement pour sauver ce qui peut l'être, en vain. Pour s'en convaincre, Il suffit de se remémorer comment le système algérien a anathématisé, excommunié, les meilleurs enfants de la lutte pour l'indépendance, afin de sévir pendant une soixantaine d'années au nom de la «légitimité révolutionnaire» ; pour le funeste résultat que l'on sait. A supposer que l'on mise le tout sur un changement radical du système et un renouvellement complet du personnel politique, pour être en harmonie avec les adeptes du «yatnahaou Gaâ», ne devrait-on pas s'interroger sur la nature du produit de remplacement ? Précisément à ce sujet, j'appréhende que l'on accouche, au nom de la «légitimité hirakiste», d'un clone du régime que nous exécrons tant. Que Dieu nous en préserve. A bon entendeur salut ! * Professeur - Ecole Nationale Supérieure de Technologie. |
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