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Chaque été
algérien a son feuilleton. Cette année, c'est un livre signé de Saïd Sadi qui a
occupé les devants.
Pris de panique, le système a accumulé les provocations qui ont fait de ce livre un succès de libraire dans la mesure où c'est la perspective de son interdiction qui a assuré sa promotion. La tempête qu'il a soulevé a grisé son auteur qui se croit au dessus de la critique et pense que le temps est venu de consacrer définitivement son hégémonie sur les démocrates. D'une certaine façon, l'apologie qu'il fait du colonel Amirouche est d'abord la sienne par une identification revendiquée dès les premières pages du livre. Depuis des semaines, il ne rate aucune occasion pour régler ses comptes. Récemment, Yacine Teguia a publié une contribution dans laquelle il a donné son avis sur la polémique qui a entouré la publication du livre en question. De tous les écrits qui ont jalonné cette polémique, on ne peut franchement pas dire que cette contribution est la plus méchante. Mais qu'à cela ne tienne : Sadi saisira cette occasion pour servir un condensé du procès qu'il a intenté au Pags et à la gauche algérienne. Procès qui constitue la toile de fond du livre. Yacine Teguia n'a pourtant pas signé sa contribution en tant que militant du Pags ni en tant que communiste ?je ne sais plus d'ailleurs si il l'est en cors ou non. Mais en tant que militant du MDS. Logiquement, Sadi aurait du lui répondre sur les positions actuelles du MDS. Mais pour instruire le procès, il a choisi de faire ses courses dans les recoins sombres de l'histoire. Peut-on imaginer un algérien doué de bon sens qui interpelle Sadi en 2010 sur les positions du FFS des années 1980 ou ses penchants maoïstes des années 70? Remarquons d'abord que ce qu'il désigne par néo-communiste ne renvoie à rien du tout dans la réalité : aucun algérien ne se revendique politiquement du communisme. Mais derrière ses airs de Don Quichotte qui se bat contre des moulins à vent se cache un homme mû par une haine tenace envers une certaine gauche qui a eu la lucidité en décembre 91 de refuser de prendre part au processus suicidaire qui a conduit le pays à la situation que l'on connait. Pourtant, le Pags a été dissout il y a belle lurette. De ce fait, il relève de la compétence des historiens. Mais quand Sadi en parle, ce n'est pas en sa qualité de nouvel historien mais comme un acteur politique. Il confronte ses positions des années 90 à l'ex-Pags pour avoir raison en 2010. Dans une tentative de venir à bout de la radicalité du courant Ettahadi-MDS. En agissant ainsi Saïd Sadi ressemble à Ali Kafi : il fait fi de toute objectivité et de l'analyse des conditions historiques d'une époque. Comme acteur militant, il ne prend ni la distance, ni la hauteur requises pour faire œuvre vraiment utile pour le pays. Autrement dit, il supprime à son travail et son propos cette condition essentielle à tout débat démocratique dont les citoyens ont besoin : l'honnêteté intellectuelle. Il n'hésite pas à enfermer ce courant dans le carcan du communisme. En prenant grand soin de distinguer les bons des mauvais communistes : les bons sont ceux dont les positions sur l'intégrisme étaient -et sont encore pour certains- en décalage avec la réalité. Les mauvais sont ceux dont les positions ont toujours été en avance sur les siennes. Il ne se gène pourtant pas à vilipender ceux pour qui le l'ex-FIS «exprimait l'Islam des pauvres» tout en portant aux nu leur chef de file (Sadek Hadjeres) dans l'espoir d'en faire l'héritier exclusif de ce courant radical. La fracture de décembre 91 La position sur l'islamisme a constitué une ligne de démarcation dans le camp démocrate. Entre ceux qui acceptent les islamistes, qui sous-estime le danger qu'ils représentent et qui ont font des alliés pour démanteler le système d'un coté, et ceux qui ne se sont jamais trompés sur le danger qu'ils représentent de l'autre coté. A l'occasion des législatives de 91, cette ligne de démarcation s'est transformée en ligne de fracture. D'un coté les participants, qui vont par la suite exiger la poursuite du second tour même après les résultats catastrophiques du premier. De l'autre, ceux qui ont boycotté et qui, naturellement ont appelé à stopper le processus suicidaire. Entre les deux camps se trouvent ceux qui ont pris part au premier tour par choix stratégique et qui ont appelé à l'arrêt des élections par choix tactique dû à un échec personnel. Tout au long des décennies 90 et 2000, ils effectueront des allers-retours entre l'un ou l'autre camp. C'est en chef de file de ce nomadisme politique que Sadi vient aujourd'hui nous assener son «il faut chercher longtemps dans le catalogue politique algérien pour trouver un parti qui s'est autant fourvoyé». Ne cherchez plus Mr. Sadi, vous y êtes. Pari risqué Il est une platitude de dire que le nomade Sadi n'a jamais porté les sédentaires des deux bords dans son cœur. Il est probablement l'un des plus piètres hommes politiques de son temps mais il a un flaire extraordinaire. Il sait que tôt ou tard, la politique reprendra ses droits dans ce pays. Il investit l'avenir en essayant d'imposer son hégémonie aux démocrates. Sa méthode : être le premier en tout : le 1er opposant au système, le 1er qui a appelé à l'arrêt du processus électoral, le 1er qui a appelé à la résistance au terrorisme, le 1er à défendre la mémoire des martyres? Mais son flaire lui indique aussi que l'avenir appartient à ceux qui ont un parcours irréprochable. Comme le sien est loin de l'être, il n'hésite pas à parcourir l'histoire en sens interdit pour la ?corriger' et l'expurger de ses dérapages à lui. Et dans ce parcours, il rencontre souvent un courant de gauche, radical, qui le relègue systématiquement à la seconde place. Le monopole de la victimisation Par petite touche, Sadi veut se construire une légende : celle de la victime exclusive de Boumediene. Il ne parle des communistes que pour rappeler leur soutien critique à Boumediene tandis qu'il était son opposant no 1. Pourtant, en 99, il a fait mieux que soutenir un président issu de la dernière fraude du siècle : il a rejoint son gouvernement. Soit disant parce que ce président a ouvert les dossiers importants. Comme si c'était possible d'accéder au pouvoir par la fraude et avoir la sincère volonté de réformer l'école, la justice? C'est pourtant la même logique qui a conduit les communistes à soutenir Boumediene. A une différence près : ces derniers rédigeaient les communiqués de soutient entre deux séances de tortures. Par contre, ce qui distingue une opposition d'une autre, c'est le niveau de discernement politique. Ces communistes que Sadi voue aux gémonies ont clairement distingué les orientations socioéconomiques qu'ils ont jugées bonnes - à tord ou à raison, l'histoire jugera- de la dictature politique qu'ils ont farouchement combattue avec le prix lourd que l'on connait. La mauvaise foi de Sadi lui fait dire que ses communistes ont «souffert de l'intolérance de leurs frères» pendant que ces gens ont passé à peu près autant de temps en liberté que lui en a passé en prison ! Sadi, par contre, n'a pas hésité à faire partie du gouvernement qui a géré la concorde civile et la grâce amnistiante qui ont probablement consacré l'impunité des assassins de ces propres militants. Il est vrai qu' «en politique, le problème n'est pas dans l'erreur, il est dans l'égarement.» Le Pags des années 70 peut évoquer l'alibi de la clandestinité. Pas le RCD années 2000. Mais il y a plus grave que l'égarement : la culture de l'égarement. Les positions fluctuantes du RCD vis-à-vis du système et de l'intégrisme sont un modèle en la matière. Quelques exemples parmi tant d'autres: 1993. Le représentant du RCD quitte avec fracas une manifestation de soutien à un journal, suspendu par le pouvoir, pour protester contre la présence du représentant du MSP. 1995. Sadi concoure avec le chef du MSP à l'élection présidentielle. 1999. Le RCD mène une campagne virulente pour ?boycotter la dernière fraude du siècle'. 2000. Il rejoint le gouvernement issu de cette fraude. 1999 toujours. Les députés du RCD votent contre la loi portant grâce amnistiante, qualifiée «d'objet juridique non identifié». 2000. Le RCD rejoint le gouvernement chargé de gérer cette loi. Qui n'a pas encore le tournis avec ces montagnes russes politiques ? L'islam populaire, antichambre de l'état islamique Après avoir longtemps revendiqué «la laïcité comme unique bouclier contre la dérive intégriste», Sadi découvre les vertus de l'islam populaire. Sans jamais nous expliquer en quoi consiste au juste cette notion. Sadi trouve choquant qu'un jeune qui rompt le jeûne soit trainé devant les tribunaux. Sait-il qu'il y a quelques années seulement, les promoteurs de cet «islam populaire» qui étaient encore aux commandes du pouvoir social dans nos villages infligeaient une amende à quiconque était soupçonné -je dis bien soupçonné- de rompre le jeûne ? Que cet «islam de nos parents» a inspiré et couvert les pires injustices, notamment envers les femmes ? Que le code de la famille de triste mémoire, ce code salafiste constitue une révolution pour la femme kabyle, en ce sens qu'il a réparé une injustice historique en lui permettant de faire valoir son droit naturel à l'héritage ? Cette étrange notion d'«l'islam populaire» est culturellement impossible et politiquement dangereuse. Je ne pense pas que dans les conditions actuelles, un paradigme qui pourrait s'appeler «l'islam populaire» soit possible. Avec la généralisation de l'instruction et le conditionnement culturel, de plus en plus d'algériens demandent au texte coranique de statuer sur leur vie quotidienne dans les plus infimes détails. La faiblesse de la culture religieuse fait que malheureusement ces arbitrages sont de plus en plus du type salafiste. Finie l'époque de naïfs paysans qui font confiance à l'imam du coin qui leur débite quelques versets dans une langue qu'ils ne comprennent pas. Aujourd'hui, la littérature wahhabites et les chaines satellitaires donnent les réponses à toutes les questions que l'on se pose et même celles que le ne se pose pas. Sur le plan politique, cette notion fait le jeu de l'islamisme dans la mesure où ce qui l'intéresse est le mot «islam», peut importe le qualifiant : confrérique, populaire, de nos parents? L'essentiel est de ne pas sortir du cadre étroit de la religion. Accepter l'islam (populaire, confrérique?) comme modèle, et l'islamisme se fera un plaisir de le transformer en état islamique. Souvenons-nous des dégâts de la petite référence aux valeurs islamiques contenues dans la proclamation du 1er novembre. Le problème fondamental reste l'évacuation de la religion de l'espace public. Tant qu'elle continue à régenter cet espace public, quelque soit la forme sous laquelle elle le fait, la menace de l'état théocratique continuera à peser sur la société comme une épée de Damoclès. Qu'un laïque convaincu comme Sadi en vienne à recommander à la société algérienne qui a payé très cher son refus de l'état théocratique cette notion d'«l'islam populaire» comme antidote à l'islamisme nous fait prendre toute la mesure des régressions politico-idéologiques que nous avons subies. Pour finir Nous voilà enfin fixés : le livre que Sadi a signé n'est qu'un prétexte pour qu'on parle de lui. Désormais, ce n'est plus du contenu de ce livre qu'il s'agit de débattre. Il est regrettable que Sadi n'arrive pas à se soustraire aux calculs politiciens, comme on pouvait l'espérer à la faveur de son livre et des enseignements qu'il nous propose de retenir de la personnalité du colonel Amirouche : hauteur de vue, désintéressement personnel, modestie, abnégation, esprit patriotique et national, souci permanent de rassembler et non de diviser, grande maturité malgré le jeune âge du colonel, conscience élevée des enjeux, etc. Nous étions nombreux à espérer que Sadi se soit imprégné de toutes ses qualités, l'expérience des années aidant. Devons-nous donc déchanter devant autant d'invectives, d'affirmations péremptoires, de contre-vérités historiques et de narcissisme ? *Militant démocrate |
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